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22/03/2017

Macron progressiste, de qui se moque-t-on ?

imgres.jpgDepuis le débat de lundi, on nous explique que plus que droite/gauche, le clivage serait sur société ouverte ou fermée d'une part et d'autre part sur le duel entre progressistes ou conservateurs. Et c'est là où ça biaise car la société ouverte est à la fois progressiste et terriblement conservatrice... On peut considérer l'abolition des frontières, des identités nationales, de la circulation des hommes et des cultures comme progressiste. On peut aussi dire que le progrès c'est avant tout de prendre soin de la planète et que ce même progrès nous impose de relancer les circuits courts, de se défier des progrès façon Monsanto qui détruisent les sols, de remettre des protections intelligentes, en somme. Le progrès c'est l'émancipation sociale, donc encourager le dumping social comme le font des directives types Bolkenstein n'a rien d'une amélioration...

Si l'on reste juste sur le second débat, la sémantique biaise le débat : qui n'a pas envie de progresser ? Qui veut rester là où il est quand on nous dit que rien ne va ? Le progrès, cette idée neuve en Europe depuis Saint Just est rarement remise en problématique par l'ensemble des commentateurs, qui se contentent d'agiter quelques mots clés pour catégoriser ad minima. En gros : pro LGBT et migrants = progressistes. Anti IVG et migrants = conservateurs. A cette aune, Macron apparaît comme le champion du progressisme et là l'honnêteté vous pousse à dire : de qui se moque t'on ? Je ne sais pas s'il est le plus conservateur de tous les candidats, sans doute pas, mais pas loin... A des années lumières des progressistes Mélenchon et Hamon. Si l'on regarde les propositions : 

Sur le "récit national", d'abord car c'est qu'il pêche le plus et se montre au grand jour. A t'on oublié sa déclaration d'amour à Jeanne d'Arc dans une pitoyable relecture héroïque ? Sans aller jusqu'à "la dissertation d'élève de 3ème" de Mélenchon, convenons que ce discours était dispensable... Mais tout sauf un accident : Macron a fait sa rentrée politique 2016 au Puy du Fou, ce summum de délire réactionnaire voire historiquement révisionniste. Il a passé la journée avec De Villiers de son plein gré. Chacun sera juges. Depuis, il y eut ses propos pour le moins ambigu sur la colonisation, sur le mariage pour tous et récemment sa navrante annonce de volonté de réouvrir les chasses présidentielles, cette empyrée de la Giscardie triomphante... On est loin de Boucheron qui irrigue plus les discours et récits d'Hamon et Mélenchon.

Sur les institutions : 6ème République, constituante, 49-3 citoyen d'un côté. Des outils nouveaux, mais surtout plus démocratiques, associant plus de monde. Que propose Macron ? La soupe gentiment proposée par tous les think tanks pour diminuer les dépenses publiques comme seul finalité, avec moins d'élus, mieux payés et toujours autant de pouvoirs au Parlement et rien pour les contre-pouvoirs : le retour des Baronnies, en somme...

Sur la sécurité, les 10 millions de téléspectateurs de TF1 lundi ont découvert, ahuris, un Macron qui croit aux vertus réparatrices de la prison. Pas une feuille de papier à cigarettes de différence avec Fillon. Un discours des plus rances, réactionnaires, bêtement sécuritaire et avec une conception surannée de la violence. Quand Hamon et Mélenchon lui tendent des perches sur la délinquance en col blanc et tout ce qui détraque la société, il élude poliment, pas son genre d'attaquer les copains. L'important c'est que tout le monde purge sa peine. Charles Pasqua n'aurait pas dit autre chose...

