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15/02/2016

Baron Noir, c'est trop noir ?

fipa-on-a-vu-baron-noir-la-nouvelle-serie-de-canal,M296183.jpgLa retape qui a accompagné la sortie de la nouvelle série de Canal +, Baron Noir, est sans doute mérité. C'est une excellente série parfaitement renseignée, ce d'autant plus que la plume fut celle de Mélenchon et de Dray dans "la vraie vie" comme le veut étrangement l'expression consacrée. Une découverte des premiers épisodes de la série nous aimante en même temps qu'elle nous met terriblement mal à l'aise. Je comprends le besoin d'attirer le spectateur et, ce faisant, d'en rajouter, mais tout de même... L'audimat justifie-t-il les moyens ? C'est cette question, aussi bateau que biaisée, que l'on ressasse après avoir vu la série.

Dès le premier épisode (je n'irai pas au delà pour pas gâcher...), dès les premières minutes, on a un trou dans la caisse, des dizaines de milliers d'euros en liquide qui disparaissent et un suicide sur la conscience. Pourquoi tant de fascination pour la surenchère dans le dégueulasse chez les politiques ? Il manque juste le meurtre à mains nues et pour ça, pas besoin de chercher des masses, juste de traverser l'Océan et de regarder House of Cards, série qui fascine nombre de journalistes politiques. Ceux qui ont vu cette saga grand guignolesque le savent (et pardon pour les autres) celui qui deviendra le Président des Etats-Unis tue, de ses mains (!!!) un député et une journaliste politique. La lecture de ce scénario sous la plume de n'importe quel inconnu vaudrait à leurs auteurs un renvoi devant le premier cours de création fictionnelle pour incompétence notoire. Pour autant, la série a récolté de nombreux prix et moult laudes chez nombre d'observateurs et de critiques. Des amis travaillant avec ce margoulin inculte de Michaël Darmon l'imitait déambulant dans les couloirs de rédaction en singeant Kevin Spacey, poings crispés et hurlant "no conviction, no conviction !". Nous sommes là typiquement dans un cas de prophétie auto-réalisatrice où l'appétence des commentateurs pour le suintant vient être confirmé par des créations fictives... Le problème de cette déviance intellectuelle est qu'elle pousse à la fuite en avant : quand bien même en ouverture vous souhaitiez juste un peu de poncifs pour mieux camper l'intrigue, après vous êtes pris dedans et contraint à surenchérir. Alors tout y passe, des histoires de coucheries entre meilleurs ennemis à la fille du héros qui se découvre - forcément - lesbienne. Vous comprenez bien qu'une ado de 15 ans bêtement hétéro, ça n'apporte aucune plus-value à la série. Et ainsi de suite, ad nauseam... 

On nous dira que c'est la loi du genre, qu'on est obligé de faire cela pour faire de l'audience. sornettes. La réalité politique quotidienne peut suffire à dresser de beaux portraits, comme c'est le cas dans un film tel que L'exercice de l'Etat. De très belles séries beaucoup plus nuancées et subtiles comme The West Wing ou Borgen avaient, elles aussi, de très beaux succès d'estime, mais rencontraient un public si ce n'est confidentiel, disons beaucoup moins large... L'empreinte mentale des séries à clichés déformants excède celle des autres et le mal est fait. Mais je maintiens que les autres séries, pour peu qu'elles aient connu la moitié du soutien (du battage ?) entourant la sortie des autres, auraient pu faire largement aussi bien en termes d'audience. Et cela ferait du bien au delà des écrans.

En effet, outre le rapport à la morale, à l'argent, les séries aux clichés déformants tuent également le rapport que les responsables politiques entretiennent avec le temps : celui de la réflexion, de la concertation, des discussions et des doutes est systématiquement gommé de l'écran car pas assez télégénique. On n'y voit uniquement les actions, les coups bas, les coups de fils et les coups de pression. Comme si l'action publique se résumait à une inextinguible litanie morbide. On a tous notre responsabilité et dans un moment où notre croyance dans le commun par le politique est si faible, cela n'aide pas. Inutile d'incriminer les créateurs, les artistes ont tous les droits. Mais s'ils ont eu cette idée, c'est qu'ils ont pensé que le public attendait cela. Et c'est ainsi que le cercle vicieux est grand. Bien trop grand. 

