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01/01/2016

Retrouver un peu plus le goût du "Pourquoi ?"

pourquoi.jpgNon que je sois un très grand fan de résolutions, surtout à date fixe (le 1er janvier, pour commencer une révolution alimentaire, en plein froid et journées courtes, pas évident) mais disons que la date est propice à réfléchir à un changement. Une journée à rien foutre, avec une vésicule et un crâne endoloris, tu cherches mieux. Si j'avais un voeu à formuler pour 2016 naissante ça serait que la notion de "Pourquoi ?" gagne en puissance.  

C'est un mot merveilleux, une notion formidable, mais que l'on supporte mal en ces temps troublés. On cherche à lui faire un procès en incompétence : les enfants posent cette question, ils ne savent pas, n'affirment pas. Quand on est adultes, on sait, on avance, on fait. La catégorie la plus exposée à cette injonction proprement stupide est évidemment les politiques. Impossible pour eux de ne pas savoir, de réfléchir, se poser. Non, il faut avancer sans cesse. Sur des sujets de plus en plus techniques (bon, connaître le nombre maximum du CDD quand t'es ministre de l'emploi, on peut considérer que ça fait partie du package) il faut sans cesse dégainer chiffres et expertises, si possible étrangères. Problème, avec l'info en temps réel, tout se surveille de plus en plus vite et le fact checking décrédibilise, désacralise ces élus qui, comme tout le monde, commettent quelques erreurs... Mais en plus de cela, ils doivent savoir sur des grands enjeux qui n'ont rien de technique mais nécessitent un peu de recul : les guerres, les réformes sociétales. Quel politique pourrait dire "je n'ai pas encore d'avis sur la question ?". Aucun. Pourtant, ça serait nécéssaire.

Les experts sur les plateaux leur embrayent le pas avec la création de cette catégorie hors sol, l'intellectuel systémique. On reconnaît l'intellectuel systémique à ce qu'il s'exprime sur tout sans réserve et à réponses à tout, expertise à tout. Attali et Minc en figures de proues historiques, mais nombre d'autres acceptent désormais de donner leurs avis sur tout et n'importe quoi, et surtout la seconde catégorie. De Caroline Fourest à Michel Onfray, de Zemmour (pas un intellectuel, mais il est classé dans ce lot, étrangement) à Guy Sorman, combien de doctes penseurs qui ignorent le pourquoi ? Trop, des tas. A contrario, combien osent dire comme Paulin Ismard chez Taddei, comme Frédéric Lordon en maints débats, "désolé, mais ceci est hors de mon champ de connaissances, de compétences, je préfère ne pas répondre pour ne pas dire de sottises". On imagine qu'en rentrant, ils chercheront, se renseigneront sur le pourquoi et le comment des questions soulevées, mais par anticipation, ils préfèrent ne pas répondre. Chapeau. 

Pourtant, le pourquoi est sain, c'est l'essence même de l'humanité. On aime tous "les gens qui doutent" d'Anne Sylvestre, ceux qui trop écoutent etc... Car on se sent plus proche d'eux que les gens qui savent, ceux qui jamais n'écoutent. Mais nous luttons fortement contre cette pente sans nous rendre compte qu'elle est inhumaine. Il y a un très beau passage dans un livre de Primo Levi (je ne sais plus si c'est "la trêve" ou "si c'est un homme") où le narrateur, à Auschiwtz pris dans un hiver glacial est proche de mourir de soif. Exténué par les travaux, il cherche de l'eau. Tout est gelé et impossible d'épancher cette soif. Alors il s'approche de la gouttière du baraquement et fait tomber une congère de glace qu'il commence à sucer. Soudain, il entend la voix du Kapo lui hurler de reposer la congère. L'homme pointe son fusil sur lui. Ca ne fait aucun sens, le narrateur est désemparé, tétanisé, on risque de lui ôter la vie pour une congère ? Même dans un camp de la mort, cela ne fait aucun sens, cette congère n'est pas une richesse, la boire n'ôte rien au Reich. Aussi, timidement, il demande "pourquoi ?" à son gardien qui lui répond "ici, il n'y a pas de pourquoi". Je ne connais pas de meilleure illustration du besoin vital de pourquoi. Sur ce, je vais aller traîner mes interrogations hors de Paris. Bonne année à tous.