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13/01/2016

Ô temps, suspend ton viol (pardon...)

suspendu.jpgHa les remugles infâmes de l'instantanété.... Sur France Culture, entendre que la CDU a eu gain de cause suite aux atroces événements de la nuit du nouvel an à Cologne. "La peur n'est pas une vision du monde" disait le Général Von Hammerstein à Hitler, refusant de lui céder les pleins pouvoirs. Quelle phrase prophétique, insuffisamment entendue puisque 80 ans plus tard, elle reste d'une ardente actualité. Combien de simplifications, d'erreurs et de décisions inhumaines nous prenons quand nous nous laissons guider par cette simple émotion.

En l'espèce, le plus délicat est que le piège est énorme : ce qui s'est passé est atroce et chercher à excuser n'a pas sa place. On doit toujours chercher à comprendre et au fond, les thèses de Gustave le Bon sur la psychologie des foules reste pertinente, bien qu'insuffisante. Là où l'on cherche à nous produire l'imagerie mentale d'une foule d'immigrés (et comprenez "de musulmans/qui ne traitent pas bien les femmes") il y avait une foule hystérique et conditionné, répondant de façon pavlovienne à des injonctions haineuses : qu'un seul se lève dans l'horreur et les autres suivront. Mais cela n'a rien à voir avec leurs origines : Bourdieu avait levé le lièvre, la nuit où le plus de viols ont été commis en France est le 12 juillet 1998. En marge des champs Elysées, des filles étaient violées dans les bosquets, mais nous étions champions du monde, alors qu'importe... Cela ne remonte jamais, pas plus que les abus en tous genre dans les carnavals et autres spring break, qui restent des sas de décompression socialement acceptable donc on préfère ne pas voir les horreurs qui s'y commettent.

L'autre point gênant sur cette stigmatisation (encore une fois, ce qui a été commis est inacceptable, mais la récupération qui s'en suit est également révoltante et très peu reprises) des immigrés est qu'elle nous permet à peu de frais de ne pas balayer devant notre porte : 50% des viols sont commis par des proches et de la famille, souvent même le conjoint. Le violeur du parking reste exceptionnel, 3% des cas. Mais là, on peut ériger cet accident de l'histoire en exutoire : des hordes d'immigrés viennent prendre nos emplois et violer nos femmes....

La CDU s'est donc servie de ce fait divers pour demander à ce que tout étranger suspecté de harcèlement sexuel soit immédiatement expulsé. Dans le même temps, la majorité des violeurs ne connaissent même pas de procédures judiciaires contre eux parce que les victimes ont trop peur et que la société est dans le déni. Voilà un bien bel et triste exemple de doigt pointé à la lune et nous regardons le doigt...

10/01/2016

Tirons les leçons du pourrissement du royaume de Norvège

PHObae6a568-3503-11e4-99ab-aca933a9442f-805x453.jpgDe façon incompréhensible, à l'instar de ce qui s'est passé avec le Mariage pour tous (que notre Président a géré avec une bassesse de vue sans nom), Hollande joue le pourrissement du débat. Ceci lui permet de ne pas parler du reste, notamment de ses brillants résultats économiques, front sur lequel il s'est laissé enfumer par un patronat qui n'ose même plus porter son pin's "1 million d'emplois", contrepartie chimérique donnée en échange d'une baisse de 40 milliards (40 milliards, bordel) des prélèvements de charges sociales...

Ainsi, depuis plus d'un mois, nous poursuivons ad nauseam un simili débat pour savoir si l'on doit conserver la nationalité des terroristes, laissant aussi la porte ouverte à un Florian Philippot qui affiche la mine réjouie d'un chat devant un canari incapable de voler... Et le responsable du FN de proposer que l'on étende la déchéance à tous les auteurs de crimes de sang... Le concours Lépine est en marche.Ce matin, NKM déclarait au micro d'Europe 1 qu'au fond entre deux maux elle choisissait le moins pire et optait pour la déchéance pour tous, car "un traître est un traître et tant pis si cela doit passer par le fait de faire quelques apatrides". Et on parle d'une des voix les plus modérées.... C'est bien cela le drame : quand on joue avec le feu et qu'on avance vers de nouvelles boîtes de Pandore, le pire est certain. C'était bien la peine d'avoir des hauts le coeur en 2010 après le discours de Grenoble de Sarkozy pour faire pire 5 ans après. Et qu'on ne vienne pas nous dire qu'en 2010, les attentats n'avaient pas eu lieu : la politique réfléchit à des principes, à des directions communes et intemporelles, pas à des palinodies au gré d'accidents (même tragiques) de l'histoire.... On adapte les lois économiques aux modifications économiques, nouveaux horaires et autres, mais en matière de sécurité, il n'y a rien de "nouveau" que dans la tête de nos dirigeants qui créent une nouvelle loi chaque fois qu'un drame survient. On l'avait beaucoup reproché à Sarkozy, cette justice du fait divers : pourquoi reproduire ce dont on sait que cela mènera à l'impasse ? 

Tirons tout de même les leçons de ce qui s'est passé en Norvège, voici quelques années. On reprend souvent la citation "nous répondrons à la barbarie par davantage de démocratie et davantage d'ouverture". Dans une excellente émission sur France Culture hier, consacrée au Deuil en politique, une journaliste norvégienne faisait un petit point 5 ans après la tuerie d'Utoya.... et concédait, penaude, que 5 ans après la fermeture gagnait le pays : des frontières, des comportements, dans les recrutements.... La conclusion de la journaliste était que la tromperie était d'envergure et que la population ne se sentait absolument pas plus en sécurité, mais que le poison de la suspicion s'était instillé dans le corps social et qu'un nombre croissant de norvégiens subissait le repli sur soi décrété sous le coup de l'émotion par quelques décideurs. La même logique mortifère nous guette : il est encore temps de réfléchir et donner un coup de barre à gauche...

