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21/11/2020

Sic transit démocratie

C'est assez fou la vitesse à laquelle ça disparaît, les principes démocratiques.

Alors que le pays fait face à une urgence sociale inédite (2 millions de nouveaux pauvres, autant de chômeurs à venir) et une urgence sanitaire folle (le Covid, bien sûr, mais aussi l'explosion des souffrances psychiques, et la hausse des cancers et pathologies lourdes par absence de prévention), nos gouvernants ont jugé bon de voter avec empressement une loi fasciste, doucereusement intitulée "loi de sécurité globale".

Pardon pour le terme, mais les synonymes, les euphémismes, sont inopérants. Interdire de filmer les manifs, c'est une décision de fasciste. Même Fenoglio dans le Monde, pas exactement l'avant garde de l'ultra gauche, le dit. Les seuls régimes qui s'attaquent à la liberté d'informer, sont des régimes fascistes, anti démocratiques.

Dans le même élan, la loi séparatiste renforce sa première rédaction pour muscler quoi ? Inepte.

Il y a trois ans seulement, toutes celles et ceux qui avaient quitté des postes très bien payés dans le privé, où ils avaient des responsabilités importantes pour devenir député.es LREM juraient leurs grands dieux qu'ils ne seraient pas des député.es presse bouton. La majorité d'entre eux trouvaient que la ligne identitaire de Valls était nauséabonde et qu'il fallait chanter "liberté, liberté". Pardon encore, mais le fait que ces textes passent en première lecture, sans démissions massives, sans soulèvement, prouve que ces 300 personnes sont des moutons murs pour un régime autoritaire. 

Tout l'entre deux tours de 2017 avait consisté à convaincre des millions de personnes que, certes Macron avait un surmoi thatchérien mal caché, mais au moins c'était un grand démocrate, on pouvait discuter. Je me souviens, mea culpa, avoir dit à mes étudiant.es qui voulaient voter blanc "je vous comprend, voter pour le sucre quand on est diabétique, c'est un drame. Si j'ai un seul argument à vous donner c'est qu'en votant Macron, on aura une politique dégueulasse, mais au moins on pourra l'insulter, défiler contre, s'opposer massivement et faire reculer des trucs". Mea culpa, la loi d'hier, qui suit celle sur le secret des affaires (la grande loi de Macron titulaire de Bercy) qui étouffait un peu plus la liberté d'investiguer et muselait surtout les lanceurs d'alerte, restreint gravement la démocratie. Les rédactions le disent, RSF le dit, l'ONU le dit... En 2017, à la veille du second tour, Libération avait titré "faites ce que vous voulez, mais votez Macron". Si on nous propose le même casting dans deux ans, on pourra se contenter de "faites ce que vous voulez". 

19/11/2020

Après Obama, abandonnons la quête de l'homme providentiel

A l'occasion de la sortie en grande pompe du premier tome de ses mémoires, on redécouvre Obama en interview. Le contraste avec nombre de dirigeants est saisissant, à tout le moins avec son successeur à la Maison Blanche. Calme, posé, cultivé, ne cherchant pas à diviser, il fait aussi assaut d'humilité. Son Prix Nobel de la paix était "prématuré" et il rappelle qu'il le reçut "le jour où il signait l'envoi de renforts en Afghanistan", avant d'ajouter "au fond, je savais que je n'en ferais jamais assez et jamais autant que j'en avais promis".   

Et c'est là, la grand habileté du bonhomme : là où Sarkozy peste encore contre les français réactionnaires qui n'ont pas compris l'intelligence de ses réformes et Hollande explique son bilan par la trahison de son camp, Obama n'en veut pas aux circonstances, à sa majorité très friable qui l'a empêché de réaliser ses desseins. Non, il en veut au candidat Obama en 2008, qui a sans doute promis plus qu'il ne pouvait. "Une faiblesse inhérente aux campagnes". Et ainsi va le récit d'Obama, un récit où on déplore les drames de l'histoire en acceptant avec "réalisme" que le politique ne pourra plus les changer. Une mystique du renoncement. 

