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15/11/2020

Le tsunami invisibilisé

Imaginez la ville de Nantes. Soudain, l'ensemble des habitant.es sont dans la rue, leurs immeubles et maisons ont disparu. Ils sont à la rue et ils y restent, imaginez la marée humaine que cela représente. 300 000 personnes. Une étendue gigantesque, de celle que mobilisait naguère les grandes manifestations sociales. Voilà, vous l'avez cette marée, et bien l'ensemble de ces personnes n'ont pas de domicile fixe ; en France, en 2020. 

En 2002, la promesse "zéro SDF" de Lionel Jospin avait été raillée comme inaccessible, utopiste, populiste avant l'heure. Alors, la France comptait 75 000 SDF. 150 000 en 2012 et donc, 300 000 aujourd'hui, selon la Fondation Abbé Pierre. On voit bien, face au tsunami social que la promesse, "zéro sdf" aujourd'hui n'est plus tenable... Lors de la grande vague de froid de l'hiver 2017, Macron avait promis "zéro personne à la rue", ce qui n'a rien à voir... Dans le détail du rapport, La Fondation Abbé Pierre a comptabilisé « environ 185 000 personnes en centres d'hébergement », « 100 000 dans les lieux d'accueil pour demandeurs d'asile », et « 16 000 personnes dans les bidonvilles ». « S'y ajoutent les sans-abris, plus difficiles à quantifier », selon Christophe Robert, délégué général.

300 000 personnes, en 2020. Une multiplication par quatre en moins de vingt ans. Une folie. Et l'accélération va se faire plus violente encore, la crise sociale actuelle entraînera mécaniquement un nombre d'expulsions locatives inédite en 2021. La seule courbe aussi violente, c'est celle des bénéficiaires des banques alimentaires et autres Restos du Coeur. 8,5 millions de repas distribués l'année de leur création, en 1985, 136 millions en 2018 ; 15 fois plus. Et le Secours Populaire de nous annoncer une hausse inédite, vertigineuse en 2020 à cause du confinement...

Ces chiffres là sont bien plus terrifiants que le nombre de contaminations. Car aucun confinement ne peut en venir à bout, c'est l'inverse puisque les plus fragiles économiquement sont aussi les premières victimes. Et les perspectives de vaccins ou de traitement ne sont pas actuellement dans les laboratoires de nos gouvernants.  

En 1945, le CNR avait planché sur l'ensemble des risques d'accidents de la vie qu'un collectif protecteur devait assurer. Dans le passionnant "la cause des pauvres en France" de Frédéric Viguier (presses de Sciences Po), l'auteur de rappeler qu'en plus des maladies, des invalidités, des retraites, de la maternité et des décès, le CNR avait voulu imposer un risque "logement" en réquisitionnant les logements vides pour que personne ne dorme à la rue. La tâche herculéenne de créer la Sécurité Sociale découragea le CNR de retenir finalement ce risque. C'est sans doute le moment de ressortir cette idée des placards, car elle n'apparaît même pas dans nos utopies. Le CNNR, conseil national pour une nouvelle résistance (initiative pleine de gens très engagé.es https://cnnr.fr/membres-cnnr/) insiste évidemment sur l'urgence écologique, mais dans la dizaine d'onglets de cette instance utopique, on lit bien des choses sur "lutter contre la capitalisme financier", mais même plus quelque chose d'aussi évident que "zéro sdf". Il faut relever le niveau de nos utopies. 

