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17/04/2016

Vive le politiquement incorrect de gauche

buzz-jour-censure-politiquement-correct-lexpo-T-1.jpeg"L'hégémonie réac n'est pas irréversible" déclarait récemment l'écrivain Laurent Binet dans une interview au trimestriel Usbek & Rica. Bien sûr que non, pour cela même qu'elle n'existe que depuis une quinzaine d'années et que le même retournement est possible, du côté progressiste, cette fois. Traumatisés par la chute du mur de Berlin, les intellectuels de gauche se sont calfeutrés, rabougris, effacés, évanouis. Surtout, ne plus aller sur le terrain de la lutte, tendre l'autre joue et se déplacer dans l'espace intellectuel autorisé, celui du politiquement correct. 

Il ne s'agit pas de remettre en cause cette pensée là : le fait de museler le langage pour éviter les dérives racistes (en tous genres, gonflez pas) n'a rien de répréhensible, bien sûr, mais c'est incomplet. Et surtout pas adapté aux pensées reptiliennes de l'axe Zemmour / Finkielkraut qui l'emporte depuis une quinzaine d'années, donc, avec leur doctrine : le problème c'est l'autre, on paye trop d'impôts, c'était mieux avant, vive la blouse, les femmes à la cuisine (en résumé). Terrorisés, les intellectuels de gauche passent leur temps à s'excuser de contrer cela alors même qu'en face, ils ne s'excusent pas du tout d'être des néo beaufs ! Dernier avatar ridicule, une anicroche survenue hier soir lors de Nuit Debout qu'on peut voir . Déjà ce matin, des belles consciences s'effraient : Nuit Debout est un mouvement pacifiste et là, quand même ils ont dit "dégage" à Alain Finkielkraut qui passait par là. L'ont-ils molesté avec des piques, des barres de fer, traité de "sale juif" ? Non non, ils lui ont dit "dégage" et le philosophe bougon a même rétorqué "fascistes". 

Pourquoi diantre prendre la défense d'un énorme réac, qui vomit la jeunesse, la gauche et la contestation sociale depuis des années et à qui il a simplement été fait un rappel des faits ? C'est presque un honneur pour ce penseur dont peu de livres rencontrent un écho d'avoir vécu son moment Aragon. Le grand écrivain communiste, chahuté par la foule estudiantine de 68 s'était fait mettre hors du cortège. C'est un honneur pour Finkielkraut d'être ainsi reconnu par la foule, chahuté, comme s'il incarnait quelque chose. Surtout, ne pas s'excuser, avancer, retrouver le goût de la disputatio et celui des grands enjeux. Ce qui réunit les participants de Nuit Debout, c'est une lutte sociale et écologique forte dans un pays fracturé. C'est tout de même plus important qu'un propos, à peine dérangeant, à l'encontre d'une vieille baderne aigrie. Manuel Valls soutiendra sans doute Finkielkraut comme il a soutenu la direction d'Air France contre les "irresponsables" agresseurs syndicaux. Quelques mois après, passée l'émotion de l'image de la chemise arrachée, la violence est indubitablement du côté de l'actionnariat aérien. Il en va de même pour hier soir, la vraie violence est déversée chaque semaine sur France Culture dans "Répliques" une émission rance d'Alain Finkielkraut. On peut parier qu'il consacrera une émission à ce qui lui est arrivé et qu'il en profitera pour conspuer les nouveaux gauchistes. Ne pas se laisser distraire, avancer. Et enfoncer les néos réacs. 

Post scriptum : Penseurs de gauche encore en fonction. Frédéric Lordon, Thomas Piketty, Esther Duflo, François Héritier, Eric Fassin, Didier Fassin, Réjane Sénac..... 

12/04/2016

Etre ou ne pas être NuitDebout

hamlet-250x250.jpg"A la télévision, il ne peut y avoir qu'un seul méchant à la fois". Cette phrase du fondateur de CNN, Ted Turner, n'a jamais été démenti. Sur des sujets tragiques, cela correspond au fait qu'après avoir été la pire atrocité humaine, Bachar est soudainement devenu fréquentable quand le méchant s'appelle désormais Daech... 

Cette même logique binaire arrive avec NuitDebout, le mouvement de cristallisation d'une myriade de différents ras-le-bol sociaux. Initialement, les commentateurs en manque de récits politiques nouveaux ont d'abord aimé dire qu'on assistait à la naissance d'un Podemos à la française. Mais une semaine après, point d'Iglesias, alors la fascination s'estompe peu à peu. Surtout, quelques crétins (sur un mouvement comptant plusieurs dizaines de milliers de soutiens) cassent trois voitures et voilà une occasion pour les éditorialistes de ranger NuitDebout à côté des zadistes.... Des racailles antirépublicaines, en somme.

