Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/06/2021

Violence, violence : le loup dans la pièce

C'est assez dingue, le commentaire matinal dominé par "la violence de la société française" et le fait que tout le monde contourne, se contorsionne, esquive le loup d'extrême-droite sous leurs yeux pour chercher d'autres boucs émissaires. Vraiment, comment avons-pu en arriver là, à une société où le Président de la République se fait gifler ? 

Bien sûr, il y a la violence terroriste. Elle ne fait que diminuer en intensité et drames depuis l'acmé du Bataclan, mais l'effroi inimaginable de l'assassinat par décapitation de Samuel Paty et l'assassinat d'une fonctionnaire de police dans un commissariat font qu'on ne peut l'oublier. Elle est latente, pesante, obsédante. Mais elle ne bénéficie pas de canaux de propagande officielle, cette violence est souterraine et latente.

Mais le reste ? Depuis 3 ans, tous les organes d'ultra droite, de plus en plus nombreux à mesure que le débat brunit, de Valeurs Actuelles à C News en passant par le Point, hurle que nous sommes menacés par une Troïka Kmhers Verts / Islamogauchistes / Féminazies. Les voilà les ennemi.es, les voilà les factieux.ses qui osent parfois ne pas manger de viande, envisager du féminin dans les réunions non mixtes masculines du pouvoir ou encore questionner le bilan globalement pas si positif de la colonisation française. Danièle Obono dépeinte en esclave enchaînée en Une d'un hebdo, les féministes accusées d'être "hystériques", des appels masculinistes à "remettre les femmes à leur place", des appels à tuer Castaner et Mélenchon, un attentat contre la mosquée de Bayonne, la manifestation de Génération Identitaire regardée avec bienveillance, le soutien aux chasseurs... 

Ajoutons les mots présidentiels, ambigus sur Pétain "le vainqueur de Verdun", Maurras et autres. Ajoutons que Macron n'a pas un mot après la mort ignoble de Cédric Chouviat, assassiné par la police, pour les violences folles contre des manifestations de Gilets Jaunes, mais appelle Eric Zemmour quand on a lui a craché dessus. 

Le monopole des violences légitimes doit être tenu par l'État pour lutter contre celles et ceux qui le menacent. Ce qui inclut bien sûr les terroristes et les personnes dangereuses empêchant la tranquillité des rues. Mais à ce que je sache, la Troïka Kmhers Verts / Islamogauchistes / Féminazies n'a pas une once de violence en elle et on laisse la haine se banaliser contre elles et eux. Ceux qui se demandent pourquoi la société française est en feu devraient regarder leurs mains, il y a un jerrican d'essence et un chalumeau... 

07/06/2021

Mélancolie de gauche

En 2016, l'historien italien Enzo Traverso faisait paraître un essai au titre prophétique Mélancolie de gauche. Comme pour le Covid, l'Italie avait un peu d'avance sur la France dans un phénomène qui nous paraissait impensable avant de le vivre : le confinement d'un côté, l'effondrement de la gauche de l'autre. 

Je ne veux ni refaire le match, ni jouer les mauvais perdants, je me borne à constater un point : il est beaucoup plus dur d'être de gauche. La gauche projette dans l'imaginaire une telle supériorité morale que tout accroc la brûle instantanément quand on la comprend, voire ça nous rassure, à droite. Sur des faits de fraude et d'enrichissement personnel, Cahuzac s'est grillé à jamais auprès de son électorat quand Balkany, Fillon et autres sont toujours plébiscités dans leur camp. Même Georges Tron est plébiscité dans son camp. Il suffit de regarder le gouvernement actuel : 12 ministres recadrés fiscalement, Darmanin avec des plaintes pour viol, tout passe crème. 

A droite, les complotistes sont de sortie depuis des années. Quand Eric Zemmour dit que "les écolos sont verts car c'est la couleur de l'islam et qu'il n'y a pas de fumée sans feu" on hausse les épaules et on passe à autre chose. Fillon parlait de "cabinets noirs" contre lui quand tout prouvait qu'il avait "juste" oublié de donner un travail à sa femme pendant 30 ans mais pensé à prendre le salaire afférent... Etc etc. Personne ne leur en a jamais tenu rigueur et on a continué à les interviewer comme des personnages d'État. On a évoqué des "dérapages".

On pourrait dire de Mélenchon qu'il a "dérapé" hier. Mais non, il a "viré complotiste", qualificatif qui vaut excommunication. Depuis tout le monde lui tombe dessus. Toute la gauche "morale" justement, qui le honnit depuis la guerre en Syrie et évoque le Vénezuela au bout de cinq secondes de débat sur le personnage. Toute la macronie trop heureuse de voir le meilleur débatteur de France en sale posture. Je les comprends et je n'excuse pas l'insoumis en chef d'autant moins que lui même ne reconnaît pas l'erreur et s'enfonce. Dire "les faits divers malheureux, l'insécurité sont instrumentalisé dans la dernière ligne droite d'une présidentielle", c'est vrai. D'ailleurs Mélenchon a raison pour Papy Voise en 2002, qui causa beaucoup de tort à Jospin. Mais Merah ? L'un des crimes les plus ignobles commis en France depuis des décennies, l'assassinat de militaires puis d'enfants parce que juifs. Comment peut-on laisser sous-entendre qu'une telle horreur ait été, sinon manigancé, a minima récupéré par le pouvoir ? C'est ignoble. C'est ignoble et ça n'a rien à voir avec le parcours, la carrière, les dits et écrits de Mélenchon. Il ne l'a pas reconnu. Tant pis pour lui, tant pis pour nous, la gauche. 

