23/09/2011
Prix des livres, vente de livres à tout prix et méfiance à tout prix...
Au fond, une des questions fondamentales à poser aux chroniqueurs littéraires (les critiques, c'est différent, mais ils ne sont pas légion) serait celle-ci : ce livre dont vous dites tant de bien, en diriez-vous la même chose si vous l'aviez payé ? Oui, comme cela, ça paraît anodin, mais je crois que cette question du prix n'est pas du tout assez étudié par les professionnels de l'édition quand ceux du disque savent qu'ils en ont crevé. Le problème lié à cette assertion initiale c'est un désaveu croissant vis-à-vis de la presse littéraire (ou prétendue telle), comme un écho sadique au désamour pour la classe politique: trop d'affaires, on ne leur fait plus confiance et ils ne sont plus prescripteur. La désertion des librairies est leur abstention et les critiques réagissent comme les gouvernants : tant qu'ils gagnent ou que leur poulain vend quand même, ils ne pensent pas à un aggiornamento.
Un constat d'abord: ce disant, je ne parle évidemment que de la création et des nouveaux auteurs. Le catalogue de poche est immense; et les nouveautés se transforment en poche 9 mois à un an après leur sortie en grand format. Par ailleurs, Internet et les revendeurs d'occas' permettent à qui veut de trouver des livres peu onéreux. Soit. Mais c'est un autre débat. Ce qui m'interroge est la question suivante: qu'est-ce qui pousse un être normal à mettre le prix d'un livre neuf ? Pour répondre à cette question, on peut proposer une typologie, forcément incomplète, mais qui tente de brosser un honnête portrait 4 ans après le superbe panorama de l'ami Guillot,
http://secondflore.hautetfort.com/archive/2007/07/30/la-p...
L'idée à chaque fois est de voir comment on parle de ces livres et comment cela se répercute sur les ventes (subjectif, les ventes des livres sont aussi opaques que les comptes de Balladur en 1993, les classements la FNAC valent que pouic).
Les livres à chouchous : ils sont légions et causent sans nul doute le plus grand discrédit de la part de la critique. Romain Gary s'était ému de voir dans les critiques des journaux un nombre de preuve flagrante qu'il n'était plus lu. On connaît la suite, Ajar, Goncourt, Gary et critique à nouveau fâchés... Rien n'a changé depuis, quand les critiques ont connu un emballement et accordé du talent à quelqu'un, impossible de revenir sur ce jugement premier. Même en dépit de l'entendement. N'accablons pas Foenkinos, objet de la haine de cette hyène de Yann Moix (le lancer est interdit, mais reste le combat de nains...) mais si son premier opus, inversion de l'idiotie, faisait montre d'originalité et de style, depuis qu'est-ce qu'on s'ennuie, qu'est ce que c'est bête... Pourtant, nombre de papiers parlent de "l'écrivain de la fragilité" soit ils n'ont pas lu ses livres, soit je ne vois pas... Idem pour Dantzig, son Dictionnaire était étourdissant et chapeau bas, mais ses romans "nos vies hatives" et "avion pour Caracas" sont si consternants qu'on en vient à subodorer qu'il a pris les Bogdanov comme nègres...
On pourrait continuer la liste, elle est infinie, mais juste un dernier : Bégaudeau. Reconnaissons beaucoup de qualités à "entre les murs" mais "la blessure" son dernier opus est si mal écrit, si bête, si bâclé, qu'envoyé par la Poste il ne serait pris nulle part ce qui n'empêche pas Arnaud Viviant et autre de déclarer, tranquille "c'est un authentique chef d'oeuvre".... La politique, je vous dis : à entendre toujours "il n'y a pas d'affaires" les électeurs se lassent et délaissent les bureaux de vote, cela ne veut pas dire qu'ils n'aiment plus la politique. Idem, les gros lecteurs se lassent de parutions survendus et relisent Gorki, Garcia Marquez et Victor Hugo...
