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01/05/2012

Zygmunt Bauman, l'homme qui éclaire notre modernité liquide.

9782818501658.jpgEt un, et deux, et trois et quatre. Quatre bouquins du grand sociologue avalés en quelques semaines. Juste le temps de reprendre son souffle au milieu avec quelques romans et recueil de nouvelles pour s'évader d'un réel quotidien morne comme un dolmen (mais le 6 mai, vous allez voir, tout va s'illuminer...). En termes d'essais, quand on a commencé à se plonger dans la pensée de Zygmunt Bauman, il est délicat d'aller voir ailleurs. 

Style limpide, exemples frappants, délicatesse de ne pas nous noyer sous les chiffres ou les citations, même si ces dernières abondent joyeusement, avec une diversité de sources et de registres assez réjouissante. 

La pensée de Bauman se diffuse dans son oeuvre sur divers thèmes: la nouvelle urbanité, le contrôle des citoyens par la peur, la montée en puissance de l'univers carcéral au détriment de l'éducation (à rebours des idées reçues sur la Californie, Bauman rappelle que la Californie a un budget carcéral plus important que celui de l'enseignement supérieur. Sillicon Valley et recherche, d'accord, mais une fois que les verrous sont bien mis, d'abord) et enfin, la mondialisation. 

La grande idée de Bauman, celle qui traverse son oeuvre est que nous sommes entrés dans une période de mondialisation "liquide". La modernité liquide, par opposition à solide, c'est celle qui va trop vite et qui perd 99% de la population. Celle où les repères affectifs, sociaux, de travail, se font de plus en plus rares. C'est pour cela que la grande majorité des habitants de cette planète sont perdants, ils n'ont d'autres choix que de courir en avant sans comprendre ce qui se trame, sans cesse menacés par des périls qu'on leur vend et qu'ils ne voient pas (la délocalisation, l'arrivée de migrants...). A l'opposée, une élite infime qui maîtrise tous ces codes et qui se gobergent de la mondialisation. Bauman part de son exemple pour montrer comment les universitaires globe trotters profitent de cette mondialisation quand elle pénalisent les autres. Surtout, de livre en livre (celui mis en médaillon de cet article est à mon sens le plus percutant) Bauman montre comment l'élite ne  comprend plus le peuple. Comment elle se détache littéralement de ghettos urbains et de réalités populaires qu'elle ne comprend plus. Passionnant de ce point de vue de voir la mort de la diversité culturelle et comment apparaît, se construit et s'entretient une élite mondialisée. Elite française qui a infiniment plus de points communs avec ses homolgues chinois, mexicains ou finlandais que les habitants des quartiers périphériques de Béziers, par exemple. 

Sur cette grande question de l'élite mondialisée, Bauman nous incite à un certain pessimisme. D'abord parce qu'au niveau de la justice fiscale et sociale, il est vrai que pas un euro des humbles laborantins n'échappe à l'oeil du fisc quand les grandes fortunes se maquillent et se griment dans des montages transnationaux complexes pour échapper à l'impôt. Ensuite, ou plutôt devrais-je dire au dessus, l'ennuyeux est de voir comment cette différence s'applique en termes de justice tout court. Les petites infractions sont de plus en plus réprimées : dans les quartiers populaires de Wahsington, la moitié (!!!) des hommes de 16 à 35 ans sont concernés par le système pénal, en prison ou en attente de jugement...

Les grandes infractions, en revanche, sont bien moins punies. D'une part parce qu'elles se règlent souvent avant le tribunal, moyennant finances et moyennant intérêts. A savoir, certains plaignant refusent d'eux mêmes d'attaquer des futurs partenaires commerciaux, ne jamais insulter l'avenir. Ensuite, quand bien même ils sont punis, la complexité des affaires traitées échappant à la compréhension de l'homme de la rue, un sentiment d'écoeurement arrive, mais pas de révolte. La révolte vient d'une compréhension sur ce qui se passe: d'où le fait que les scandales sexuels déstabilisent plus les puissants que les scandales financiers.

Lire Bauman permet d'avoir un décentrage éclairant sur ce qui se passe chez nous. Dans la campagne, un collectif de chercheurs appelé La Gauche Populaire a mis en avant (via Laurent Bouvet dans une tribune du Monde) ce terme "d'insécurité culturelle" comme explication de la montée en puissance du FN. Les français se sentent de plus en plus menacés par ce monde mouvant et la gauche de combat doit s'attaquer à cela. Puissent-ils être entendus, puissent Hollande et ses sbires aux affaires lire Zygmunt Bauman. Ca urge.