24/04/2012
Carte postale de Madrid
Sensation étrange de partir, j'allais dire de déserter, la veille d'un scrutin aussi important. Ca ne m'est jamais arrivé, d'ailleurs. Une obligation professionnelle de l'amoureuse servait de prétexte et zou nous voilà à Madrid la veille du premier tour de la présidentielle dans un pays qui s'en tamponne comme les poules des oscillations de la mode. Bien sûr, ma procuration et celle de l'amoureuse ont été laissé à des personnes de confiance, mais tout de même. Etrange.
La première surprise à Madrid, c'est la différence qui vous saute aux yeux entre le discours anxiogène et apocalyptique des marchés, repris la bouche en coeur par tous les médias avec une telle capacité amplificatrice que l'on en vient presque à résumer l'Espagne à un seul mot : crise. Je sais bien que la réalité est plus complexe que ce que je vois, les phénomènes de gentrification font que les plus fortunés se retrouvent dans les grandes villes d'où les plus modestes s'éloignent inexorablement. Mais quand même, quelle liesse et quelle joie dans toutes les rues, tout le temps, des terrasses de café pleines, des bars à tapas bondés... Par ailleurs, il y a infiniment moins de SDF dans les rues qu'à Paris, ni dans les rues, ni dans le métro, ça en devient suspect pour un pays à 20% de chômage, 45% pour les jeunes.
Ceci mène à penser à une autre victoire du libéralisme : la consommation. Crise il y a en Espagne sans doute, mais pas au point d'avoir retourné les espagnols de leurs aspirations à consommer. J'avais entendu un jour un chroniqueur mondain (je crois que c'est Ariel Wizman) avoir une fulgurance et s'exclamer "l'injustice aujourd'hui c'est que tout le monde peut avoir au superflu quand le nécéssaire et le vital deviennent hors de portée", celle là était fort bien sentie. Dans les bars, on voit des gens lookés, avec leurs paquets du corte ingles et leur maillot du real de Madrid à 70 euros, envoyant des messages à leurs amis par Iphone pour voir dans quelle boîte de nuit aller. Mais, le soir, quand ils vont se coucher, c'est souvent chez leurs propres parents à un âge où cela devient suspect. Et quand leurs dents les font souffrir d'avoir abusé des churros et des saloperies de vodka red bull, ils rechignent à aller voir un dentiste de peur de ne pouvoir payer la bien nommée douloureuse... Tant que ce ressort consumériste sera là, puissant, écrasant, surplombant, alors l'alternance démocratique aura lieu entre vrais conservateurs et socialistes libéraux. Une française vivant à Madrid depuis un an nous confirme l'impression : la pauvreté est moins visible qu'en France et il y a plus de solidarité familiale. Pour autant, on sent malgré tout que cela pourrait imploser dans quelques années, les enfants de 30 ans pouvant difficilement faire des enfants à leur tour tout en vivant chez leurs parents. Idem pour tout ceux qui ont été mis au chômage depuis 2008, (nombre qui a presque triplé) : ils ne pourront pas éternellement reproduire des formations, des erasmus et autres. C'est plutôt en 2015 que l'Espagne pourrait commencer à nous inquiéter, ce d'autant qu'avec des indemnités chômages très faibles, l'implosion pourrait vraiment être violente. Passons pour l'heure.
A Madrid, il n'y a pas qu'une cohorte de bars, il y a des musées aussi. Pas n'importe lesquels. En premier lieu, nous n'y tenions plus, nous nous ruâmes au Prado. Surprise, les chefs d'oeuvre que l'on y trouve sont des chefs d'oeuvre. Me revient en mémoire ma première rencontre avec la Joconde et un sentiment de profonde déception. Alors, avant d'aller voir les Ménines de Velasquez, j'en menais pas large. Mais quelle merveille ! Quelle merveille d'humanité ou d'inhumanité (chez l'infante ou la naine), d'intelligence, de jeux de lumière, faire rentrer autant de talent en 3x3 mètres. On ressort et c'est un festival, triptyques de Bosch, Caravage, Goya et une annonciation de Fra Angelico à vous faire douter de l'existence de l'athéïsme. Exit le Prado, ne pas se presser, Thyssen attendra le lendemain. Thyssen, quelle collection ! Des Juan Gris, Leger, Kandinisky. Un léger sentiment de trop plein en abordant 10 Sisley après une interminable salle Renaissance, Tiepolo, Tintoret et Ribera... Comme après un bon dîner avec trop de mélanges, on en sort ballonné. Pour finir, le musée de la Reine Sofia. On y trouve notamment une oeuvre qui est bien plus qu'une oeuvre: Guernica. En ce lendemain de 6,4 millions de vote pour le Pen, l'oeuvre avait une résonance particulière, la noirceur du tableau, le regard désespéré des cheveux et des femmes. Heureusement pour moi, deux salles pleines de Miro et ces couleurs chaudes me redonnaient du baume au coeur.
Les musées fermant à 19h, il faut bien aller dans les bars. Coup de bol, nous arrivâmes un soir de classico. Ce n'est plus du football, un Barça/Real capital pour l'attribution du titre de champion. C'est de la religion urbaine. Pardon pour les superlatifs, mais avec l'affluence devant tous les bars, c'est bien quelques centaines, voir quelques miliers de spectateurs citadins que nous croisons avant de trouver prophétiquement deux places de libres dans une taverne pour regarder la fin du spectacle. Nous verrons deux des trois derniers but du match, un pour chaque équipe. Fait étrange, chaque but fut accompagné de la même énorme escouade de décibels. La foule applaudissait le football. Impensable en France où la partialité s'érige en juge de paix.
Dans les bars on boit, pour presque rien des verres de vino tinto et on mange. Une amie nous glissait sous le sceau de la confidence (son nom ne sera pas révélé) qu'elle avait pris 8 kilos en 8 mois. Comme je la comprends. Chorizos, croquette au fromage, au jambon, risotto, croquette de veau, légumes frits. Chez ces cochons tout est bon ! Rien n'est vert en revanche, mon royaume pour une salade en rentrant en France (ou peut être un tartare salade/frites...) ! Et puis, en face du musée de la Reine Sofia, les madrilènes ont eu la bonne idée de mettre un Burger King, celui-là même que nous voulons tant à Paris: ha qui n'a pas mangé seul ses double bacon cheese burger à un carrefour pétardant de moteurs ne connaît goutte à la poésie urbaine...
S'il n'y avait eu ces résultats électoraux qui salissaient le goût des tapas dominicaux et laissaient sur la langue un sentiment âpre, ce week-end madrilène confinait à la perfection. De retour à Paris, nous sommes la Ste Fidèle, un signe pour le Fidèle Castor ?
Demain, nous nous replongerons dans les médias hexagonaux pour voir comment ils retranscrivent les bons mots de notre candidat président qui a défaite annoncée amère...
07:14 | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Merci pour ce compte rendu ! C'est chouette d'avoir un petit aperçu de vos pérégrinations (ah ! les croquettes au fromage, les Ménines, Goya, ah ! Burger King, Burger King, quoi...). On attend avec impatience celui du 1er mai.
Écrit par : MM | 01/05/2012
Tu l'auras, mais tu peux nous rejoindre ! Le départ c'est 15h à Denfert... Sinon, nous en recauserons dimanche pour le grand jour du changement...
Écrit par : Castor Junior | 01/05/2012
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