28/07/2020
La vie liquide, mode d'emploi
"Nul ne sait de quoi l'avenir sera fait" dit l'adage qui prend une dimension paroxystique avec la crise sanitaire. Au moment où Macron déterre le Commissariat au Plan pour le pays, plus personne n'est capable de planifier sa propre vie ou la destinée de son entreprise avec certitude pour les 8 prochains jours.
Essayez de calculer le nombre de fois où les consignes sanitaires ont changé, ne serait-ce que depuis trois mois que nous sommes déconfinés. Ouvert, fermé, ouvre la frontière, ferme la frontière, ouvre le bar, ferme le bar... Avant l'âge adulte, on dresse les chiens avec des injonctions contradictoires, on fait de même avec nous tant que nous n'avons pas, collectivement, pris le pli de mesures sanitaires élémentaires.
Qu'on le veuille ou non, il faut vivre avec cette incertitude permanente et continue. Personnelle comme professionnelle. Accepter de ne pas pouvoir planifier des vacances six mois avant avec l'assurance de pouvoir se rendre dans ce lieu ; de renoncer à une formation par incapacité de réunir dix personnes dans une salle ; d'enterrer tel séminaire, telle réunion majeure.... D'oublier cette fête de mariage où, enfin, ami.e.s et familles des deux côtés étaient réunies en un même lieu.
En septembre, les 900 000 profs ne savent pas encore s'ils seront en permanence devant des écrans ou dans une salle devant les élèves ou encore un mix des deux. Les millions de soignant.e.s se demandent quelle sera la hauteur de la prochaine vague (pour l'heure, le nombre d'hospitalisations et de patients en réanimation est toujours en baisse constante, malgré la hausse des contaminations) sans savoir s'ils pourront poser des congés. Quid de celles et ceux qui attendent un enfant ? Qui voulaient déménager, changer de poste, d'entreprise, de région ? Quid de celles et ceux oeuvrant dans des secteurs sinistrés (tourisme, culture, événementiel, sport business....) pour qui on allume et éteint l'interrupteur en disant "allez y ! Non restez") ? Beaucoup de gens mettent en pause, reportent, délayent et ces ascenseurs émotionnels ne se supportent qu'avec un cocktail whisky prozac...
Pendant le confinement, l'expression "la vie dégradée" était revenue régulièrement pour désigner ces réunions à distance subies, ces déplacements repoussés, empêchés, ces magasins mal achalandés et ouverts à horaires restreints... Nous sommes désormais tous dans ce que Zygmunt Bauman appelait "la vie liquide", les repères fondamentaux solides (CDI, couple, religion, logement...) changeant de plus en plus souvent. Comme dans les start-up, on pivote, on s'adapte, on change de projet... Dans ce règne de l'éphémère, certain.e.s s'en sortent bien, mais 9 start-up sur 10 disparaissent en moins d'un an, et pour ces 9 neufs là, les lendemains ne sont pas roses.
Les seuls qui peuvent jouer le contrepoids solide, donner des garanties sur l'emploi avec des plans de relance (pas en sauvant des entreprises déjà existantes comme il le fait, mais en décrétant des plans de rénovation, de recyclage, de réparation, de reconditionnement, des grands travaux sans nouveaux travaux, en somme), avec des garanties intangibles sur les logements, les transports, sur l'école en présence, sur les gardes d'enfants à minima... les seuls, ce sont les acteurs publics. Eu égard aux inégalités de circulation du virus, les acteurs publics locaux. Entre la folie centralisatrice à l'oeuvre qui ne donnent rien aux acteurs locaux et le peu de foi dans le rôle planificateur de la puissance publique de ce gouvernement, nous voilà bien... Face à la vie liquide, on peut nager ou se noyer, hein.
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