12/11/2020

On ne naît pas complotiste, on le devient

Cet été, alors que les gestes barrières n'étaient plus qu'un lointain chuchotis et pas encore la mélopée assourdissante actuelle, j'ai dîné avec un éditeur en vue. Non, ça n'était pas Antoine G. sur son yacht, mais un éditeur indépendant, avec son petit succès, dans un jardin. Il avait d'ailleurs si peu la grosse tête qu'il cuisinait lui même les calamars, nous affirmant que nous ne saurions pas les réussir. Le doute l'habitait pour tout. Il parlait sotto voce, se hasardait toujours en conjectures  sur demain, écoutait tous les avis contraires avec componction. Et puis vinrent les digestifs et alors il sut de manière absolue ce qui nous menaçait et ne voulait plus entendre de nuances. Dès le premier liquoreux, il lâcha les chevaux : "le problème aujourd'hui, c'est la mort de la vérité. La mort des faits. Avec le Covid, même la science est remise en cause. Pauvre humanité si même les savants ne sont plus écoutés". S'en suivit, dans la diatribe, l'habituel couplet à l'encontre des réseaux sociaux, fabriques à crétins patentés ; l'école qui ne fait plus son job et patin couffin... Un tenant du progrès social nous livrait l'édition 2020 de la défaite de la pensée qui popularisa vraiment Finkielkraut, en 1987. 

Je sentais une vraie détresse, une vraie faille dans le logiciel de la doxa. Je partageais une part de ses craintes, impossible de fermer les yeux sur la déferlante de fake news, mais une part seulement car je n'oubliais pas d'où cela venait. Je le relançais : "Bien sûr que les tours de New York se sont réellement effondrées le 11 septembre 2001. Mais les armes de destruction massives, au nom desquelles ont a envahi l'Irak en 2003, n'existaient pas. Même Tony Blair l'a reconnu. Servier fut protégé pour le Médiator. Les dirigeants des Panama Papers, idem. Le référendum de 2005 sur l'Union Européenne : tout le monde jurait la main sur le coeur d'en tenir compte, avant de nous la faire à l'envers, dès 2008. Et la liste serait infinie des mensonges d'État:  les dirigeants progressistes ont plus menti ces vingt dernières années qu'aucuns de leurs prédécesseurs. Et ce, en toute bonne conscience car ils sont persuadés de faire le bien d'un peuple trop con pour comprendre ce qui est bon pour lui". Le silence qui s'en suivit n'était pas poli, il suintait le conflit larvé...

Le mensonge public n'est pas chose nouvelle. Mitterrand a caché son cancer pendant 15 ans et les soviétiques ont menti sur Tchernobyl. Pendant la guerre froide, le mensonge était érigé au rang d'art, puisque c'était un acte de résistance. Passé 1989, on nous a bercé sur l'air de la neutralité, de la justesse, de la raison. La figure symbolique, ou symptomatique, de cette pensée neutre, serait cette ordure d'Hubert Védrine. Invité sur toutes les ondes, chroniqueur régulier de France Culture où il distille ses analyses compassées et "réalistes", il n'est jamais ô grand jamais fait mention du fait qu'il a touché plus d'un million d'euros (66 000 euros par an) comme administrateur de LVMH. On ne le relance jamais sur sa responsabilité avérée dans les 800 000 morts du génocide au Rwanda. Non, "il est tenu par la raison d'État et il a fait ce qui était juste". Fermez le ban... Des exemples comme cette crapulette de Védrine, j'en ai cent. Des lâchetés, des compromis, des stipendiés, j'en vois cent... Jamais cités.

Cette omerta sur les mensonges, les omissions, les manipulations des ploutocrates, nous les prenons aujourd'hui en pleine poire avec le retour du refoulé. Juan Branco ou les Pinçot Charlot n'étaient pas infréquentables, avant. Branco a fait ses classes à l'école Alsacienne et à Sciences Po, a bossé avec Filippetti sous Hollande. On a connu des anarchistes moins infiltrés... Il ne s'est décidé à rompre que lorsqu'il a compris que raconter des carabistouilles était porteur et surtout vendeur. Les Pincot Charlot étaient considérés comme rigoureux quand ils suivaient des châtelains, des chasseurs à courre. Et ils l'étaient. Et puis, ils ont basculé, ont glissé, ont commencé à raconter des choses sur des personnes qu'ils n'ont jamais rencontré, mais qu'ils estiment coupables, parce que riches. Et puis, ils ont vrillé total... Ad nauseam, les fleurs complotistes s'épanouissent sur du fumier progressiste.

