Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/09/2010

Quoi de plus actuel que le journal de JP Manchette ?

9782070781492.jpgAvant de rentrer dans ma dernière (I touch some wood) fonction salariée de ma vie, j'avais eu la chance de passer un entretien auprès de Jacques Rigaud. Ce Sphinx à noeud papillon me cuisinait sur mes dilections diverses et voyant que nos conceptions de l'univers divergeaient franchement (il était dircab de Duhamel sous Pompidou) il me dit ceci "vous êtes un peu impétueux, mais je vous donnerai une chance car vous n'êtes pas amnésique". Je le pris comme un beau compliment.

Et je souscris à l'analyse de maître Rigaud, les temps sont amnésiques chez les chroniqueurs de l'actualité. On ressort sans cesse l'entre deux guerres et, a contrario, nous gave de décisions "historiques" comme si rien n'avait jamais existé auparavant... Ne serait-ce que pour relativiser tout cela, il faut lire le journal de JP Manchette.

Avant-tout, il faut le lire car Manchette est le plus grand de nos écrivains noirs (au sens littéraire). Ces six ou sept romans écrits ces années-là restent d'une lecture jouissive, délectable même, surtout "l'affaire n'gustro", "la position du tireur couché" "laissez bronzer les cadavres", mais tous en fait. C'est un styliste qui a peu d'équivalent et tous les crétins snobinards qui continuent de cataloguer le polar comme un sous-genre littéraire, qu'ils aillent se faire mettre et je reste poli. Je vous échange 20 pages du journal de Manchette contre tout vos Angot, Darrieusecq, Beigbder et Nicolas Rey; non mais. C'est surtout un peintre social d'un réalisme saisissant, il dissèque la lutte des classes, la violence larvée, la montée du racisme, toutes choses avec brio...

On croise sa bande de copains, beaucoup de cinéastes, la jeune Laffont et le grand producteur de ciné Pierre Grunstein (à qui on doit encore aujourd'hui Astérix...), des musiciens et autres intellos. Pas de sportifs, évidemment. Manchette, c'est jazz, alcool and more alcool la seule fois où il mentionne l'existence du sport c'est pour parler de la prise d'otage aux JO de 72. O tempora o mores...

Alors forcément, quand on ouvre le journal on s'attend à voir le prolongement du grand écrivain. C'est rarement le cas avec les journaux: celui de Jules Renard est infiniment plus drôle que poil de carotte, celui de Huguenin tellement plus brillant que la côte sauvage. Avec Manchette, la déception est humaine: il ne parle que de fric, est tout le temps fatigué et affirme n'écrire que pour pouvoir se les rouler peinard. O la chute de l'idole ! Il n'écrit pas pour l'histoire, la postérité, le Panthéon des lettres, il a la bassesse de reconnaître vouloir en vivre... Je plaisante bien sûr, c'est plus que son droit. Et un type qui prône le droit à la paresse, mon idéal, comment le blâmer ? En plus, il en fait un programme politique, il veut réhabiliter l'otium du peuple contre le negotium de l'époque. Et puis, malheureusement pour moi et tous ses fans, il l'a vraiment fait: dès qu'il a gagné de l'argent avec des scénars de cinoche, il a cessé d'écrire des romans. Tristesse...

Fors ces tracasseries matérielles, Manchette est d'une troublante actualité: il est en plein dans la découverte du consumérisme, rappelle que les crises sont systémiques: entre 68 et 72, il parle de paupérisation quand la France va bien et d'opulence quand le choc pétrolier arrive... Sur 68, justement, il ne publie que 2 fois en 3 mois alors qu'il tient son journal plusieurs fois par semaine; il était "en dehors" de tout cela.

Enfin, on peut vraiment réfléchir en lisant Manchette, sur la stigmatisation des marginaux, sur la drogue, les tensions ethniques et autres car Manchette en bon intello colle des articles de presse. Intéressant de relire avec le recul cette déclaration du maire de Fréjus en 73, à propos de l'avortement faite dans un journal local : "à l'heure où les pays sous développés progressent, la protection de la race blanche doit préoccuper tous les responsables". Pas mal, hein ? Eric Zemmour, petite bite...

 Pour se séparer sur une note plus riante, je fais l'effort de vous recopier cette description jubilatoire de l'institution germanopratine Castel, en 72: "Une pièce fait restau, l'autre bar. Dans ce bar se retrouvent à deux tables seulement, des gens qui se connaissent tous et s'appellent mon chéri. Au premier étage, il y a un restaurant pour beaufs snobs. Au sous-sol, une boîte pleine de minets et de cover girls. Les filles sont ravissantes et parées, et con qu'on ose pas imaginer. Les phrases qui s'échangent ont l'air écrites par un dialoguiste raté férocement populiste et désireux de définir les riches comme des dépravés imbéciles. Il paraît que l'ambiance change après deux heures quand arrivent, ivres, Blondin Ronet, parfois Gégauff. Je n'ai tenu que jusqu'à deux heures. Grimbalt a une Porsche et c'est excessivement impressionnant".

