22/03/2012
Repenser l'impôt
J'étais rentré dans la librairie pour acheter "Notre Dame de Paris" et suis ressorti comme d'habitude avec une pile. Du Hirschman et du Sen, mais aussi outre Hugo "Absurdistan" de Gary Shteyngart; comme une envie de romans. Et puis en repartant vers la caisse, un sous-titre happa mon regard "vers une éthique du don démocratique". Pas mal, je relève "Repenser l'impôt". Ha ? Mauvaise pioche, encore une ligne pour l'auteur, Peter Sloterdijk; je pousse jusqu'à la 4ème de couv' et ne le lâche pas. Je sens qu'il faut que je lise ce livre. Vraiment falloir, d'urgence. Un livre qui pense la crise profondément, pas un technicien, un philosophe.
Surtout, le cocktail de sa thèse couplée à sa personnalité m'intrigue. Car Sloterdijk se réclame d'une gauche qui dépasse une sociale-démocratie morte, se méfie d'une gauche radicale mal en point, mais veut réenchanter l'horizon à gauche. Pour ce faire, il appelle une révolution fiscale permettant aux citoyens d'opter pour les causes qu'ils souhaitent. La dernière fois que j'ai entendu une idée analogue c'était aux micros de France Inter et l'auteur de la saillie était... le baron Seillière. En gros, le propos de l'hériter Wendel était de dire "mes impôts sont très mal utilisés en France, nous finançons l'assistanat et n'encourageons pas le travail. Permettez moi de décider où vont mes impôts et je donnerai plus". De Wendel à Marx, il y a un pas... Et là où Sloterdijk est grand, c'est dans sa capacité à nous emmener à le franchir.
Le constat historique de Sloterdijk est crucial pour ne pas le comprendre de travers. Il remonte au XIXème siècle, quand la Reine Victoria instaurait une taxation sur les revenus à hauteur de 3% en se demandant si elle n'allait pas trop loin. Il faut repartir de là, nous dit Sloterdijk pour comprendre les riches actuelles qui migrent comme jamais devant les menaces fiscales (et il parle depuis Berlin ce qui permet de relativiser le "miracle allemand") " Actuellement, les riches sont encore une classe et pas une espèce, mais ils pourraient en devenir une si l'on n'y prend pas garde". Sloterdijk ne défend pas les riches, loin s'en faut, il avance juste que l'impôt actuel ne résoudra rien. Pas construit ainsi avec des mécanismes de captation anonymes. C'est là grande ligne de force du livre: nous sommes passés d'une féodalité où l'impôt était absent pour beaucoup et imposé à une minorité à une néo féodalité où l'impôt ne concerne pas la majorité, mais surtout où l'utilisation de cette captation est invisible. Qui peut en effet prétendre qu'il perçoit bien la matérialité de ses impôts ? Ceci finit par créer un certain découragement par les plus fortunés. Pendant ce temps, ceux qui pourraient être chargés de changer les choses pensent en techniciens plutôt qu'en politique. Après les 120 pages d'essai initial, Sloterdijk livre un certain nombre d'entretiens et il faut lire la violence avec laquelle il assassine les Greenspan et consorts en évoquant leur caractère pusillanime. "Au fond, les hyper riches se détachent de cette accumulation pour aller vers la reconnaissance. La crise que nous connaissons, crise de la crainte devant la fin de l'accumulation, est symptomatique des petits-bourgeois". Il distille alors ces flèches contre les petits bourgeois qui n'ont que le divertissement à proposer pour échapper à une politique qui leur échappe. Et là, la logique du don démocratique prend sens: réintéresser le citoyen à la vie de la cité en lui permettant de se sentir part de l'effort collectif. Il cite à l'envi Gates et Buffet, ces américains qui en plus de leurs impôts, acceptent de donner un "impôt des âmes". Sur le papier, c'est merveilleux !
Là où je ne suis plus d'accord avec Sloterdijk, c'est que je ne crois guère à une gestion harmonieuse de ces dons démocratiques. Certes, comme nous dit Sloterdijk, l'éducation en sortirait grande gagnante. C'est d'ailleurs le cas aux Etats-Unis et pour quel résultat: les grandes facs ont encore plus de blé... Surtout, 43 millions d'américains ont besoin de tickets alimentaires pour parvenir au premier des droits de l'homme comme l'avait dit Chirac: manger. C'est là limite du don: Sloterdijk est rousseauiste, il pense qu'un don démocratique peut se mettre en place et que vertueusement, les citoyens concernés affecteront la fortune aux causes qui ont besoin. En réalité, et l'expérience le prouve, ils investissent dans des causes qui leur permettent d'affirmer leur besoin de reconnaissance sociale et cela ne cadre pas nécessairement avec les besoins de la société. La justice, la sécurité, la santé des plus anciens par exemple, sont trois domaines qui sont peu soutenus alors même que fondamentaux pour un bon "vivre ensemble" comme disent les publicitaires.
De la même façon qu'il existe des bonnes périodes pour imposer le socialisme, je crois que Sloterdijk oublie qu'il existent de bonnes périodes pour imposer une éthique du don : lorsque les inégalités sont faibles. Or, elles sont en explosion depuis trente (pour les pessimistes) à dix ans. Ce n'est donc pas l'heure. D'abord, une réduction drastique des inégalités avec une coercition à cette espèce en devenir -les riches - de contribuer à une cité à qui ils doivent tout. Et ce, ça passe par un renouvellement de ces "petits bourgeois" politiques qui, tout comme les cochons, plus ils sont là, plus ils deviennent c...
09:17 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.