Sur le travail ? C'est le pire : travailler plus, "meilleur moyen de se payer un costard c'est de travailler" et ad nauseam, une conception d'une méritocratie XIXème siècle au moment où l'on sait qu'elle n'existe plus, une précarisation assumée ("Uber est un bon modèle" répété environ 1 million de fois) pour plus de "flexibilité". Le cours de l'histoire, c'est la baisse du temps de travail et la hausse des protections grâce à l'enrichissement des nations. De ce point de vue, le revenu universel est une idée progressiste. Encore une fois, ça ne veut pas dire que c'est bien, ou même souhaitable, mais ça va dans le sens de l'histoire. Macron propose le retour au paternalisme, la blouse à l'école (ou quasi, il veut l'interdiction des téléphones portables, qui soit dit en passant est déjà possible, mais c'est une bonne illustration de son populisme light...) et les choses seront bien gardées.

Au fond, Macron c'est Rastignac ripoliné à la sauce XXIème siècle. Il hèle un Uber plutôt qu'un Tilbury, encense les autoentrepreneurs plutôt que des forçats. Seule permanence entre les deux époques : la banque Rothschild, l'assurance que l'ordre ancien prévaudra... 

20/03/2017

Variations sur les normes

timthumb.jpgEn démocratie, l'autoritarisme se cache dans les normes. Ce sont elles qui illustrent le mieux le caractère obsolète de nos institutions : l'absence de débats pour nous imposer des décisions dont nous ne voulons pas.

La justification des normes peut prendre plusieurs tournures, mais le "on nous a dit que c'était comme ça" passant mal, on brandit de l'urgence mondiale, la catastrophe imminente a tort et à travers. Essayez de fumer à moins de vingt mètres d'un non-fumeur, vous aurez bientôt une amende. Oubliez votre sac 30 secondes quelque part, il sera pulvérisé. "Normes sanitaires/sécuritaires". Circulez. Dans le même temps, les mêmes responsables oublient le glyphosate, autorisent de la vaisselle plastique et lavable dans les cantines scolaires même si l'on ignore le devenir toxique de ladite vaisselle après lavage, massacrent la planète avec la bénédiction de ceux qui changent les normes du jeu pour rendre le massacre si ça n'est acceptable, du moins légal. L'avenir de la démocratie, c'est reprendre la main sur ces directives qui changent concrètement la vie de tous et qui sont décidées par une poignée.

Hier avec l'amoureuse nous finissions notre week-end et arrivons au cinéma pour voir une merveille de Kaurismaki, le film finissait 20 minutes avant notre train, le pied. Refus de la caissière du cinéma "normes de sécurité" dans ce petit cinéma d'art et d'essai. Je propose d'ouvrir les valises. Elle ne veut rien entendre. Nous filons à la gare, tant pis on payera une consigne "l'etat d'urgence a fait supprimer les consignes dans les gares pour cause de terrorisme" me dit l'agent sncf devant la gare déserte... il reste 10 minutes avant le film, nous croisons un hôtel Mercure. Et fonçons. La préposée écoute notre requête et nous fait la même réponse navrée "valises = terrorisme". Nous faisons alors la tête dépitée du chat dans Shrek et soudain elle dit "pour 2h seulement hein? Venez laissez les moi". A quoi ça tient, la désobéissance civile. (Et merci madame)

12/03/2017

Culture et accélération, piège à cons

20160506000735_Auto_acceleration_3.jpgLe temps est le seul actif incompressible, non modifiable et égal pour tous. Une minute de Bill Gates passe à la même vitesse qu'une minute pour un quidam. On peut jouer un peu sur le sommeil, vieillir en meilleure santé et obtenir, grâce à sa fortune, que d'autres fassent pour vous un certains nombre de tâches domestiques. On peut, mais même en étirant au maximum les inégalités de temps libre n'ont rien à voir avec celles de richesses. Au fond, on est toujours face à soi même dans son rapport au temps, nos choix, nos contraintes ou envies.

Dans une société fondée sur la consommation, le temps est l'ennemi, la limite. Dans "le capitalisme à l'assaut du sommeil", Johnatan Crarry montre les avancées marketing pour essayer d'optimiser, de traquer, de débusquer des consommateurs y compris la nuit, mais nous arrivons au bout. Nous ne pouvons guère réveiller davantage, interpeller ou harceler davantage, alors l'autre solution c'est d'accélérer. Après tout, le temps c'est de l'argent, adage bien connu pour les transports : le TGV c'est mieux que les cars, mais c'est plus cher, aussi. L'argent vous permet des accès privilégiés, premium, avec moins de monde. Avoir une prise plus rapide avec le savoir. C'est là où le solutionnisme entre en scène : le mythe du savoir infini à portée de smartphone. "Cultivez-vous à l'infini. Maintenant !", vous hurle le petit lutin messianique...  Après cela, il y a le temps qu'il faut pour découvrir des oeuvres et celui-ci est incompressible. Pas de pot. 