13/02/2016

L'effarante duplicité de nos élus

janus.jpgDis moi d'où tu parles camarade, mais dis moi surtout dans quel micro tu t'exprimes. Rarement cet adage m'est apparu avec autant de forces que ces derniers mois. Gilles Boyer, le directeur de la campagne d'Alain Juppé, a sorti un chiffre que je n'ai aucune raison de contester : il y aurait 400 interviews politiques par mois en France, j'imagine dans des ondes, écrans ou colonnes avec un minimum d'audience. Bon. Quand on n'a pas la notoriété de Chirac, Sarkozy, Valls ou Hollande, ça contraint à se démarquer à chaque sortie, à trouver la réplique qui fera le sel de la journée en tournant en boucle. Mais l'époque n'est plus à écouter les ronronnements du cardinal de Retz qui seraient entrecoupés d'une sortie fracassante, de temps en temps. Du coup, tant qu'à faire, on se crée un avatar médiatique simplifié qui va plus vite.

Nos élus ont-ils pour autant simplifié à l'extrême leur pensée ? Pensent-ils vraiment comme ils le clament souvent sur les plateaux télés que : "le problème c'est". En général suit, selon les questions "l'autre", "les impôts", "les normes", "Bruxelles", "les élites", "lIslam", toutes propositions s'inscrivant en droite ligne de la brillante saillie de Manuel Valls déclarant qu'on ne doit plus chercher à comprendre... 

Mais tous ces hommes et femmes politiques qui cherchaient à comprendre auraient cessé de le faire avec l'avènement de la TNT, des chaînes en continue, d'Internet ? Hum, j'ai comme un doute. En écoutant Bruno le Maire, dans "l'Atelier du pouvoir" sur France Culture nous distiller ses vues sur la liberté, économique comme sociale, disserter avec aisance sur Tocqueville, on peine à croire que c'est le même homme que celui, qui, chez Bourdin, est une sorte d'épigone politique d'Eric Zemmour, parlant par phrases courtes et simples, avec des idées simplistes sur les questions identitaires, religieuses, sécuritaires et d'immigration, qu'il relie avec une aisance aussi notable que vomitive... Toutes associations douteuses qu'il se refuse évidemment à faire sur France Culture. Auquel faut-il accorder sa confiance ? Peut-on accorder sa confiance à une telle duplicité ? L'évidence ne peut être que non. S'adapter et adapter son discours est une chose, se renier en est une autre. On peut attendre que les politiques s'auto-régulent et cessent de se renier en espérant qu'ils comprennent les vertus d'un discours unique et de clarté. Autant attendre que les poules disposent de prothèses dentaires. Aussi faudrait-il et à l'orée du dispositif "Présidentielle 2017" qui envahira bientôt tout, c'est essentiel, recentrer l'éthique journalistique pour ne pas pousser à cette duplicité. Ne pas aborder 17 thèmes en 10 minutes, ne pas faire rebondir sur les remugles de l'actualité et chercher à explorer un sujet à la fois. Ca ne doit pas être irréalisable, c'est en tout cas bigrement nécessaire. 