Les livres à phénomènes: là, ce n'est pas une oeuvre que l'on vend mais un auteur. Un cas d'école à la rentrée : Marien Defalvard. "19 ans, il écrit comme s'il en avait 1000" nous apprend la 4ème de couv'. Tu parles d'un argument... Depuis Minou Drouet toutes les rentrées connaissent leur wunderkind mais rares sont les vrais élus : Radiguet, Sagan, Jean-Marc Roberts (ça baisse quand même...). Chaque fois, seule la personnalité de l'auteur est mise en avant. Soit sa jeunesse, sa vieillesse, son passé de taulard... et on ne parle pas du livre. Là, il suffit dans le cas de Defalvard de l'ouvrir au hasard l'impression est immédiate: du toc. Une cascade puissante et sans fin de phrases trop ourlées pour être honnêtes, une avalanche lassante d'adjectifs à la suite "il règnait une atmosphère poivrée, vinaigrée". Choisit, les deux ensemble ce n'est bon qu'en salade... Si je reviens à mon point de départ, qui, à part trois types qui l'on reçu gratos sont prêt à mettre 20,5 euros pour lire cette enfilade d'exercice d'auto admiration ? On se fait avoir une fois et on y revient pas... Le prochain génie, même si Alexis Genni, ou Tristan Garcia. On y revient pas.
Les livres à pitch: là c'est "Ticket d'entrée" de Macé Scaron, le "Britney Spears" de Jean Rolin ou les livres d'Eric Reinhardt. On ne parle pas du livre, mais les auteurs savent en parler en un pitch séduisant. Mon curé au Figaro Magazine dans le premier cas, un piéton cultivé dans le Los Angeles barbare dans le second pas, les ravages de la sexualisation du monde dans le troisième cas... Dans les trois cas, on ne parle pas des livres, de leur style (absence de dans le premier cas...) du mordant de l'histoire de ce qui nous captive ou pas... Des livres de parfois 500 pages réduit à un pitch séduisant, le lecteur qui a acheté le bouquin est écoeuré. Comme ces mensonges l'an dernier sur "l'odyssée aérienne" de Philippe Forrest, 500 pages où il règle ses complexes phalliques avec des métaphores avionesques oiseuses, pardon, mais qu'est-ce qu'on s'ennuie. Que des critiques en mal de prostate se soient reconnus, tant mieux, de là à crier au Proust d'Air France...
On pourrait continuer la liste avec les livres faits pour avoir des prix, les livres des fils de, des mères de (Houellbecq) et autres, mais le constat serait toujours le même. La critique continue, ronronnante, à ne pas parler des livres alors que les pages consacrées à l'actualité littéraire se multiplie mais l'on parle d'autre chose... Du coup, cela produit deux phénomènes nocifs pour les amateurs de livre : d'une part bien fait pour eux (mais en ont-ils quelque chose à cirer ?) la presse est de moins en moins prescripteur, ce qui est ennuyeux pour les nombreux auteurs peu diffusés qui compte sur elle. D'autre part, la méfiance du public le pousse de plus en plus vers un nombre restreints d'auteurs et à force d'avoir fait passer des mystificateurs pour les nouveaux Chateaubriand, les ventes moyennes des premiers romans ne cessent de s'étioler, de quelques milliers il y a 40 ans, elles s'établissent désormais à 617 en moyenne... Pas de quoi nourrir son homme et tout le monde n'est pas Orwell prêt à vivre dans la dèche à Paris et à Londres ou tout le monde n'est pas rentier comme Proust....
Tous les grands auteurs ont commencé par un premier roman qui n'a pas forcément marché (tout le monde n'est pas Laurent Binet) mais reste la question de savoir si on leur laissera le choix d'ne produire d'autre ou si comme André Blanchard, ils devront se contenter d'éditeurs périphériques (pas le Dilettante, ses autres éditeurs...).