05/01/2016

Bourdieu en Amérique

51v-sOA+YyL._SX283_BO1,204,203,200_.jpgUn auteur qui dit dans son prologue qu'il commence une ethnographie avec la certitude de savoir ce qu'il va trouver, ça n'est guère engageant. Mais quand il finit en admettant qu'il a rencontré tout autre chose lors de son terrain et qu'il admet son erreur, c'est nettement plus emballant. Voilà la bonne surprise que m'a révélée "la nouvelle école des élites" de Shamus Khan. L'auteur retourne à St Paul, lycée d'élite des US où il a eu la chance de faire ses études voici une dizaine d'années. Il pense retrouver des séparations ethniques très fortes, comme de son temps et découvre que ça n'est plus le cas. Et que l'on cite autant Beowulf que Les Dents de la Mer en cours... Que méconnaître son Jay Z vous vaudra plus de railleries que quelques absences sur l'oeuvre de Mozart. Tiens, se dit l'auteur, quelque chose a changé dans l'élite américaine se dit l'auteur, qui chausse alors ses bésicles bourdieusiennes pour se lancer dans sa passionnante ethnographie. 

 Car c'est bien une micro Distinction à laquelle se livre Shamus Khan qui étudie dans le rapport au travail "très présent" pour ne pas laisser croire qu'on est un héritier, dans le rapport au corps "forcément libéré" ce à quoi les humbles accèdent plus difficilement, a fortiori en public, que s'érigent les nouvelles frontières de la distinction parmi les jeunes américains. Il cite en contre exemple les années 70 et 80 ou des ultra riches pouvaient venir en cours avec des souliers rafistolés quand leurs parents pouvaient racheter des usines de chaussures : c'était leur manière à eux de montrer que les bassesses matérielles ostentatoires ne les intéressaient pas, ils savaient qu'ils pourraient toujours se sauver des périls matériels. Aujourd'hui, cette vérité d'hier s'est étendue au capital symbolique. Il faut montrer que l'on ne redoute pas l'institution, les profs sévères, les rites initiatiques, qu'on regarde tout cela avec bonhommie, avec l'assurance frôlant la morgue des dominants. 

Ce constat ne nous éclaire vraiment que lorsque l'on observe l'autre côté de la montagne, où les dominés s'esbignent à se hisser au niveau de leurs camarades mieux nés sans certitude d'y arriver... Ainsi, des élèves noirs vont plus aux cours que les autres et pourtant, ont de moins bonnes notes. Quelle meilleure illustration des inégalités antérieures qui se sont creusées ? Ainsi des jeunes femmes qui ne savent quelle attitude adopter face à la revendication d'une sexualité débridée sur le campus comme nec plus ultra de l'intégration réussie ? Faites le maladroitement et vous passer pour une traînée quand les héritières habiles savent passer pour des mantes religieuses.... Au final, on reproduit une élite qui se colore un tout petit plus car l'a montré Bourdieu, pour peu que l'on s'y prenne assez tôt, n'importe qui peut apprendre les codes des dominants qui ne sont rien d'autre que cela (des codes) mais si un discours s'ingénue à les muer en "compétences" ou "talents". Et c'est ainsi que l'élite américaine mue, avec cette cohabitation forcée sur les campus qui oblige les blancs aristocrates à s'intéresser aux références de ceux qu'ils n'auraient probablement jamais croisés si la vie sur le campus ne leur avait imposé. Cela ne remet en rien, pour autant, leur conception du monde... 

A la fin de son introduction, l'auteur note : "L'Amérique du XXIème siècle est de plus en plus ouverte, mais toujours aussi inégalitaire. Le prochain grand défi qu'elle va devoir relever sera de trouver une solution à ce paradoxe"... Mais vers la fin de son exposé, il donne des chiffres vertigineux : les noirs aux Etats Unis ont des revenus moyens équivalents à 60% de ceux des blancs et dans l'absolu, ils génèrent 16 fois moins de richesses pour le pays. Quand on sait dans le même temps que les noirs américains ont plus de 8 fois plus de chances d'être incarcérés que les blancs, on réalise l'ampleur de la tâche et on voudrait changer l'introduction pour dire que le pays est "de plus en plus" inégalitaire. C'est tout à fait la vision que je me fais des Etats-Unis d'aujourd'hui : une société féodale, avec des baronnies et des communautés fermées. Pour éviter les jacqueries qu'on appellerait aujourd'hui soulèvements ou révolutions, il est crucial que l'élite cite les codes des humbles (d'où les références au Hip Hop) ce qui permet de s'acheter une culture populaire à peu de frais, plutôt que de ramener l'égalité économique. Et puis, les références ne suffisant pas, on tire quelques figures au hasards dans une grosse loterie de la misère, quelques femmes, deux noirs, un latino, deux lesbiennes et un aveugle.... Le basketteur Charles Barkley avouait qu'il avait cessé d'être noir lorsqu'il avait gagné son premier million $ et et Barack Obama a perdu la spécificité négative de sa couleur de peau lorsqu'il fut diplômé d'Harvard pour le retourner à son avantage. Mais je m'en voudrais de détourner le propos d'un livre que j'ai tant aimé. Je laisse la conclusion à l'auteur : "En conséquence de l'inégalité démocratique aux Etats-Unis, la fabrique du privilège continue de reproduire l'inégalité et les privilégiés de prétendre que la société est juste; car les armes des faibles sont neutralisées, et la responsabilité de l'inégalité est imputée aux laissés pour compte du rêve démocratique américain".