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04/12/2011

Dans la publicité comme dans le gangsterisme, on viellit rarement bien...

jet-lag.jpgLa première chose qui vous frappe en lisant jet lag de Jean-Marie Dru ce n'est pas tant la nullité de l'ouvrage, que l'immense plongeon la tête la première réalisé depuis le précédent, la publicité autrement (Gallimard 2007). Comment le même homme a t'il pu, sur un sujet similaire, passer du sommet au fond du gouffre en seulement quatre ans ? En effet, le premier sert de bréviaire aux étudiants en communication comme à leurs enseignants désireux d'élever le débat. Le second est une longue et ennuyeuse dissertation d'élève de prépa, truffée de poncifs où d'idées saugrenues ; les 15 pages consacrées à Raymond Barre, où l'auteur trouve le moyen de le comparer à Obama et surtout, se prend à rêver que l'édile de Lyon (notoirement antisémite d'ailleurs, il avait d'autres défauts mais "les français innocents"...) soit encore aux manettes car il avait en horreur la dette et l'hexagone serait devant l'Allemagne. On se pince. Jean-Marie Dru, l'homme qui est vénéré de par le monde pour son côté punk de la pub est en fait un barriste éternel. Cette fidélité l'honore, mais elle explique aussi les relents de tête de veau rancie qui s'échappent du livre. Quelque chose n'est pas passé chez Dru, il a oublié ses idées sur le feu et si on le passait sur le grill de la critique (ce qu'on ne fera pas car la doxa s'accorde à dire que Dru est toujours le punk de la pub) il serait carbonisé en une minute.

Le livre se présente comme un abcédaire, même pas à l'envers (tant qu'à "disrupter"...) de la publicité mondiale contemporaine. Parfois, quelques fulgurances nous surprennent avant d'être irrémédiablement rattrapé par des pensées plombantes. Le chapitre où Dru explique comment il a aidé le Danemark à croître en faisant des marques danoises les ambassadeurs d'un pays où tout le monde ne connaît que Copenhague mais pas les autres villes. Dès lors, que n'attend la France pour lancer une grande campagne aux investisseurs mondiaux en prônant la qualité de Loréal et Michelin... Malheureusement, je ne change pas une virgule, Dur pense ça. Le chapitre sur la rémunération des publicitaires est encore plus consternant: il pleure en se lamentant que les pubards sont deux fois moins payés que les cabinets de conseil en stratégie et donc que la pub est menacée par un certain malthusianisme financier. On croit rêver. Lui expliquer, et surtout lui démontrer très facilement, que les cabinets de conseils sont, a minima, deux fois trop payés serait sans doute vain et pourtant...

Inutile de s'appesantir là-dessus, respectons la convention de Genève. Interrogeons nous sur les raisons du marasme. La première piste mène à l'éditeur. Dru remercie Manuel Carcassone chez Grasset qui est également l'éditeur de Macé-Scaron et de Beigbeder ou encore Lolita Pille, c'est dire si en matière de publicité, Dru avait à qui parler. Non, la ficelle est un peu grosse et je crois que cela vient d'ailleurs. 

La vérité, nue et triste, est que Dru s'est laissé prendre aux pièges comme tous les publicitaires installés. Les publicitaires ne peuvent s'installer. Dopés à la compétition, sans attaches, ils sont des danseuses ou des boxeurs et ne doivent jamais s'embourgeoiser comme le dit très justement Apollo Creed à Rocky Balboa (si si, j'assume) "there is no tomorrow" : http://www.youtube.com/watch?v=XlbKn8_p3vk. Comme le boxeur ou encore le gangster, le publicitaire doit être toujours en mouvement pour échapper aux contres ou balles adverses, dès qu'il cesse de bouger, la proie est plus que facile, une quille XXL. Dru s'est figé dans sa réussite comme Han Solo dans le mur de Jabba the Hut (le niveau des références de cette note m'interpelle). Il n'est pas le seul.

On a tendance à l'oublier, mais Séguéla a eu du talent et réalisé de bonnes campagnes pour Mitterrand et contre la drogue (l'inverse eut été rigolo) avant d'être cette épave d'un bronzé si outrancier qu'il dépasse le vulgaire pour faire peur, et si beauf et infatué que David Douillet a des ravissements d'esthètes. Maurice Lévy, devenu cette consternante marionnette ventriloque du MEDEF qui se gargarise de ne plus avoir de salaire, avant de voir que ses émoluments ne bougeront pas d'un iota, mais il se paiera en prime, a eu beaucoup de flair pour mener Publicis là où ils sont. Son successeur actuel (mais Pépé le Momo en a déjà épuisé bien d'autres) Arthur Sadoun danse pour l'heure le quadrille comme seule Calamtiy Jane le faisait avant; mais pour combien de temps ? Pire, récemment interrogé par des étudiants sur les nouveaux punks de la réclame, je répondais bêtement que cela devait toujours être Fred & Farid. Hélas, eux aussi ont racorni comme une gelée anglaise oubliée sur une table en fin de banquet. Sans doute pensent-ils que tourner des vidéos en arborant ostensiblement des couleurs criardes et oubliées comme le jaune Moutarde constitue le summum de la subversion.

L'âge ne fait pas tout à l'affaire. Je connais un publicitaire qui est jeune depuis un bon trente ans de plus que moi, mais qui ne s'est pas figé et pour cause. Il est mort déjà dans sa jeunesse. Pas physiquement, mais pire pour un publicitaire, disparu de l'image. Revenu de là bas avec son sourire goguenard en bandoulière, il n'est pas menacé. Malheureusement, on ne lui confiera pas de gros budgets non plus, mais il se vengera en ourdissant un projet subversif, une école pour néo punks.

Moralité ? A proscrire, la moralité. La raison d'être des publicitaires est de choquer le bourgeois inlassablement. Ce n'est pas forcément reluisant, souvent décrié et toujours éreintant. Mais à tout choisir, c'est plus marrant que concepteur de crédits à la consommation ou moniteur d'aquabiking dans un spa des Champs Elysées... 

Pour finir sans esprit grincheux, on peut montrer que dans la publicité on vieillit mal sauf quand on connaît encore le sens de l'autodérision comme là : http://www.youtube.com/watch?v=_zIQWRgRCoI

Commentaires

Crois-tu vraiment que la raison d'être des publicitaires serait de choquer inlassablement le bourgeois ?
Je ne pense pas, il flatte plus certainement ses côtés les plus réactionnaires tout en feignant la subversion, procédé dans lequel, justement, le bourgeois adorerait reconnaître ce propre côté libertaire de lui qu'il n'a pas (mais que l'achat du produit en question lui permettrait de retrouver).
Ceci dit je n'ai pas lu le livre alors peut-être suis-je un peu à côté de la plaque.

Écrit par : Mike Blette (MHPA) | 04/12/2011

Tu prouves après Pierre Bayard que l'on parle souvent très bien des livres qu'on a pas lu, ta définition du métier me sied mieux que la mienne qui était vrai il y a une trentaine d'années...

Écrit par : Castor Junior | 04/12/2011

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