10/04/2012
Ennuyez-vous !
Drame de l'époque : on ne sait plus s'ennuyer. S'emmerder à foison, mais l'ennui est à l'emmerdement ce que la vraie noblesse est aux Giscard d'Estaing. Sans comparaison. L'ennui est un luxe de fin gourmet, d'ailleurs ce n'est pas un hasard si l'orfèvre en la matière, celui qui l'a raconté comme nul autre, était ce grand bourgeois de Moravia. Chez lui c'était volontaire, de nombreux auteurs ne font pas exprès de nous ennuyer (a-t-on donné le Nobel à Claude Simon pour qu'il arrête; c'est beau mais faut pas pousser sur le réalisme ennuyeux à ce point). Pourtant, plus que jamais, il serait de salubrité publique que nous nous ennuyions tous, collectivement, il en ressortirait forcément quelque chose.
Pourquoi s'ennuyer dans une époque qui promeut le divertissement à foison ? Justement pour cette raison. Paul Veyne nous rappelle dans son panem et circenses que le pouvoir il y a plus de 2000 ans savait déjà détourner l'attention des vrais problèmes. Aujourd'hui, la chose est plus subtile. Bien sûr, il y a encore le festivus festivus cher à Philippe Murray, mais avec nos tuyaux d'infos en continu, la blague ne peut durer indéfiniment. C'est là où le mal devient plus pernicieux. Ayant bien compris cela, les dominants passent à une nouvelle phase plus seulement ludique: le gavage. Comme les oies, on abreuve et connecte partout les cerveaux. Surtout, ne pas les laisser débrancher, ils risqueraient de penser par eux mêmes, les cons ! Google ne veut pas autre chose quand il développe ses lunettes Iphone nous permettant d'être connectés... Chaque fois où le bambin peut se retrouver en tête à tête avec son ennui, le système lui met sous le nez un jouet, un média, un objet à déclencher qui s'activera sous ses pupilles ébahies.
Quand j'étais petit, je regardais au moins tous les six mois l'argent de poche de Truffaut et vingt ans après je suis encore ému par la chanson générique: http://www.youtube.com/watch?v=W5Z1Txg5J3c
Je ne dis pas que j'idolâtre les jeux de bois, l'ORTF et que je vomis les boîtes de nuit. Loin s'en faut, pas plus que le week end dernier, j'étais à deux doigts de vomir en boîte de nuit et me suis réveillé la gueule en bois. Mais je sais que tous ces moments où je m'ennuyais au lieu de faire mes devoirs me servent aujourd'hui. Quand on me renvoyait dans ma chambre pour m'éloigner de ma télé, je faisais des tours en rond dans ma chambre, réinventant un monde plus à mes goûts. Je rêvassais. Certes, mes bulletins de notes s'en sont ressentis, mais je n'ai jamais regretté d'avoir ainsi pu divaguer. Aujourd'hui encore, j'ai besoin de ces sas. Je m'invente des rendez-vous au boulot pour mieux déambuler le long des avenues, prendre le bus et le quart d'heure en plus. Je ne pense pas que mon petit cas doivent être démultiplié à l'infini, je me dis juste que cet ennui nous ferait du bien, collectivement. Car lorsque l'on s'ennuie, on est prêt pour autre chose.
En mars 68, Viansson Ponté l'écrivait dans le Monde, "La France s'ennuie", mère de la révolte deux mois après. Lorsque gavé de spectacles en tous genres le peuple ne sait plus débrancher, il se trouve selon le mot de Debray "dans la mêlasse". Trop préoccupé, trop occupé, trop accaparé pour envisager un autre horizon. Alors, on continue à s'emmerder. Il nous faudrait un Hessel de l'ennui qui en assurerait la promotion de salubrité publique, un Jean Rochefort décrétant que les flonflons actuels ne l'amusent plus et qu'il va bouder dans son coin jusqu'à ce qu'on retrouve l'envie. L'envie de faire leur fête aux marchés et de marcher vers des lendemains qui chantent.
09:13 | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Cher Castor, je vous croyais hyper actif et me voilà rassurée de vous savoir adepte de l'ennui ! Je reste effrayée, quoique fascinée, par ceux qui s'agitent all the day! Les images et paroles de "La Femme aux cinq éléphants", Svetlana Geier, traductrice de Dostoïevski, revues ce week end, sont en écho avec votre plaidoyer, une invitation à "lever le nez"!...Voilà votre Hessel féminin...
Écrit par : marcelline roux | 10/04/2012
Merci du conseil Marcelline ! Je m'en vais lire ça d'ici quelques pas, si je vous de ce pas, vous allez penser que l'activisme me reprend !
Écrit par : Castor Junior | 10/04/2012
Cher castor, je cherchais 1 castor transi j'ai trouvé votre antre du moins votre blog -
j'espère que vous n'êtes pas 1 bloc - parce que quand vous étiez petit vous n'étiez déjà pas grand n'est ce pas ___? Ben je n'ai jamais vu de castor à la croissance démesurée - et puis les mots finissent par se touiller dans les tergiversations de mes errances et je disais au génie (hier soir ) est-ce que la poésie n'a pas 1 fin ? - Lisez fin et non pas faim comme les soupes de mots de Sollers par exemple -
Voyez-vous du temps de mes lectures Sollerriennes, je pensais autant prendre le dictionnaire et balancer des mots au hasard assortis d'1 verbe de ci-de là-
Je ne savais pas qu'1 jour (et lui non plus) je trouverai sur la toile ___Le débilitron __ Enfin il suffit de googler - oui je sais le mot (googler) n'existe pas - pas encore - Enfin tout ça pour comparer votre texte à 1 grand philosophe dont je tairais le nom par respect pour son génie (1 autre génie) __Appelons le Castor transi __ qui écrivit un jour ceci et j'en viens à l'objet de ma présence ce soir (enfin si mon post est accepté et je vous en remercie par avance ) :
''L'an nuit ne nuit pas. C'est bon de s'ennuyer. Je plains ceux qui ne savent pas s'ennuyer,
il leur manque une partie de la saveur de la vie.''
C'est beau n'est ce pas__________? -
Les discours les plus courts parfois,
Au plaisir,
Curare-
Écrit par : Curare- | 11/04/2012
@ Curare: ho oui c'est beau ! Je les plains aussi, je ne me sens pas menacé, mais je les plains... Made my night, cet apophtegme, cela dit après un détour par votre blog, un doute m'étreint j'ai RElu le Grand Meaulnes ? N'étant jamais venu à bout de cette purge... Amicalement, Castor
Écrit par : Castor Junior | 11/04/2012
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