15/06/2011
Les banlieues, lieux mis au ban des médias...
Dans l'inconscient collectif, Reporters Sans Frontières s'occupe de la liberté de la presse de par le vaste monde. Aussi, les voir traiter de ce qui se passe à Corbeil-Essonnes m'a plutôt surpris.
http://www.slate.fr/tribune/39379/information-banlieues-e...
Le directeur de la recherche d'RSF nous explique la menace : à empêcher les journalistes de bonne foi de faire leur boulot, on laisse la place à des journalistes déformés par le scandale, le seul droit d'informer sur "la" banlieue. Des cartes de presse (ou pas) qui partent en exploration, comme on part à la jungle pour chercher, dénicher ce qui est moche, qui est slle, qu'on attend avec une malsaine excitation. Des joints à foison, des mômes qui se cament dans les buissons, volent les sacs des vieilles, courent après les filles, pétaradent sur des quads et se balladent le Uzi en bandoulière...
Cette déplorable image d'Epinal est devenue la norme construite autour de nos banlieues. A part "Périphéries" d'Edouard Zambeaux, peu de grands médias consacrent des émissions à ces immenses espaces urbains. Combien de visites sur le Bondy Blog ? Pour quelques reportages en profondeur sur le foisonnement d'initiatives, combien de "la vérité sur les bandes" "l'enfer des cités", "enquête sur la ville de non droit", "genèse du gang des barbares", "plongée dans le royaume de ceux qui niquent la France". L'an dernier, une émission de France Inter (encore...) avait souligné que rarement dans la langue française un mot aura été à ce point dénaturé.
La définition de wikipédia illustre ce malaise. Le médium étant plus récent, il englobe à la fois la définition naturelle et sa déviance médiatique: "La banlieue désigne communément l'espace urbanisé d'une ville qui est situé dans la continuité du bâti de sa ville-centre et qui en est administrativement distinct. Aujourd'hui, dans certains pays (en France entre autres), ce mot désigne habituellement dans les médias les quartiers pauvres et par conséquent souvent difficiles ("problèmes de banlieue")".
Et voilà comment l'alpha et l'omega des définitions des étudiants intègre l'aspect invariablement négatif de "banlieue". Pour autant, Neuilly ou Chatou, St Rémy les Chevreuses sont aussi des banlieues... A-t-on jamais entendu dire "l'X, HEC, Thalès, l'Oréal sont situés en banlieues", non, ces éléments du prestige Français sont situés "en région parisienne"...
Tout ceci ne vaut rien qui vaille comme le dit le chercheur de RSF. Cela souligne ce que Christophe Guilluy appelle dans son livre des "fractures françaises". Une déconnexion actée, irrémédiablement actée par des élites qui ne veulent plus voir cette réalité et la détache de leur programme politique comme on se sépare d'un poids pour mieux s'envoler. Une pratique moralement condamnable mais surtout politiquement stupide: l'avenir démographique et donc l'avenir des entrepreneurs et de la création du pays sont dans ces villes. S'en désintéresser revient à un suicide politique... Sciemment entretenu : combien d'élus de banlieue y vivent encore ? Ce n'est pas un hasard de voir Stéphane Gatignon tirer la sonnette d'alarme: il vit à Sevran. Contrairement à Mélenchon ou Dray qui rappellent invariablement qu'ils sont "élus de banlieue", certes, mais vivent à Paris. Une attitude lourde de symbole. Ils préfèrent vivre à Paris pour tout ce que la capitale offre et qu'ils ont acté ne pouvoir doté leurs villes...
Ces lieux mis au ban, ces banlieues, sont plus que jamais la caisse de résonance de Marine le Pen. Pour une raison simple: elle agite cette réalité déformée par les médias et promet de la changer. Une candidature du changement, plutôt que de s'échiner vainement à promettre de tout reconstruire devrait commencer par s'y rendre pour parler d'autre chose que de sécurité...
La semaine dernière, j'étais aussi à Corbeille-Essonnes pour animer un débat sur l'avenir de la culture. Il faisait chaud et il était plus de 23h, cela faisait plus de 2h que l'on échangeait et pourtant il restait une quinzaine de personnes debout, toutes les chaises étant occupées par des militants persuadés que la culture restait la réponse prioritaire pour leurs villes. J'aurais vraiment aimé que des journalistes montrent aussi cet aspect de la ville, même si je reconnais qu'il est moins télégénique que l'infinie cohorte de camion de CRS que nous croisions au retour, devant les Tarterêts...
08:22 | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Et de Corbeille-Essonnes, tu es revenu comment sur Paris à 23h ?
Écrit par : Cecile | 15/06/2011
En l'occurence, je suis rentré à minuit et en co-voiturage... Car le RER D, en plus de pouvoir craindre, est sans cesse en carafe...
Écrit par : Castor Junior | 15/06/2011
C'était ce que je voulais lire... Avant la culture, la question de l'emploi et des transports me semblent primordiales. Et trop souvent dans les politiques de la ville on a mis de l'argent sur des panneaux de basket, des terrains de foot, des MJC sans penser la cause des symptômes violents de la banlieue : l'isolement et le chômage. Comme un pansement divertissant sur une plaie ouverte.
Écrit par : Cecile | 15/06/2011
Faut pas dissocier... Mais c'est vrai que, à tout prendre, le Grand Paris changera peut être les choses. Ou en pire en "clusterisant" l'Ile de France, avec des pôles urbains et des ghettos à gueux évités par les lignes de transports. Quand à l'emploi, c'est incontestable : le taux de chômage des jeunes y est le double de celui des centre villes. Pas glop du tout...
Écrit par : Castor Junior | 15/06/2011
Et revoir (le mot est faible) aussi l'urbanisme, parce que Corbeil-Essonnes, Montconseil, les Tarterêts (je connais pour de vrai) c'est un concentré de tout ce qui est insupportable en banlieue
Écrit par : Yola | 18/06/2011
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