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04/04/2022

Extrême, au singulier

Depuis 2017, la Macronie est glacée d'effroi par une recomposition de la gauche sur une ligne réellement de gauche. L'idée que la ligne molle, la ligne centro-compatible, puisse ne pas être l'avenir de leurs opposants, les effraye. Forcément, la gauche de loin a tellement voté Macron en 2017, qu'une recomposition voisine, sur une ligne tiède, ne prendra jamais d'ampleur et les laisse tranquilles. En revanche, si la refondation se fait sur une ligne différente, elle a un boulevard pour elle et peut taquiner LREM. Et c'est ce qui se passe, dans les faits... Les inégalités ont tellement explosé, le nombre de nouveaux pauvres et de précaires tellement augmenté, l'uberisation du monde du travail s'est tant accéléré, que la demande de radicalité est montée de plusieurs crans. Impensable pour LREM qui dit incarner à la fois la gauche et la droite d'avoir un tel opposant, d'où l'astuce sémantique toute trouvée : qualifier la France Insoumise "d'extrême" gauche.

La blague a commencé lors des gilets jaunes. Alors, la communication du gouvernement, de Castaner (ministre de l'intérieur, alors) à Attal en passant par Collomb était de délégitimer un mouvement "qui rassemble les extrêmes". Il était aidé en cela par Marine le Pen elle même, qui réfutait la violence d'ultra droite du mouvement en ciblant "les blacks blocks et autres militants d'ultra gauche", ainsi que "les anti fa, qui sont fascistes". Et le tour était joué. Depuis lors, quatre ans de fake news en boucle ont fini par faire croire que la candidature de Mélenchon serait "extrême" vocable toujours très disqualifiant et inquiétant dans la dernière ligne droite, avant l'isoloir. La violence lors des manifs contre les retraites ? L'extrême gauche. Les débordements lors des manifs anti pass ? L'ultra gauche. Chaque fois, la classe politique de droite condamne, et les commentateurs somment Ruffin, Quatenens et toustes les député.es Insoumis.es de dire ce qu'ils pensent des blacks blocks, des vitrines cassées et ad nauseam. Les mêmes n'ont toujours posé aucune question à Marine le Pen sur l'assassinat de Martin Aramburu, par Loïk Le Priol, dont l'adhésion aux thèses du RN est documentée, quand on n'a jamais vu le moindre black block à une Université Populaire... 

L'extrême-gauche existe, bien sûr. Elle a deux candidat.es, Poutou et Arthaud qui tous deux disent que cette élection est une mascarade. Leurs programmes sont d'extrême-gauche, on y retrouve l'interdiction des licenciements, la réquisition des sites de production, la confiscation de biens, des nationalisations en pagaille. L'extrême gauche, quoi. Le programme de l'Union Populaire est de gauche classique, on ne peut plus classique, pour ne pas dire soc-dem. Quand ils prennent tout au dessus de 12 Millions d'euros pour l'héritage, ça laisse 12 millions, 8 fois plus que le seuil de l'ISF... J'ai connu des goulags plus mal tenus. Idem pour les écarts de salaire, de 1 à 20, c'est pas précisément les demandes de SUD. Que la macronie apeurée, en PLS idéologique, attise la peur du rouge, c'est son rôle. Que nombre de commentateur.ices et d'acteur.ices politiques relayent de telles inepties, c'est navrant. 

 

 

 

 

 

02/04/2022

Macron, la politique à hauteur d'enfant

Ma fille a 3 ans et, ces derniers temps, elle continue à faire des choses qu'elle sait défendues - comme sauter sur le canapé - en me toisant avec un air de défi. Elle teste les limites de la patience parentale, des règles, de la nature aussi. Les parents gronderont-ils ? La gravité l'emportera-t-elle ? N'ayant pas encore été exposé avec certitude à ces grandes vérités, je trouve assez légitime et normal qu'elle teste. 

Ce qui me chagrine plus, c'est qu'Emmanuel Macron emploie exactement la même attitude dans la dernière ligne droite de la présidentielle pour voir si le barrage républicain magique fonctionnera encore pour le réélire. Comme un enfant roi, il jubile d'avoir réussi en 5 ans le grand Badaboum qu'il a entamé en 2017 : écrouler le PS et LR. Le PS est tombé en 2017 et 2022 devrait annoncer sa mort clinique avec un score sous les 2%. L'histoire s'accélérant, LR ne devrait pas se relever de la candidature Pécresse, a fortiori si elle finit sous les 10%. S'il gagne, Macron finira le boulot en la nommant 1er ministre ou à un poste important et attrapera les barons LR compatibles pour les faire entrer au gouvernement. Les Wauquiez, Ciotti et autres s'engouffreront dans la nouvelle "union des droites" qui sera en réalité union des ultra droites. S'il gagne, il pourra se vanter d'avoir fait ça. Je ne suis pas persuadé que la vie politique en sorte grandie, mais tout le monde en avait tellement marre de ces deux astres qui tardaient à mourir, qu'on lui pardonnera de les avoir euthanasié plutôt que de pratiquer l'acharnement thérapeutique. 