Dans le film "bande à part", les 3 héros de Godard traverse le Louvre en 9 minutes 43. Fort bien. On peut. Qu'en aura t'on retenu à une célérité où Vermeer, Vinci et Rembrandt sont identiques ? De même qu'on peut acheter des tas de livres pour tapisser ses murs et impressionner ses hôtes. Mais quel temps s'accorde-t-on pour les lire ? C'est là le hic. 2,4% des acheteurs du pavé sur le Capital de Thomas Piketty en sont venus à bout (le Castor fait partie de cette minorité, avec, concédons le, une certaine opiniâtreté car le plaisir de lecture n'est pas présent de bout en bout des 1000 pages... ), classique des pavés livresques aux auteurs affables en promotion, mais au propos moins emballants : Sarte avait fait le coup avec "l'idiot de la famille" et Johnatan Littel itou avec son roman fleuve "les bienveillantes".

La start up Koober s'engouffre dans cette brèche avec une proposition moisie : résumer les livres pour vous permettre de les lire plus vite. Et donc d'en lire plus. D'augmenter son savoir. Lire Proust en moins de deux heures, c'est bien une idée de génie, non ? Quelle misère... Quelle incommensurable misère humaine, à quel point faut-il être malheureux, complexé, dégoûté et peu curieux pour s'abaisser à faire sans contrainte ce que les cossards lycéens faisaient sous la contrainte de la dissertation à venir avec la collection "le profil d'une oeuvre". 

Cette tendance au speed, que ce soit reading, watching, seeing a quelque chose de navrant et d'un peu désespérant, c'est une négation de l'existence. Vivre, c'est choisir. Notamment pour les adultes. Connaître nos limites, connaître nos envies et nos goûts et ne pas nous contraindre à suivre la voie du reader digest. Ma première tendance quand je songe aux utilisateurs de Koober, comme pour ceux qui regardent les films de Fellini c'est d'éprouver beaucoup de commisération, presque de la pitié. Et puis, quand j'y réfléchis, ça ne tient pas : je ne peux pas ne pas les mépriser.

Quand je lis toutes ces ruses, stratagèmes et autres innovations visant à libérer du temps pour le savoir, je me dis que l'on détourne la seule question qui vaille : pourquoi tous ces acheteurs, ces utilisateurs, ces consommateurs culturels ont-ils si peu de temps ? Car ce ne sont pas les gros lecteurs qui ont besoin de davantage de temps pour lire. Ceux qui sanctuarisent des soirées pour aller au concert, au théâtre ou autres spectacles vivants ne s'abaissent à consommer ces ersatz culturels. Savoir déconnecter pour se plonger dans une oeuvre n'est pas une obligation, s'ils ne veulent pas le faire, pourquoi avoir besoin du vernis ? Je vois des newsletters et des starts ups se créer sur ce marché de la peur du vide culturel : en 2 minutes par jour, ils vous promettent de vous fournir le nécéssaire pour briller en société. Ceux qui y croient valent les gogos qui appellent les médiums promettant le retour de l'être aimé...

Encore une fois, retournons la question contre eux ? Pourquoi ont ils si peu de temps à consacrer à la culture si elle leur importe tant que ça ? A quelles si nobles activités consacrent ils les 23h58 quotidiennes qu'ils ne peuvent consacrer à la culture ? Tout cela n'est guère sérieux et la proposition de Macron de chèque culture de 500 euros va dans le même sens, du gavage d'industries culturelles. Tout cela est à la curiosité culturelle ce que la prostitution est à l'amour. Tristesse ultra moderne, en somme...