Cette vision en dit long sur la possibilité de traiter un mouvement comme celui là dans les médias audiovisuels qui répondent tous à cette matrice qu'ils dénoncent : bi voire tripartisme (comme si le plan à 3 avec le FN était l'écart qu'un couple marié depuis des décennies s'accorde pour rompre la routine et ne pas mourir idiot) et une présidentielle tous les cinq ans. Toute nouveauté, toute actualité, tout mouvement politique doit être lu à cette aune : quel impact dans les urnes, quel mouvement à venir en vue de 2017, 2022 ? Ecoutons Léa Salamé ce matin sur Inter s'interroger tout de suite sur la capacité de NuitDebout de renverser la gauche de la gauche...

Il suffit de passer sur la place de la République pour les parisiens (et ailleurs pour les autres, mais j'imagine que c'est la même logique) pour comprendre que la binarité peut difficilement s'appliquer à un mouvement se réclamant de la convergence des luttes. Convergence des luttes sociales : précaires, chômeurs, intermittents (mis à mal par un accord scélérat de la CFDT dans le cadre de la loi El Khomry)... Main dans la main avec les luttes écologiques. Bon. On voit bien que la lame de fond est modérément à droite, modérément libérale et modérément capitaliste. Même Léa Salamé doit pouvoir comprendre ça sans demander dans la minute s'ils sont plutôt pro Mélenchon, Duflot ou Montebourg... 

Comment ne pas voir l'évidence à savoir que le vrai problème dénoncé par NuitDebout, comme Podemos, mais comme Ciudadanos, Lawrence Lessig aux USA, les marches monstres en Pologne, le vrai problème c'est l'état comateux de nos démocraties ? Ça n'est pas le casting qui est en cause, mais les trahisons démocratiques successives : quand on met l'urgence écologique en une avec la COP21, mais qu'on ne s'investit pas comme promis en faveur d'un autre modèle énergétique et productif, la colère est légitime. Lorsqu'on promet, mondialement, de s'engager en faveur d'un autre modèle économique expurgeant la finance aveugle et qu'on se retrouve avec PanamaPapers, l'insurrection peut s'entendre. Enfin, elle devrait.

Le refus de nos commentateurs de changer de matrice vis à vis de ce mouvement est plus que pénible, problématique. Déjà, le barouf autour de la primaire à droite va réduire les ornières du débat à la question "avec ou sans Juppé" et à gauche, "Hollande ou quelqu'un d'autre mais si possible de son gouvernement ?". Sans offenser nullement les personnalités évoquées ici, c'est en voyant l'ampleur des débats proposés qu'on comprend mieux le slogan né sur Internet, #Onvautmieuxqueça. Ho que oui... 

09/04/2016

Jugement en appel au secours

maxresdefault.jpgUne série culte des années 80 séparait le juge et l'assassin, celui des Prud'hommes qui a osé rendre "l'arrêt du coiffeur" hier, cumule les deux fonctions. Juge des Prud'hommes et assassin de la République. Il faut relire l'hallucinant attendu de justice "en se plaçant dans le contexte du milieu de la coiffure, (…) le terme de PD employé par la manager ne peut être retenu comme propos homophobe. (...) Il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles, notamment dans les salons de coiffure féminins, sans que cela ne pose de problèmes». Heureusement, il y aura appel... Ca n'est pas un simple appel, mais une alarme, un SOS. 

En effet, tout le monde sait la puissance d'un arrêt faisant jurisprudence et qui peut ruisseler. En l'espèce, si "PD" n'est pas homophobe dans le milieu de la coiffure, alors "pourri" ne l'est pas chez les élus, "youpin" dans la finance de marché (ou les médias) "crouille" dans le BTP, "salope" chez les attachées de presse, "pédophile" chez les curés ? Et ainsi de suite, ad nauseam... Ce que dit la rhétorique de cet arrêt, c'est qu'il n'y a pas de fumée sans feu et qu'il ne faut pas s'offusquer de dire tout haut ce que beaucoup de monde pense tout bas...

Dans un pays fracturé par des inégalités sociales grandissantes et sur lesquelles on ajoute des meurtrissures identitaires à vif, je ne sais pas ce qui a pu se passer dans la tête du juge ? Il a tout bonnement fait ce que font au quotidien Zemmour, Menard et autres : il a dit "merde au politiquement correct". Au "on ne peut plus rien dire" qui étoufferait toute possibilité d'expression en France. Les tenants de ce courant mélangent tout et prennent appui sur la dernière campagne de censure sur le web pour jouer les martyrs. Une série de cuisine arrosée devait être diffusée par Canal + et a été déprogrammée au motif qu'elle faisait l'apologie de l'alcoolisme. Si l'on peut sans doute discuter de l'opportunité d'une telle interdiction, il est faux de dire que l'on ne peut rien dire en France. Et au fond, les entraves juridiques aux injures raciales, sexistes, homophobes, sont des marchepieds nous aidant à devenir une nation adulte. "Ca commence par des injures" dit la campagne contre le racisme du gouvernement. Ca commence aussi dans la cour de récré, où le "sale PD" est un bruit de fond connu. Si les juges, l'incarnation ultime de la droiture permettent aux gamins de le gueuler plus fort, il ne faudra pas s'étonner que nous devenions une nation de délinquants... A l'aide !