Il a pourtant fait deux mandats, il est resté huit ans à la Maison Blanche. Et si ses mesures furent combattues et écornées par les Républicains, il faut voir que ses ambitions de départ étaient très modestes. Trump a décidé 1500 milliards de baisses d'impôts. 1500. Et c'est passé. Avec une faible majorité. Obama n'avait pas décidé 2000 milliards de hausses d'impôts, au contraire, les riches ont prospéré sous ses mandats. Il n'a pas empêché les expulsions par millions, conséquence des subprimes qui marquèrent son arrivée à Washington. Il n'a même pas empêché la fracturation hydraulique, vraie scandale écologique pour lequel il n'avait pas besoin du soutien de la chambre, qu'il pouvait interdire par décret présidentiel. Il ne l'a pas fait, et la Pennsylvanie, principal état ravagé, s'est vengé en votant Trump, en 2016. Il a proposé un petit Obamacare de départ, raboté par le congrès. C'est mieux que rien, mais c'est pas grand chose... 

En regardant Obama en promo, on oublie la vacuité sociale et la nocivité écologique et fiscal de son bilan face à l'homme providentiel qu'il fut jadis. J'ai vécu la même expérience pendant quelques minutes, la fois où j'ai vu Obama sur scène. C'était le 2 décembre 2017. Je me souviens de la date car je mentirais en disant n'avoir pas été sidéré par sa présence, moi aussi. Il est entré, l'auditorium de la maison de la Radio plein comme un oeuf s'est levé en une fraction et l'a applaudi à tout rompre. Une douzaine d'anciens ministres, des patrons, des éditorialistes, ce parterre VIP perdait toute décence et s'égosillait, comme à un concert des New Kids on the Block. Obama ne cillait pas, agitait poliment une main, sourire en coin et allait agripper le pupitre en souplesse. On aurait dit que plusieurs personnes s'étaient relayées dans la nuit pour coudre son costume sur sa peau tant il tombait parfaitement. Sidéré, donc, par l'homme. Je ne me souviens pas de ses premiers mots, je cristallisais encore. Et puis, la dopamine retombant, je me suis mis à écouter ce qu'il racontait et là, j'ai déchanté sévèrement. 

"Global warming is a real concern". C'est tout, pas un mot sur le gaz de schiste, pas un mot sur les pétroliers, pas un rappel de sanctions très faibles contre BP qui salopa le golfe du Mexique, dans les eaux américaines... Rien. Real concern, quoi. "Europe is stronger when it's united". A lire ses mémoires, Sarkozy ("ce coq nain") et "Angela" s'accordaient pour être d'accord avec lui et ça c'est bien. Tu parles d'une vision de l'unité. De la part d'un mec qui a mis l'Europe sur écoute comme personne (merci Ed Snowden de nous l'avoir révélé) on se pince. Et enfin, à propos de l'hégémonie malsaine des GAFA : "There has been concerns regarding privacy and Facebook, taxes and Apple, and social conditions and Amazon, but I know Mark, Tim and Jeff, all great guys, it's gonna be allright". Circulez, y a rien à voir. Ils pensaient avoir élu le Messie, ils ont eu mais non...  

Le drame, c'est de continuer à chercher l'homme providentiel, alors que soyons honnêtes, on fera jamais mieux qu'Obama en la matière. Cool, jamais une photo en défaut, toujours la vanne juste, la citation adéquate, la posture parfaite. Il parle IA avec les mecs de Google, littérature avec Toni Morrison et basket avec LeBron James. On fera pas mieux pour le storytelling. Tous ceux qui essayent de le copier sont des contrefaçons grotesques : Trudeau, Renzi et évidemment Macron guignent sa com', sa gestuelle, son look, essayent de s'en emparer. Trudeau tient la comparaison physique, en short de boxe, planche de surf ou pantalon de yoga, il assure encore. Mais quand il s'hasarde sur la bibliothèque, ça s'effondre. Pour Renzi et Macron, outre qu'ils sont grotesques en short, leurs vidéos en bureau sont aussi cools qu'Alain Juppé ayant la super pêche. Quelle gêne...

Alors, évidemment, on peut attendre la femme providentielle et on aurait raison. Sommes nous en train de recommencer avec AOC ? Avec Taubira ? On a besoin de role models et on n'a jamais essayé les femmes aux manettes, encore moins les femmes de couleur. Après tout, Merkel et Harden ont bien mieux géré la pandémie que les mecs, de là à en tirer des conclusions essentialistes, il n'y a qu'un pas. Un pas qu'il faut se garder de franchir. Contrairement à Macron ou Trump (pardon pour le rapprochement), Merkel et Harden ne se sont pas placées dans une posture providentielle, elles n'ont pas parlé à leurs concitoyens comme des enfants en décrétant du haut. Elles ont parlé en transparence, en collectif avec les scientifiques. Xavier Bettel, au Luxembourg en a fait de même comme quoi ça ne sont pas nécessairement des vertus féminines. Ces dirigeant.es ne sont pas providentielles, au contraire, c'est en cela qu'elles et lui sont louables. 