Etonnant, non ?

Demain, nous chercherons à savoir comment se procurer le dernier Hirsch sachant que le seul espace vendant des livres où je suis c'est le Monoprix et que ô surprise, ils l'ont pas...

Commentaires

Adoré Manchette quand je l'avait découvert, à tel point que j'avais à peu près tout dévoré.
Nada, le petit bleu de la côte ouest, la position du tireur couché...
Merci de mettre en lumière ceux qui méritent quelques rayons (et pas seulement celles des étagères poussiéreuses)

Écrit par : Mike hammer papatam andropov | 30/09/2010

Désolé pour toutes les fautes, je trouve que j'ai fait fort, là.

Écrit par : Mike hammer papatam andropov | 30/09/2010

J'ai peu de mérite à vrai dire, à 20 ans mon père m'a dit "fils, tu files un mauvais coton, là (j'avais dû lui parler de l'esthétique du rebelle chez Philippe Djian) il m'a fait lire tout Manchette... Inutile de préciser que je suis allé revendre mes Djian et commencé alors un long travail d'exhumation des meilleurs titres de la Série Noire...

Écrit par : Castor Junior | 30/09/2010

Vous avez bien raison l'histoire commence avant l'entre deux guerre, et la mémoire de beaucoup est très très courte! D'ailleurs ceux qui pensent que l'histoire est fini croient qu'il ne reste plus qu'à faire du marqueting de l'histoire, voire du marqueting antifasciste, et ils se trompent souvent cruellement sur les vrais fascistes d'ailleurs. Précisément parce qu'ils ont une vue de l'histoire, comme de castel en 72 qui n'était au fond qu'un repère branché comme il en existera toujours (et vous n'allez pas me dire que vous sucez de la glace!), donc ils en ont une vue aigrie. Effectivement mieux vaut Manchette que Djian, là c'est vraiment une question de culture au vrai sens du terme.

Écrit par : delif | 01/10/2010

Ha non, je ne vous le dirais pas ! Je suis hydropathe et d'ailleurs, quand j'avais fait un mémoire sur l'image de la Série Noire, j'avais pu constater que c'était une constante chez les lecteurs de cette collection...
Quand à Castel, je puis m'honorer de n'y avoir jamais mis les pieds !

Écrit par : Castor Junior | 01/10/2010

bon alors, jamais lu. parfois j'ai peur d'être rebutée par la littérature crade, ce qui ne devrait pas être un critère. j'aime les intérieurs proprets ?

Écrit par : Ema | 01/10/2010

Crade ? Noir, c'est un genre... Polar social, une puissance...
Je ne sais pas si tu aimes les intérieurs proprets, mais par ta faute, j'ai souffert 450 pages de "la possibilité d'une île"... qui est PROPREMENT nullissime... Rien à sauver.... On en recausera.

Écrit par : Castor Junior | 01/10/2010

rien ? mais tu n'as pas de coeur !
(même Fox ?)

Écrit par : Ema | 01/10/2010

Je suis un homme à chats, pas de chiens chez moi...
Allez, 2-3 formules bien tassées... Mais c'est tout...

Écrit par : Castor Junior | 01/10/2010

Un homme paradoxal ce Manchette. Alors que ses romans transpiraient son époque, lui se voulait, se construisait à l'écart, à l'abri du monde. La lecture de son journal illustre ses seules préoccupations : l'éducation de son fils, le cinéma, la lecture de romans et d'essais, auxquelles s'ajoute le besoin vital de fonder une économie qui lui est propre. Une économie ou travailler moins et mieux rime avec gagner plus. Qui lui en voudrait ? D'autant qu'il a réussi et sans compromission notable - je pense bien sûr aux intellectuels de notre époque et à leurs liens malsains tant avec la jet-set qu'avec la presse. L'œuvre de Manchette est un peu juste pour les avides, une dizaine de romans seulement, mais la cloppe l'a fauché un peu tôt. reste cet étonnant Journal, dont on espère que Gallimard éditera un jour le second tome; et surtout la correspondance, qui doit être éditée en 2011.

Écrit par : Bakou | 05/10/2010

@ Bakou : rien à ajouter à ce comm' acéré comme un Katana, sauf que je crois vraiment qu'ils vont continuer à publier la suite!

Écrit par : Castor Junior | 05/10/2010

j'ai rien compris

Écrit par : malak | 30/04/2011

Les commentaires sont fermés.