08/02/2016

Le piège protéiforme du professionnalisme politique

500_F_1272335_aXlNPeNHnOmWPQJr5pvAYaKrjzjyio.jpgEn début de semaine dernière, j'ai déjeuné avec un ami, jeune élu d'une campagne assez isolée cumulant un paquet de problèmes : la faucheuse de Sarkozy y a passé ses 3 lames : adieu caserne, tribunal, et pour l'hosto on prépare les chrysanthèmes. Ajoutez à cela un haut débit en panne et quelques menues considérations que je vous passerai, son job de Président de l'intercommunalité n'est pas précisément une sinécure. Nous avons le même âge mais pas vraiment les mêmes loisirs. Il ne pense pas à se plaindre, il aime son boulot, passionnément. Bien sûr, étant un socialiste de gauche, il souffre beaucoup depuis quatre ans (c'est long quand on les passe à avaler des couleuvres) et nourrit une rancoeur indélébile contre la ligne actuelle, mais au-delà de cela alors que je l'interrogeais sur l'avenir, il me dit qu'il a démissionné de son autre poste politique (sur Paris) pour chercher du travail. "Je ne veux pas me retrouver à 45 ans et à être obligé de le faire. Parce qu'alors, je réaliserais que je ne sais rien faire d'autre et je me retrouverai, que je le veuille ou non, obligé d'être un professionnel de la politique". 

Un aveu de lucidité déconcertant. Et pour être honnête un peu excessif dans l'autoflagellation. Issu d'une famille modeste, il avait travaillé avec des responsabilités importantes dans un groupe de l'économie sociale pendant 5 ans. Un bilan qui n'a rien d'anodin. Rien qui puisse le faire rentrer dans ce que l'ex ministre Michèle Delaunay avait appelé "le tunnel". Pour autant, insuffisamment d'expérience pour qu'il se sente capable de bosser hors politique. Etonnant. Il a fait de solides études humanistes, a donc ces 5 années d'expérience et aujourd'hui s'investit dans des dossiers très techniques comme la gestion des déchets, l'implantation de SEM et autres installations du haut débit. Même ses adversaires politiques lui reconnaissent que contrairement à l'immense majorité des élus, il sait lire un bilan et un compte d'exploitation. Il adore ça d'ailleurs.

Je vous entends déjà. Oui, il dit ça mais il est bien allé chercher ses mandats. Bah non. Nombre de jeunes élus le sont des suites d'une campagne volontaire, d'un contexte national porteur et d'une envie de renouvellement, mais sans avoir anticipé une possible élection. Dans le cas de mon ami, c'est clairement le cas, il venait voir comment se passaient les élections sans penser une seconde pouvoir gagner (la gauche ne l'avait pas fait depuis Napoléon...) alors une fois la surprise passée, il fallut bien s'organiser. Et si nous avons beaucoup trop d'élus, nous manquons en revanche de cadres de bons niveaux, raison pour laquelle son job de Président de l'Intercommunalité lui prend beaucoup de temps : impossible de déléguer. Donc on l'encourage à être élu. Et tout s'organise en coquille d'escargot pour se couper des emplois non élus. Après deux mandats, comme mon ami me le redoute, force est de constater que ça devient difficile. Et que nos élus n'ont pas modernisé la vie publique de sorte que les passerelles soient plus simples.

En effet, sur ce sujet aussi, notre incapacité à nous réformer bat des records... Bruno le Maire se félicite d'avoir démissionné de la haute fonction publique, mais premièrement il ne sera pas suivi par tous, deuxièmement, on l'Assemblée Nationale n'est pas composée que de hauts fonctionnaires. Au-delà de ces quelques cas, où est la réforme des institutions promise depuis des décennies qui empêcherait les élus de le rester pendant 40 ans ? Et encore ne sommes nous peut être pas au bout de nos surprises puisque Les Républicains annoncent d'ores et déjà leur volonté de revenir sur le cumul des mandats... Un réflexe de trouille pour s'assurer encore plus d'élus professionnels à vie, cumulant pour arriver à des indemnités à 5 chiffres, voilà une attitude à rebours de ce qu'il faudrait : aider les élus à mettre en avant ce qu'ils savent faire, dans une logique de VAE, pour aller travailler dès qu'ils perdent ou se retirent / public, privé (hors conflits d'intérêts liés à leurs fonctions précédentes évidemment) ou associatif, peu importe. L'important est que dans un marché de l'emploi qui devient de plus en plus liquide, avec des sinusoïdes, on puisse s'engager dans la vie publique avec la certitude de pouvoir en sortir et y revenir plus tard pour apporter autre chose. Et une doléance de plus pour 2017...