Après 40 ans de dérégulation fiscale et sociale et d'aveuglement écologique irréversible, les changements que le politique doit mettre en place ne sont pas loin des miracles bibliques. Sauf qu'il faut les faire en vrai, et rapidement. Si dans les fables, cela peut être l'oeuvre d'un seul homme, dans la réalité, ça ne peut être qu'un collectif. 

17/11/2020

Syndicat de la peur, peur des syndicats

"Désormais, quand y a une grève en France, personne ne s'en aperçoit". Cette fanfaronnade de Sarkozy, en 2010, marque le début de la fin de la peur des exécutifs contre la rue syndicale. Sarkozy ministre de l'intérieur avait vu Villepin plier contre les opposants au CPE, il avait vu Juppé démissionner suite à son incapacité à faire passer sa réforme de la sécu. Lui n'a pas réussi à abolir les régimes spéciaux de retraite, mais cela ne l'empêchait pas de se donner le beau rôle parce qu'il avait réussi à imposer le service minimum dans les transports. Peu à peu, sous son quinquennat, la rue syndicale s'est érodée et n'a pas empêché la réforme Fillon des retraites ; sous Hollande, les syndicats d'abord timorés à l'idée de défiler contre le PS s'énervèrent franchement lors de la loi El Khomri. En vain. 

Sous Macron, les manifs monstres sont revenues, des blocages d'une durée inouïe et qui n'ont, hélas, rien obtenu. La réforme de la SNCF est passée en force malgré deux mois sans train. Celle de l'assurance chômage itou et la seule chose qui a bloqué l'inepte privatisation rampante de notre régime de retraite, c'est le Covid. Un an de collectifs hospitaliers à bout de nerfs n'ont rien obtenu non plus, seul le Covid a commencé à leur donner des moyens. Force est de constater, hélas, que le rapport de force est dramatiquement contre la rue, même quand elle marche longtemps, bloque longtemps et en masse, en millions de personnes. 

Il y a en revanche quelques syndicats dont le pouvoir a très, très peur. Ceux de flics. Des syndicats d'ultra droite (55% des policiers du pays se sentent proches des idées du RN, les baromètres Ipsos sur le sujet montrent une inexorable montée en puissance de ce chiffre) qui gagnent systématiquement tous leurs arbitrages jusqu'à aujourd'hui. N'étant pas devin, je ne sais si la loi de sécurité globale en débat cet après-midi à l'Assemblée va passer, mais je sais que tous les amendements qui font débat, sont des demandes des syndicats d'ultra droite. La surveillance par drones, c'est eux ; l'interdiction de filmer dans les manifs, c'est eux. Leurs revendications poujadistes sont les mêmes que ceux des régimes de l'est, la Hongrie d'Orban, la Pologne du Pis... Fait amusant (tristement amusant) l'ONU critique cette loi, les rédactions des démocraties du monde critiquent cette loi, mais pas le bloc de l'est. Cherchez l'erreur. 

Ces syndicats d'ultra droite effrayent le pouvoir. Une manif de nuit sur les champs, une manif plus inquiétante encore devant Radio France et le pouvoir leur cède tout. Ils cèdent tout à quelques dizaines de nervis. Habiles, ceux-ci ne demandent pas prioritairement des moyens humains et financiers. Ils veulent du matos et l'impunité. Pouvoir frapper, mutiler, tirer, sans emmerdes derrière. C'est ça qu'il demande. Qu'on oublie Adama Traoré, Cédric Chouviat et tant d'autres. Qu'on oublie les estropiés, les mutilés, les amputés des manifs de gilets jaunes. Contrairement aux syndicats de salariés publics, ils s'accommodent très bien du privé : plus on est de fous, plus on rit, pas de souci pour avoir le renforts de milices contre les manifestants...

Ce matin, Salamé a battu des records en reprenant tous les éléments de langage de l'ultra droite face à Patrice Spinosi. Violences faite aux policiers en hausse, procès d'intention contre la loi de sécurité globale, tout y est passé... Evidemment que les violences contre les flics augmentent, nous sommes en état d'urgence permanent, il y a des manifs et des tensions tout le temps. C'est une chose de reprendre les victimes de violences contre les flics, mais où est le chiffre des victimes de la police, en face ? Il baisse peut être ? Et quid des 3 enquêtes de l'IGPN sur 45 qui dont allés au bout ? 94% des enquêtes sur les bavures de la maison poulaga finissent à la poubelle... Circulez, y a rien à voir. Ni à filmer.