Dans "hold up", titre prémonitoire pour un documentaire sur la crise Covid nécessitant 20 000 euros de frais qui en a collecté 182 000, Monique Pinçon dit ceci :"Je pourrais peut-être choquer votre caméra si je dis ça, mais pour moi on est dans la troisième guerre mondiale. On est dans la troisième guerre mondiale mais c'est une guerre de classe, c'est une guerre de classe que les riches mènent contre les pauvres de la planète. Et dans cette guerre de classe, comme les nazis allemands l'ont fait pendant la deuxième, il y a un holocauste qui va éliminer certainement la partie la plus pauvre de l'humanité, c'est-à-dire trois milliards cinq cent millions d'êtres humains dont les riches n'ont plus besoin pour assurer leur survie sur la planète. Parce qu'avec l'intelligence artificielle, avec les robots, honnêtement, ils n'ont pas besoin de toutes ces bouches qui ont soif et qui ont faim, à un moment où ils ont pillé la nature, la nature est foutue.". Répondre point par point à ces horreurs est une tannée, une tâche qui n'est pas sans rappeler le nettoyage des écuries d'Augias. Les valeureux "debunkers" de cette vidéo ont raison de le faire, mais leur audience cumulée n'atteindra jamais l'écume de l'audience rencontrée par Hold Up. En 2016, la vidéo "le pape François soutient Donald Trump" a été partagé 27 fois plus que celle qui le démentait (800 000 contre 30 000, environ). Le premier qui parle, le bonimenteur a souvent gagné. Cette règle prévaut toujours en 2020, avec des audiences gonflées comme des grenouilles aux hormones. 

Songeant à la manière de combattre ce genre d'ignominie, nos amis progressistes engagent la responsabilité des plateformes, le rôle dramatique des enrôleurs de mauvaise conscience, l'école aussi ce bastion de gauchistes qui instillent le poison du doute... Mais jamais ils ne questionnent leur propre bilan. On peut toujours se consoler, se moquer de celles et ceux qui pensent qu'un vaste complot dirige le monde, de la 5g imposée aux vaccins qui contiennent des molécules nous rendant dociles et serviles en tout. Le tout étant piloté par des juifs. La preuve, ils se réunissent à Bilderberg, c'est quand même pas un nom goy...  Certes, c'est risible, mais à peine plus que les gigantesques mensonges bafoués d'un revers de main. Français.es, encore un effort pour lutter efficacement contre le complotisme...

 

07/11/2020

"Ne rien faire" disent-ils

Par un renversement rhétorique sidérant (mais repris sans moufter par une majorité de commentateurs lui donnant beaucoup de puissance), agir, c'est arrêter toute activité et tenter de vivre revient à "ne rien faire".

Évidemment, les tenants de la claustration mettent en avant leurs idiots utiles : Trump, Bolsonaro et Johnson. Le premier propose des injections d'eau de javel pour se protéger, le second rigole en disant qu'il y aura des morts et le dernier défendait "Le droit inaliénable d'aller au pub". Aucun des trois n'a pas pris les alertes au sérieux, ont été en retard dans la constitution de stocks de masques, de blouses, de gants, de lits spécifiques.. Ces trois blaireaux décrédibilisent violemment l'option voulant tout ouvrir en responsabilité, ce qui est la seule manière d'amortir une crise sociale d'une violence infiniment supérieure à la sanitaire. Ce dernier point, semaine après semaine, fait de moins en moins débat.

