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14/09/2011

Limonov vs Freedom. France 1 / Etats-Unis 0

9de0922f49ed6eba2bf396a3a5d4aa8d.jpgPour l'illustration, les amateurs de tennis reconnaîtront la victoire de Forget et Leconte sur Sampras et Agassi en 91, à Lyon. Le parallèle vaut avec cette rentrée littéraire où le français est présenté comme le petit poucet face à l'Ogre et grand écrivain américain : Emmanuel Carrère contre Johnatan Franzen. 54 contre 52 ans, presque le même nombre de livres derrière eux et là, un petit 500 pages pour Carrère, 700 pour Franzen. Cela semble important pour les commentateurs d'aujourd'hui qui pèsent la littérature au trébuchet. Dans les deux extrêmes d'ailleurs. 

Pour être sérieux, nous disent les critiques, produisez une somme ou au contraire un haïku. Les pavés de 1000 pages impressionnent toujours ceux qui ne les lisent pas mais invoquent souvent les Karamazov (qu'ils n'ont pas forcément lu d'ailleurs) avant de s'extasier devant les 15 pages de Stéphane Hessel ou les 20 (mais écrit plus gros) de Jean d'Ormesson sur Napoléon. 

Pour être sérieux, aussi, il faut avoir quelque chose à dire sur l'époque. Or, et c'est là où ça devient fou, on nous annonce que Franzen "embrasse 40 ans d'histoire de la société américaine" et bah il a mis la langue, mais pas le style, hélas ! Carrère, lui a produit une sorte de biographie romancée d'un écrivain star des cénacles germanopratins mais inconnu dès qu'on franchit le périph et devenu dirigeant d'un groupuscule national-bolchévique mi SS, mi amateur de goulag et "plus compliqué que cela".

Sur la balance donc, en termes d'ambition, de projets, de "pitch" il n'y a pas photo. Franzen arrive nimbé d'un succès critique outre atlantique délirant. En France, une de Libé où l'on brûle de l'encens sous la photo du nouveau grand témoin de l'époque. Bon. Je ne dirais pas que Freedom est un mauvais livre. Mais un chef d'oeuvre, en revanche, qu'il me soit permis d'en douter. Le succès de la critique s'explique: c'est un livre fait pour la critique. Des personnages à rebours des habituels héros: un homme bon à la tête d'une fondation écologique au lieu du trader, son fils qui vire conservateur et pas Che Guevara, une mère alcoolique au lieu du père et une rock star qui ne sombre pas dans les paradis artificiels. Bien. Ajoutez à cela 15 premières pages magistrales, ciselés, dégoulinantes d'intelligence, de luxe de détails sur ce qui va suivre et. Bah rien. La magie cesse d'opérer après 15 pages. Ensuite, on comprend tout et surtout qu'il n'y a pas eu d'éditeur pour dire au Grand Ecrivain Franzen, "coupe, coupe, coupe, ne cherche pas à tout mettre !!!". Mais Franzen n'écoute pas, il veut dans un même roman dénoncer le star system, l'écologie, le féminisme, l'adultère, la lâcheté des hommes, la bêtise des jeunes, l'intelligence des jeunes, le cynisme... Bref, n'en jetez plus, c'est étouffe goy au possible.

Le plus surprenant est que ce foisonnement ne suscite pas une saturation, mais au contraire une exaspération devant l'ennui qui s'élève de ce livre: à vouloir tout croquer, il ne saisit rien. Et nous glissons sur les fameuses 700 pages avec un ennui constant qui ne cesse qu'au point final.

En face, donc, le petit Poucet. Emmanuel Carrère, le challenger qui débarque après un excellent combat, d'autres vies que la mienne. Et il frappe encore plus fort avec un principe génial de construction: la biographie d'un contemporain qu'il ne connaît pas. Traditionnellement, on biographie les morts, ou interviewe sans fin les vivants pour faire un livre document. Depuis trois livres, Echnoz met en roman des morts avec malice (Ravel, Zatopek et Volta) mais les vivants sont souvent des politiques ou des pamphlets sur Houellebecq. Limonov innove donc pour notre plus grand bonheur. Il n'a vu ce personnage picaresque que 2 ou 3 fois et pour le reste, il a juste réécrit les livres de Limonov qui s'est raconté dans ses 10 romans. Mais Carrère les réécrit infiniment mieux, infiniment plus juste. Limonov (le vrai) n'est pas Hémingway, il ne manie pas la mythomanie avec grâce, c'est un peu drôle, mais souvent lourd et plein d'oeillades ce qui explique son succès dans les cénacles. Carrère, lui, trouve la distance, les phrases, les accroches pour retranscrire toutes les anecdotes folles de la vie de Limonov. Très vite, on oublie que l'homme peut exister et nous sommes dans le roman. Gorbatchev, Eltsine et Poutine se succèdent, mais nous sommes dans le roman et pas n'importe lequel, dans ceux que l'on referme avec l'assurance de lire le prochain de l'auteur. 

 

 

Commentaires

j'étais pas Carrèriste pour un sou et j'ai pleuré cet été en refermant les pages du dernier livre
Et le dernier livre de Franzen pas les corrections, un autre, je l'avais lu en anglais. Du coup, j'avais rien compris. Ce qui n'était pas bon signe ?

Écrit par : ema | 15/09/2011

Pas bon signe ? Sur ton niveau d'anglais ? Sur son niveau d'anglais compréhensible par les autres ? En français, on comprend aisément. C'est même là le problème: 700 pages comprises dès la 28, c'est long.

Écrit par : Castor Junior | 15/09/2011

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