Car au fond, c'est ça le drame de la gauche : les brûlures des uns brûlent aussi les autres. Si Philippe Dayan, le psy d'En Thérapie était avec nous, sans doute dirait il que la sortie de Mélenchon est celle d'un homme dépité, un homme aigri. Un homme frustré par la tournure du débat : alors que nous vivons la pire crise économique et sociale depuis 70 ans, que nous sommes menacés par des périls écologiques irréversibles, l'alpha et l'omega du débat est dominé par le sécuritaire et l'identitaire. C'est à devenir fou, je comprends. Et la sortie d'hier est une sortie folle. Je manque d'imagination et ne saurais dire comment mais je suis bien certain que nous allons continuer à sombrer. 

02/06/2021

Sécurité et libertés, la grande transformation inversée

Dans son classique des classiques de 1944 (traduit en 1983 en français, comme un clin d'oeil à la rigueur) "La grande transformation" du génial Karl Polanyi déconstruit toutes les illusions sur le caractère "naturel" du marché, moque les niaiseries sur "le salut par la technologie" et montre comment et pourquoi la crise de 1929 n'a rien d'un accident. C'est la conséquence inéluctable d'une économie de marché non socialisée. Quand le livre paraît, la seconde guerre s'achève et après l'horreur, le monde vivra un peu plus de trois décennies de progrès considérables pour la sécurité et les libertés.

Sécurité sociale, droit du travail et de ne plus travailler avec une retraite digne. Droit à des congés payés, à des pauses, à ne plus être harcelé, à voter dans son entreprise, à ne plus être discriminé... Les droits rejoignent les libertés individuelles : liberté d'orientation sexuelle, de divorcer,  d'informer avec la fin du carcan d'état sur une info censurée et évidemment, liberté de manifester paisiblement quelle que soit la cause. Tous acquis conquis grâce à une solidarité économique et fiscale sans précédent. 

La crise Covid est comparable en ampleur à celle de 29. 150 millions de personnes supplémentaires qui souffrent de la faim, autant de nouveaux pauvres, de nouveaux chômeurs... L'origine n'est pas les mêmes, mais les dégâts causés sont comparables. La différence, de taille, c'est que des états très riches ont pris la mesure du dérèglement et ont financé "quoi qu'il en coûte" la survie des populations. Même aux États-Unis, on a tenté de limiter le nombre de personnes qui crèvent à même le trottoir. Partout les états sont intervenus massivement, mais avec des disparités de moyens très fortes (pensée pour les indiens qui subissent la pire double peine au monde avec un bilan humain et sanitaire effroyable et en même temps une régression économique inégalée). 

La crise Covid nous oblige, à l'évidence, à repenser nos sécurités et libertés. Donner une sécurité alimentaire quand celle-ci est de moins en moins évidente. Des pistes de sécurité sociale alimentaire avec une carte fonctionnant dans des magasins agrées où l'on pourrait acheter des produits agrées comme la Carte Vitale donne accès aux médicaments conventionnés existe, mais pas dans le débat public. Une sécurité au logement alors que les courbes de personnes expulsées et celle du nombre de m2 vides ressemblent à s'y méprendre au miroir de notre indécence moderne. Une sécurité d'emploi, aussi, avec des emplois verts garantis. On nous vend l'inverse avec une réforme de l'assurance chômage qui rentre en vigueur le mois prochain et qui divise par deux les droits des plus précaires, les poussant à l'insécurité absolue... Toutes les solutions à nos maux sont dans le débat public, chez des chercheur.es, des activistes, mais aussi d'élu.es de collectivités locales qui voient bien que les impératifs de justice écologique et sociale ne peuvent attendre. Or, quand on évoque la notion de "sécurité", c'est désormais limité aux revendications de syndicats d'extrême-droite des forces de l'ordre.

Il faut aussi repenser nos libertés après que ces dernières ont été entravées pendant quinze mois. Déconfiner nos libertés de se déplacer, de manifester, d'informer. Caramba, encore raté. Manif encadrées, avec gazage et nassage systématique, même pour des micros rassemblements pour les 150 ans de la communes. Pour les déplacements, le Pass Sanitaire, qui pourrait s'entendre d'un point de vue de santé publique, n'est pas débattu publiquement, mais imposé à toutes et tous. Quand à la liberté d'informer, qui suppose comme corollaire une indépendance des rédactions, on laisse crever Science et Vie et Lagardère se faire racheter par Bolloré et Arnault pour aboutir à un paysage audiovisuel encore plus ploutocratique. Misère. 

Interrogé sur les transformations nécessaires pour construire le monde d'après, Le Maire et Elisabeth Borne réfutent tout net l'idée de taxer les plus riches qui se sont enrichis comme jamais dans l'histoire. C'est un marqueur d'inculture historique coupable : la nouvelle grande transformation est devant nous, mais nous nous entêtons dans la grande régression.