Pour revenir au point de départ, que les éditeurs se préoccupent un peu plus du prix du livre et que les critiques parlent du livre : s'il y aura toujours 50 000 types pour donner 20 euros à d'Ormesson ou à Modiano, pour faire éclore les futurs le Clézio, un premier roman à 15 voire 10 euros serait pas mal, surtout si les commentateurs le vendent pour ce qu'il est...
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Commentaires
Nous sommes habitués, et ça doit remonter d'ailleurs à Louis XIV, à avoir des prix relativement homogènes dans le livre.
Avec la concurrence pure et parfaite, tous les prix sont homogénéisés. Sony= Samsung. Un spectacle de Jonnhy est aussi cher que l'Opéra. Etc.
le prix d'un disque de Prince = le prix d'un disque de Metallica = le prix du dernier Sheila.
Le prix du Ormesson = prix du dernier Reinhardt = Prix de n'importe quelle édition en 15x21 (environ). Et tous les prix poches sont étagés sur le volume.
Pourquoi ne pas discriminer le prix en fonction de la qualité que lui prête son éditeur.
Grosso modo, le bien matériel reproductible fonctionne sur le prix unique et le service (immatériel) repose sur un prix différencié, type restaurant, hôtellerie, classe affaire et transport...
C'est-à-dire que le prix unique, philosophiquement bien au-delà du prix unique relevant du réseau commercial, relève d'une volonté d'indistinction par l'éditeur à vendre sa soupe. Là-dessus on se rejoint.
Serait-on prêt à payer 30€ un bon livre ?
En tout cas, je serai surtout prêt à apprécier une politique différenciée de la part des éditeurs. Vous me direz, elle existe via les plans coms. Certes.
Cela étant, je pense encore plus profondément que les tarifs relèvent de la main invisible et du maintien des équilibres dans ce noble secteur qu'est le livre, et que l'offre hyper abondante n'interdit en rien les révélations et l'achat.
De toute façon. Le problème réside dans cette caricature : les riches s'en foutent et n'ont pas le temps, les lettrés liront de toute façon et selon n'importe quel vent et les pauvres s'en battent.
Par ailleurs, je n'ai jamais eu l’impression, à la Fnac ou Gibert, que le prix avait le moindre impact dissuasif sur l'achat. Vous êtes-vous jamais dit ? Ah, le... euh... "L'art français de la guerre" tient, il est à 21€. A 25€ c'est trop cher. A 21€ j'hésite. A 17€ je l'aurais pris. Non, je pense que personne ne fonctionne comme ça pour acheter ses bouquins, à la sortie ou en poche. On a envie de le lire, maintenant, on le prend et basta. Ou on le refout sur la pile.
Et quand on est jeune, aucun parent ne refuse de payer un bouquin.
Écrit par : atlas | 24/09/2011
"Et quand on est jeune, aucun parent ne refuse de payer un bouquin". Parce que tes parents avaient les moyens... Les miens aussi. Mais combien de gosses essuient des refus, puis s'autocensurent et esquivent les bibliothèques, la gratuité ne relève pas de l'évidence et n'est pas la même pour toute. Quand à ton truc sur Alexis Jenni, évidemment que si, le prix joue sinon les poches ne connaîtraient pas un tel engouement...
Écrit par : Castor Junior | 24/09/2011
Bien sûr que le prix du livre joue, comme celui d'une place de cinéma ou d'une entrée à une expo, et pas seulement pour les jeunes.
Quant à la critique, elle se cantonne souvent à un matraquage : on ne parle et reparle que de quelques bouquins, partout les mêmes. Quelquefois, autour de toi, tu as 10 personnes qui lisent LE bouquin du moment. Ça me décourage. Alors qu'on peut aussi aller à la découverte, et tant pis-tant mieux si c'est un livre qui est paru depuis 3 ans ou que peu de gens ont lu. Comme une rencontre; par exemple, le livre de l'«ami» Guillot!
Écrit par : Yola | 24/09/2011
Merci pour le soutien sur le prix, notamment des expos : quelqu'un pourrait il expliquer au musée du Luxembourg que 9 euros pour 4 salles ça porte un nom : le racket !
