07/09/2019
L'existence précède la quête de sens
Il y a 10 ans, j'entendais un repenti de la finance sale (marchés avec trading haute fréquence) expliquer qu'il lançait un outil de finance "solidaire et collaborative" pour "redonner du sens à sa vie et être fier d'expliquer son job à ses enfants". Je levais un sourcil perplexe. Quelques instants plus tard, il disait à l'intervieweuse "c'est dur, bien sûr, car j'ai divisé mon salaire et maintenant je me contente de 4 000 euros par mois, mais je me sens plus aligné". Je poussais un très long soupir et me disait qu'ainsi averti, le prochain qui me parlerait de "quête de sens", je lui expliquerai qu'il y a des églises pour ça.
Hélas, hélas, hélas, l'explosion du nombre de personnes en quête de sens est exponentielle à tel point qu'on a l'impression que les dernières à ne pas chercher un sens à leur vie sont cachés dans des caves. On ne compte plus les dirigeants d'entreprises où les entrepreneurs qui nous expliquent, la main sur le coeur, qu'ils veulent tout changer, casser portes et fenêtres, pour tout reconstruire avec du sens... Et une croissance à deux chiffres. Politiquement aussi, rassurez-vous bonne gens, ils sont connectés, ils entendent, ils ont compris le "besoin de sens". Dans une hilarante (involontairement) tribune dans le Monde hier, Bernard Cazeneuve écrivait d'ailleurs "la transition écologique sera sociale et républicaine - ou ne sera pas", pastichant Malraux pour essayer de se donner une contenance.
A ces PDG, à ces repentis, on voudrait dire : on vous voit, les amis. On a vos archives, on sait qu'à part la façade repeinte couleur sens, rien n'a changé : votre but reste de croître indéfiniment, de racheter votre voisin et de tout dominer. Le sens est un business comme les autres, Christophe André demande 8 000 euros par conférence, le yoga en entreprise cartonne et les retraites spirituelles sans wifi sont plus bondées que les trains indiens. Mais le business du sens ne change pas les existences si un chemin intérieur vers les contraintes, les renoncements et les limites n'est fait.
Des applis comme Petit Bambou ont des millions d'adeptes, voyez-vous vraiment plus de zen et d'altruisme dans les foules sur les routes, dans les halls de gare ou dans les files d'attentes diverses ? Non. Le purpose washing n'est pas tellement plus dur à démasquer que le social ou le green washing. L'existence précède la quête de sens. Ceux qui ont vraiment appris à changer de modèle, à ne plus vouloir dominer, pressuriser, écraser le font sans le déclarer. Le déclaratif n'a jamais révolutionné quoi que ça soit, la prochaine fois que quelqu'un vous demande d'échanger sur sa quête de sens, indiquez lui l'église la plus proche, ça reste les meilleurs spécialistes pour cette farce.
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