Tautologie oblige, il faut d'abord gagner et donc rassembler. En 2017, Macron faisait au moins semblant de tendre la main. CP dédoublés, remboursement des soins dentaires et ophtalmos, il y avait un vernis social. Il y avait aussi une ouverture à la diversité, un discours laïque apaisé. On était loin de l'équilibre, avec en face la volonté de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires pour plaire aux très importantes remises fiscales aux plus riches. Dès l'élection, les premières décisions concrètes mirent fin à la mystification : Macron n'était ni de gauche ni de gauche. En plus de la fin de l'ISF et la mise en place de la flat tax annoncées, il coupait du jour au lendemain plus de 200 000 contrats aidés, rognait sur les APL et tutti quanti...

La suite du quinquennat fut une voiture embarquée en pilote automatique avec un GPS bloquée sur une consigne "prochaine mesure, prenez à droite". Des mesures sécuritaires votées par 100% des députés RN, des attaques aux manifestants, aux journalistes, des textes sociaux (retraites et assurance chômage) beaucoup plus durs qu'annoncés en 2017... Après cinq ans, celui qui s'était donné comme mission de faire redescendre l'extrême droite l'a fait monter comme personne. Depuis six mois, les voix de Le Pen et Zemmour réunies dépassent systématiquement les 30%, un sommet inédit, et de très loin. Son bilan est la preuve par l'exemple que les français préfèrent toujours l'original à la copie. Malgré des propos racistes réitérés, malgré un blanc seing accordé aux violences policières, nombre de factieux demandent beaucoup plus, exigent des déportations par charters et la libertés pour les flics de se comporter comme des cow boys... Macron le voit et il rigole.

La séquence Mc Kinsey a accéléré la rapide chute dans les sondages de ces dernières semaines. Alors qu'il a besoin de rassembler comme jamais et donc de tendre la main aux modérés pour éviter qu'ils ne s'abstiennent, il en remet une couche. Travail forcé pour les allocataires du RSA, une revendication historique de la droite la plus dure. Retraite à 65 ans, du Fillon dans le texte. Macron l'enfant roi sautille comme un fou sur le canapé pour voir qui l'arrêtera. Cet après midi, lors de son meeting, il a rasé gratis, promis des primes jusqu'à 6 000 euros aux salariés bien insérés, prime que n'auront évidemment pas les 5 millions de fonctionnaires, pour bien accentuer le clivage... Il a aussi promis de prolonger l'égalité femme / homme comme grande cause et il a raison, autant continuer à se glorifier de ne rien faire.

Emblème des modérés, de la raison, du barrage contre l'extrême-droite sans qui il ne peut l'emporter : les profs. En 2017, ils sont 40% à avoir voté pour lui. Après 5 ans de Blanquer, de mépris, de contrôle, de gel polaire des salaires, d'obsession folle sur la laïcité et de paranoïa contre le "wokisme" de chute historique du nombre de candidat.es aux concours et hausse tout aussi historique de démissions, le vent du boulet est là. Idem dans le supérieur, où la ministre Vidal a valsé entre incompétence, mépris et franchissement de la ligne rouge avec ouverture d'une enquête sur les islamo-gauchistes. En 2022, être prof et vouloir voter Macron, c'est vraiment être un crocodile désireux d'entrer dans un atelier de maroquinerie. Et Macron regarde les profs ensanglantés et leur déverse de l'essence : paie au mérite, critiques répétées sur leur niveau d'engagement....  Macron tente le salto arrière sur le canapé. S'il se loupe ça va faire très mal, mais il ne pourra pas dire qu'on ne l'a pas prévenu. 

 

 

 

01/04/2022

Quelle colère au second tour ?

Senghor avait vu juste moralement, mais faux électoralement avec "un raciste est quelqu'un qui se trompe de colère". L'histoire hoquète tristement, mais depuis quinze ans que les plus fragiles de nos sociétés continuent à subir les conséquences de la crise des subprimes que les plus favorisés ont oublié depuis longtemps, les votes racistes montent. C'est le racisme à l'ancienne qui a fait gagner le Brexit "voter pour virer les étrangers et vous retrouverez la prospérité". Le racisme de Guerre de Sécession à peine larvée qui a fait gagner Trump "voter pour nous barricader entre blancs avant que nous ne soyons submergés" et ad lib avec de fugaces victoires en Italie, en Autriche, des percées espagnoles, hollandaises et même scandinaves. Seuls les allemands ont résisté avec une AFD qui a à peine dépassé 10% avant de retomber. 

Cette colère là n'a jamais rien amené : au Royaume Uni, maintenant qu'on a fait partir les logisticiens, les chauffeurs uber, les soignants de médico social, les agents de nettoyage, le pays tourne moins que jamais. Aux États-Unis, l'invasion du Capitole donne une idée du niveau où s'est enfoncé le pays qui se voit toujours comme le phare de la démocratie mondiale.