Écrit par : Castor Junior | 24/09/2011
Le poche marche évidemment parce que l'autre format est plus cher. Évidemment. Mais également parce que c'est un meilleur format de lecture. Perso, je préfère, j'y suis habitué... Les autres formats ne sont jamais au même format : empilés ou étagés : l'aspect est laid. Sans compter qu'ils peuvent se casser sur la tranche, ce qui n'est pas le cas des poches, sauf une ou deux collecs.
Disons que le prix a son influence s'il faut opposer deux formats. Mais au sein d'un unique format, je ne pense pas que ce soit le cas. le poche qui est généralement le livre dont on parle. Quand on parle du livre, on ne parle pas des livres universitaires, que je sache ou des "beaux livres".
Le prix d'un livre = prix d'une place de cinoche. Maintenant ça fait 10 ans qu'on ne l'entend plus le débat sur le prix la place de cinéma.
Je ne suis pas au contrôle de gestion chez Hachette, mais bon, un bouquin est un bien matériel culturel, avec x intermédiaires. Un poche entre 6 et 12€ (pour les très gros), ce ne me semble clairement pas être le problème. Pour les grands formats, entre 18 et 22€, qui s'adressent de toute façon à un lectorat mature (tu le sais), le prix ne me semble pas non ni dissuasif ni incitatif.
Je rajoute un dernier élément. Tu proposes un prix baissé à 15€. Passons sur la néo répartition des bénéfs. Si le prix de base est à 18€. On ne peut pas dire que ça ferait une grande diff. Si tu le passes à 10€ ton Le Clézio, ça doit faire une diff de 3 ou 4€ avec le poche, ce qui, du coup, pourrait rendre inutile le poche (sauf pour la raison que j'ai évoquée plus haut). Ce qui fait qu'un changement de tarif devrait tenir compte de toute l'échelle des prix dans le livre... Ce qui est impossible, puisqu'en vertu de la conc libre et parfaite, l'équilibre est là. J'ai envie de dire, cqfd.
Écrit par : atlas | 26/09/2011
Je me demande où tu vis... Evidemment que le prix de la place de cinoche fait débat ! Pour une famille, ça veut dire la sortie à 40 euros (les gamins paient moins cher, mais le pop corn...) bien trop onéreux. D'où le streaming. Les abonnements sont avantageux mais servent ceux qui ont le temps et les loisirs d'y aller (i.e. ma pomme par exemple...)
Justement, l'idée est de pousser la création nouvelle en plafonnant à 15/16 euros les nouveautés, les poches dépassent rarement 8 euros (à part les pavetons de 1000 pages mais ils coûtent 30 euros en grand format)... le rapport de 1 à 2 permettrait aux deux formats de vivre une co-existence pacifique...
Écrit par : Castor Junior | 26/09/2011
"l'idée est de pousser la création nouvelle"
Ha bon, parce que tu crois vraiment que la création nouvelle a vraiment besoin d'être poussée ? Je ne te rappelle pas les chiffres de publication.
On tombe sur un argument typiquement de gauche, visant à inciter à la création sans cesse. A défaut de...
D'autre part, on ne peut résolument pas accuser le secteur du livre de vivre sur ses rentes. Par conséquent, la baisse des prix...
Les prix sont les fruits des équilibres. Que tu le veuilles ou non.
Sur la place de cinoche, tu connais un spectacle à moins de 40€ pour 4 pommes ? (hormis les musées, très incitatifs pour la jeunesse) ?
Écrit par : atlas | 29/09/2011
Mais t'as des actions dans l'édition pour les défendre comme ça ? Je te jure qu'ils sont pas à plaindre et que l'on pourrait faire des efforts...
"Une idée de gauche" oui, et alors ? Je trouve qu'on publie beaucoup trop, de nouveautés, mais on ne les soutient pas assez non plus.
Quand au ciné, aucune détaxe significative : les démunis peuvent aller à l'Opéra ou au Théâtre pour le même prix...
Écrit par : Castor Junior | 29/09/2011
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