02/12/2011
Rien ne justifie de ne pas lire "Rien ne s'oppose à la nuit".
Le chemin qui mène vers un livre ressemble rarement à une ligne droite. A part pour les best-sellers conçus pour, façon Levy/Musso/Nothomb/Foenkinos/Pancol qui comptent leur fan-club dans les startings blocks, prêts à se jetter sur l'opus frais le jour de la sortie comme les foules en délire qui se précipitent pour aller voir le dernier Twilight. C'est simple et carré et puisque les lecteurs de ces livres en sont ravis, tant mieux pour eux, laissons Grincheux au vestiaire.
Exit Grincheux donc, mais exit Simplet aussi. Comment choisir parmi les 600 et quelques nouveautés de septmebre ? Dit comme cela, le choix est biaisé, hypocrite. En réalité, chacun selon sa grille de lecture est confronté à un choix d'une grosse vingtaine d'ouvrages (bon OK, laissez moi croire que tout le monde est confronté à ce choix, je sais bien que ça n'est pas le cas, je connais les chiffres) dans la vague de septembre qu'il doit se dépêcher d'engloutir avant la prochaine vague de janvier. Problème, lisant également beaucoup d'essais et ne rechignant pas aux classiques pour m'aérer l'esprit entre deux entreprises auto-fictionnelles un peu boursoufflantes, il est à peu près certain que le choix parmi les 20 ira presto. Sorti de Limonov et de Franzen, je rattrape Xavi Molia aux branches, parcours malheureusement le Defalvard (la curiosité est un vilain défaut) et quelques autres, je survole le Goncourt qui parvient à me faire bailler en deux minutes à la librairie...
Autre problème, étant né début novembre, une nouvelle vague de cadeaux amoindrit encore les chances des livres de septembre. C'est ainsi que j'avalais goulûment les 600 pages du dernier Vargas Llosa, étonnamment bon (je ne comprends pas qu'on lui ait filé le Nobel) l'histoire de Roger Casement, anticolonialiste condamné à mort. Bref, avec toutes ces lectures, j'avais fini par sacrifié 2/3 livres qui me tentait dont le dernier Jean Rollin sur Britney Spears et le Delphine de Vigan. C'est vrai quoi, déjà lu "No et moi" la rencontre d'une ado avec une jeune paumée. C'était simple, beau et extrêmement juste. Seulement voilà, la personne qui m'avait offert ce livre transpirait la mièvrerie et j'ai dû intérioriser, à tort, que Delphine de Vigan était un auteur chamallow. Et puis à la radio le contraste m'a frappé comme un uppercut. J'allais zapper pour chasser l'épouvantable Pascale Clark, si bête qu'on en vient à être indulgent avec Isabelle Giordano, mais la voix de l'auteur venu défendre son oeuvre m'interpellait. Elle évoquait sans fausse note et surtout sans trémolo ce qui s'apparentait tout de même à une jeunesse délicate.
Rien ne s'oppose à la nuit au-delà d'un très beau titre et d'une couverture superbe (on apprend à la fin ce qu'on subodore depuis le début, c'est bien sa maman) s'engloutit d'une longue coulée à cause du ton trouvé. On pourrait dire "grâce à", mais dans une histoire mêlant un grand père libidineux affectueux souvent au delà du raisonnable avec ses enfants, petits enfants et nièces, avec une mère folle comme un lapin et une héroïne elle même en proie à l'anorexie, la grâce à quitté le récit. Les pages consacrées à l'anorexie font écho à un précédent ouvrage de l'auteur où elle évoquait ses anciens troubles alimentaires non pas pour imiter les mannequins de l'époque mais pour laisser la vie quitter son corps ; la nourriture c'est de l'amour, laisser l'amour hors de son corps c'est assécher jusqu'à la fin. Etre sauvé par une sonde symbolise bien le côté inhumain de ce retour à la vie. On ne fait pas de bonne littérature avec des bons sentiments, avec du ressentiment non plus et c'est cela la beauté de ce livre. Delphine de Vigan n'en veut pas à sa mère qui s'est suicidée sans toucher à rien. Atteinte d'un cancer et épuisée, elle s'est laissée éteindre comme une bougie. Inacceptable pour une fille, même si sa mère lui a mené une vie impossible avec ses allers retours/permanents à Sainte-Anne. Tout est toujours traité avec amour, jamais elle ne souligne autre chose qu'une grande fatigue à devoir courir après sa mère folle à lier à la camisole chimique (ce qui fut le cas). Elle n'évoque pas les probables séances d'électrochocs et autres, se contentant de nous faire réfléchir au lien d'amour plus tenace que tous ces événements rocambolesques. On songe à Personne de Gwenaelle Aubry, qui avait elle un père fou. On pense aussi à toute l'oeuvre de Lionel Duroy que de Vigan cite abondamment en se disant qu'on ne choisit pas toujours sa famille, on compose seulement. Et de Vigan a composé une symphonie qui s'écoute sans entracte ou temps morts. Rien ne s'oppose à la nuit, logiquement, je l'ai dévoré l'obscurité venu, les téléphones et autres appareils éteints, avançant jusqu'à ce que le mot "fin" s'ensuive. Ce matin, la morsure de l'aube avait un goût de vie, envie de la mordre en retour.
08:36 | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Merci beaucoup pour ce billet.
Écrit par : MHPA | 02/12/2011
Mike a raison, très beau.
Écrit par : Mike Blette | 02/12/2011
Et bah merci à tous les 2 ! Ma journée succédant à ma nuit s'annonce radieuse !
Écrit par : Castor Junior | 02/12/2011
Ah mince, je veux pas casser l'ambiance... C'est vrai que ton billet est bien, mais je m'abstiendrai sur Delphine de Vigan (ça casserait vraiment l'ambiance), et je sauverai juste Vargas Llosa qui est un immense écrivain, si, si.
Écrit par : Josse | 03/12/2011
Fort bien ! Je suis toujours partant pour débattre des oeuvres respectives, j'ai vraiment bien aimé le dernier Vargas LLosa, vrai surprise après m'être endormi sur le truc sur Trujillo, c'est pesant, pédant et pénible, Carlos...
Écrit par : Castor Junior | 03/12/2011
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