En 2007, Ségolène Royal avait connu un moment de grâce avec une de ses rares phrases intelligentes "il y a des colères justes". Comme le rappelait Mélenchon hier soir sur France 2 "Oui je parle fort, oui je m'emporte. Et alors ? Comment ne pas être en colère face aux 8 millions de mal logés, aux 10 millions de pauvres, aux 600 morts dans la rue ?". Il a évidemment raison. La colère a amené le Front Populaire et nombre d'autres conquêtes. Mais avec la conjonction de mouvements sociaux importants, un élan donné par la rue traduit dans les urnes. Hélas, avec l'équation Covid + Ukraine, plus aucun mouvement social d'ampleur n'existe dans ce pays. Pourtant, sur le fond, l'opposition au projet réactionnaire d'Emmanuel Macron est colossal. Souvenons nous des foules contre la réforme des retraites, en 2019, alors qu'elle était moins violente que celle en préparation pour le nouveau quinquennat. Et quid du travail forcé pour les allocataires du RSA ? Evidemment la fronde sociale est légitime. Il y a toutes les raisons du monde à porter une colère sociale au second tour de la présidentielle. A compléter ce que n'avait pu achever le CNR dans un pays ruiné, avec un bouclier contre les risques du mal logement, du mal manger, avec des réquisitions de logements vides et une sécurité sociale alimentaire. Il faut espérer que les électeur.ices votent sur des aspirations positives et pas sur des passions tristes, mais une chose est sûre, la colère sera forte.

Avec la guerre d'Ukraine, Macron a oublié qu'il était le Président le plus haï de la Vème République. Il y a déjà eu, bien sûr, des Présidents beaucoup plus impopulaires que lui, Sarkozy et surtout Hollande. Mais Sarkozy provoquait de la colère et Hollande de l'indifférence, Macron suscite de la haine. Sa morgue toute versaillaise, son contentement royaliste, son mépris le plus absolu pour tous les mouvements sociaux ont fini de cristalliser une haine inédite. Les gilets jaunes n'ont rien obtenu. Les éditorialistes parlent des 10 milliards sortis pour acheter la paix sociale et arrêter le mouvement, mais qui a vu la couleur de ces 10 milliards dans les territoires d'où partirent les révoltes ? Après l'infini (au sens propre, puisqu'on avait encore 200 000 contaminations hier) Covid, le Ségur de la santé est une -mauvaise- plaisanterie. Quand à la convention citoyenne pour le climat, c'est le crachat ultime : les propositions intelligentes, concrètes, efficaces, sont là, et Macron les jette toutes pour garder l'enrobage inoffensif. Tout ceci a achevé de faire monter une haine gigantesque, qui ne fait que redoubler avec une proposition de retraite à 65 ans, de travail forcé au RSA et de rémunération des profs au mérite... Ajoutez en ultime pichenette dédaigneuse, sa réaction au scandale Mc Kinsey, quintessence de ce qui suscite l'exaspération : collusion, pognon de dingue pour le privé, renvoi d'ascenseur, opacité, fraude fiscale, inefficacité finale, contournement et mépris des fonctionnaires (et j'en passe). Certes, il partait de très très haut, mais tous les sondages depuis trois semaines montrent un Macron qui pique dangereusement du nez avec plus de 3 points perdus au premier tour et des seconds tours potentiels qui se resserrent. Macron joue avec le feu sans voir que la colère peut l'ensevelir. 

Ajoutez une dernière étincelle pour la barricade, l'idiot utile Zemmour. Il a recentré Marine le Pen sur la fond et l'a humanisé sur la forme. En lui piquant nombre de soutiens et même sa nièce, il en a fait une cabossée comme les français aiment. Comme Chirac en 1995, quand le banquier Balladur piquait tous les jeunes loups comme Sarkozy. Les électeurs se retrouvèrent dans la figure de Chirac, du brave gars. Le Pen vit le même moment. Paradoxe inouï quand on sait quelle héritière politique elle est, tout dans sa campagne suscite empathie et adhésion : elle est célibataire, la pauvre, lâchée par des opportunistes qui partent chez Zemmour, bichette, abandonnée par les banques françaises, paurvette, et en plus elle aime les animaux et défend les enfants en danger (hier sur France 2). A peu de choses près, on a l'impression d'écouter Soeur Emmanuelle... Il y a deux semaines, un meurtrier a abattu Martin Aramburu de 6 balles. Lui, comme tout son entourage était de tous les raouts du RN. On ne pose pas la question à Le Pen. Comme on ne lui pose pas la question du bilan des villes dirigées par ses ouailles, où le clientélisme, l'affairisme se mêlent. On ne lui parle même plus des emplois fictifs au Parlement Européen. On ne lui parle même plus de son racisme systémique, puisque c'est Zemmour, le méchant.

Macron sera au second tour, le socle de ceux qui veulent que le système perdure lui permet ça. Mais la violence inouïe, sans précédent, qu'il suscite n'assure absolument pas qu'il l'emporte. L'abstention au second tour sera colossal et tout peut se passer. Honnêtement, Mélenchon a beaucoup moins de chances que Le Pen de balayer Macron. Le débat s'est tellement droitisé qu'il faut concéder que nous sommes plus proches de la réaction que de la sociale. Raison de plus pour ne pas se tromper de colère au premier tour pour ne pas avoir à regretter l'affiche du second.