De manière intéressante, même les hiérarques de la santé les plus radicaux en matière de fermeture concèdent que le remède est pire que le mal. Ainsi, William Dab, ancien directeur général de la Santé dans une longue interview au Monde interrogé sur les mesures de confinement les juges "insuffisantes" explique qu'il faut fermer collèges et lycées et davantage enfermer les gens chez eux. Le même reconnaît, à la fin de l'interview que cela va probablement causer beaucoup plus de morts par manque de prévention des cancers, des pathologies cardiaques, des rechutes, sans parler des drames éducatifs et psychologiques...

Je suis très frappé qu'on se serve des projections chiffrées comme bouclier justifiant le confinement et pas assez pour le lever. Ainsi, quand on pointe la surmortalité relative liée au Covid, les experts dégainent des centaines de milliers de morts si on les laissait tout le monde dans la rue. Ce matin, l'ultra macroniste Laurent Bigorgne (En Marche ! a ses statuts déposés chez lui) disait même : "si on ne fait rien, cela pourrait causer 1 million de morts". T'as raison mon Lolo, pourquoi pas 3 millions tant qu'à faire peur ? Si on reprend leurs mêmes chiffres, nous sommes 68 millions et le virus ne risque pas de toucher les mineurs, donc 55 millions d'adultes, sachant qu'il tue 0,5% des personnes qui le contractent, dans le cas largement hypothétique où tout le monde, 100% des français adultes étaient contaminés, on arriverait à 275 000 morts. C'est une hécatombe, hein, mais c'est déjà 4 fois moins que ce dit Bigorgne. Et par ailleurs, le virus cessant de circuler à 60% de la population infecter, on arrive (toujours selon leurs hypothèses, hein) à moins de 180 000 morts. 

Alors 180 000 morts, ça fait peur. Mais ce qui est intéressant c'est qu'on a, à l'heure actuelle, des modélisations qui montrent que les morts liés au confinement seront largement supérieur à ça, à moyen terme. L'Institut Gustave Roussy, peu enclin à l'exagération, dit que "la seule première vague de confinement va entraîner 5% de morts du cancer en plus" soit 10 000 personnes. Mais ce chiffre ne fait qu'augmenter car en reconfinant, on repousse des diagnostics, des traitements et cela va exploser. Chic. La surmortalité liée aux AVC est encore plus forte, ajoutez les suicides, qui vont se multiplier avec les drames sociaux, le million de personnes supplémentaires sous le seuil de pauvreté ad nauseam...

On inflige des souffrances sûres et certaines à une majorité de français pour un hypothétique total de vie sauvées. La seule différence, c'est que les morts du Covid se voient, actuellement, alors que les autres mourront loin des caméras. Mais si on est constants dans la défense de la vie, on doit se questionner...

Tout laisser ouvert en responsabilité, donc, ça n'est pas être Boris Johnson. Des solutions existent, le groupe Accor avait proposé de mobiliser ses hôtels, vides, pour isoler les malades. Toutes les garanties d'isolation spatiales, de traçage et de suivi étaient là, avec la possibilité d'alimenter les malades sans qu'ils sortent, tout était là. On préfère mettre les salarié.es du groupe au chômage partiel, dépenser des fonds publics à perte, sans aucun impact plutôt que d'agir facilement et de maintenir de l'activité.  On aurait pu transporter les malades avec des taxis G7 qui disposent tous de vitres pour séparer le chauffeur du malade. Et quoi ? On les aurait accusé de favoritisme vis à vis d'Uber et de'Airbnb ? Déplorable... Le confinement des plus fragiles est anti-constitutionnel, donc ça n'est pas la solution mais on peut accorder des congés maladies à 100% pour celles et ceux qui ne peuvent télétravailler et ont des co-morbidités qui les exposent fortement. On peut mobiliser les hôpitaux militaires, comme celui construit dans le grand est pendant la première vague, on peut faire beaucoup pour diluer les prises en charge en Covid. 

Ils peuvent retourner le truc dans tous les sens avec une mauvaise foi affligeante, mais ceux qui s'en tiennent au confinement comme réponse à une crise sanitaire, ce sont eux qui n'auront rien fait.