09/08/2011
Jane Evelyn Atwood, l'oeil des marges
"Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate" peut-on lire au début de l'Enfer de Dante. Le message vaut aussi pour ceux qui se rendent à la Maison Européenne de la Photo à Paris, dans le Marais. Le Marais, quartier médiéval, Dante auteur médiéval, Atwood photographe contemporaine dont le travail porte sur des univers si durs qu'on les croiraient datés de cette époque où l'on brûlait les roux.
On entre dans l'expo en apnée, et on ressort de ces quelques 200 photos asphyxiés, incapables d'aller apprécier les réjouissances du rez-de-chaussée pourtant baptisées "de l'Air" qui montre des joyeusetés bigarrées, un univers mêlant Broadback Mountain et Tex Avery qui aurait fait un passage par Tokyo. Une autre fois peut être...
Atwood ne pactise jamais avec ses sujets pour en exploiter la misère, elle ne les enjolive pas comme Avedon, ne les affecte pas. Elle reste des heures avec eux, des jours ou parfois des mois, jusqu'à se faire complètement oublier et pouvoir saisir des modèles qui ne posent jamais. Tous ont en commun une douloureuse singularité, quelque chose en eux voudrait qu'on les oublie. Soit que la nature les a affligé d'un mal de naissance très lourd (ses séries à l'Institut des Jeunes Aveugles et dans des Centres d'Aides par le Travail pour handicapés) soit que le progrès scientifique n'a pas fait le bien attendu (sa série sur les victimes de mines anti-personnelles).
Sa série de photos sur Haïti est particulièrement bouleversante tant elle va à rebours des clichés que l'on a pu voir lors des derniers événements dramatiques. Un cheval mort sur une route, comme foudroyé par le destin maudit de l'Ile, un enfant dans une grange vide ou une petite fille à la robe rose, le regard fier avec son balais qui nettoie le perron de sa maison comme si sa vie en dépendait.
Dans un recoin, on trouve également une curieuse série pour qui est né près de 1980 et ne lisait pas les journaux en 1987, époque à laquelle la série de "Jean-Louis malade du SIDA" a paru dans la presse. Pour témoigner. Uppercut bien reçu.
On quitte alors le premier étage pour monter et sourire devant les deux premières pièces, pleines d'une chaleur complice avec les prostituées de la rue des Lombards. Elle les a suivi pendant un an, dans cet hôtel de passe miteux ou les flics passent avec une bienveillance mâtinée d'envie. Certaines d'entre elles ont tout un tas de chaînes, de fouets et autres ; une photo montre même la maîtresse en pleine séance d'humiliation d'un homme avec une capuche sur la tête, qui a l'air de jubiler. Tous les goûts sont dans la nature. Ce sont des adultes consentants.
On croit alors que ça va aller et il y a la dernière série. La plus vaste, la plus âpre aussi. Celle sur les femmes en prison, en France, aux Etats-Unis, chez les mineures russes aussi. Là, on est saisi à la cage thoracique, comme asphyxié par tant de noirceur. Cet univers de quelques centimètres où les larmes et le sang coulent, entre dépressions et auto-mutilation. La vie est dans les marges et les commentaires des photos lèvent le coeur. Comme cet homme penché sur le catafalque de son épouse. Rentrée en prison pour des chèques sans provision (...), cette asthmatique fut privée de sa Ventoline par le règlement intérieur. Lequel ne prévoit pas les décès rapides, étouffés, dans une cellule sans surveillance de co-détenues.
Et puis il y a tout ces clichés de femmes en salle de travail, les mains menottés. Selon les règlements, on leur enlève leurs enfants plus ou moins vite. En France, apparemment, la durée légale est de dix-huit mois. A cet âge là, il faut placer l'enfant. Une photo prise aux Baumettes à Marseille montre un petit bout de chou de treize mois, perdu dans un vaste hall donnant sur des cellules aux barreaux monstrueux. Drôle de crèche.
On sort de la un peu groggy, mais l'art ne peut pas procurer que du dégoulinant. Vous qui rentrez de vacances, vous avez le temps, c'est jusqu'au 25 septembre, mais en ce moment, c'est assez vide un luxe à saisir. Les infos pratiques ici http://www.mep-fr.org/actu_1.htm
07:43 | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Toi, tu dois aussi aimer Diane Arbus. Non?
Écrit par : estellebeaurivage | 10/08/2011
Bah, en fait, honnêtement, je viens de découvrir grâce à ton commentaire, si je trouve une expo ou rétro d'elle, j'y fonce !
Écrit par : Castor Junior | 11/08/2011
Castor: rétrospective Arbus à la rentrée au jeu de paume.
Écrit par : sdr | 11/08/2011
"Diane Arbus ou le rêve du naufrage" de Patrick Roegiers chez Perrin.
A lire, mais sans espoir d'espoir. Except le génie.
Écrit par : estellebeaurivage | 11/08/2011
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