16/09/2012
De la guerre entre démocratie et oligarchie en Amérique
Sujet majeur aux Etats-Unis, peu débattu en France, la philanthropie se fait rare dans nos librairies. Quelques ouvrages des penseurs du MAUSS, d'associations concernées (ADMICAL) et autres, mais guère de livres majeurs.
Pour l'heure, ce qui fait autorité s'intitule de la culture en Amérique, un ouvrage de Frédéric Martel où il s'attache à montrer le financement privé de la culture américaine. Hélas ! Martel n'a vraiment pas l'intelligence de ses intuitions. Les 40 premières pages sont époustouflantes, on dirait un plan de Kubrick où l'auteur se ballade dans New York et nous fait découvrir, à la faveur de détours urbains, les secrets de ces établissements culturels légendaires (de Broadway au MOMA ou au Guggenheim). Mais passé cet incipit, quelle faiblesse ! Martel décrit en fan émerveillé le fonctionnement des dons privés sans rien chercher à comprendre de l'histoire. Ce brave technocrate nous fait une lecture clinique de la situation aujourd'hui, enthousiasmante et instructive comme un rapport d'activité (où l'on apprend parfois des choses, quand même...). Bref, on referme le livre de Martel sans en savoir tellement plus, mais l'on se dit que l'on voudrait vraiment aller à NYC...
Le titre du livre d'Olivier Zunz place tout de suite l'ambition du sujet. La philanthropie en Amérique, Argent Privé, Affaires d'Etat, interroge avec une intelligence rare les relations entre fonds privés et publics pour le triomphe de certains idéaux depuis plus d'un siècle. Que l'on soit d'accord ou non avec cet historien français vivant aux Etats Unis (il est prof à l'université de Virginie) il me paraît plus que délicat de ne pas trouver son oeuvre passionnante. Car il montre bien à travers sa lecture diachronique que la réalité d'aujourd'hui, celle des Gates et des Buffet n'a rien de celle d'hier. La philanthropie, fait connu, s'est développée aux Etats Unis sous l'impulsion de magnats comme Rockefeller ou Carneggie inquiet de l'image qu'il laisserait à la postérité. Canreggie avait coutume de dire qu'un homme qui meurt riche à raté sa vie et pour éviter cet échec devait donner beaucoup de son vivant. Emergea alors sous l'impulsion de l'économiste Wesley Mitchell, en 1912, un nouveau débat. "Il est facile de dépenser de l'argent, il est difficile de bien le faire".
L'ambition du livre montre, à rebours des idées reçues sur nos amis américains, comment certains politiques ont lutté pied à pied pour maintenir le rôle de l'Etat et éviter de se faire engloutir par l'évergétisme des plus grandes fortunes du pays. D'abord en empêchant la systématisation de la fraude fiscale : les nababs créaient une fondation à leur nom et s'en servait comme outil d'exil fiscal. Retoqué. En réalité, tout le problème s'ouvre il y a 99 ans, en 1913 quand les Etats Unis s'ouvrent à l'impôt sur le revenu: les plus fortunés se rebiffent contre ce "communisme" et demande des exemptions philanthropiques. Zunz montre comment certaines causes rentrent dans le schéma et pas d'autres. Dès la fin de la première guerre, le pli de la générosité est pris y compris de la part du grand public : les ventes de timbres ou les marches pour des dimes (pièces de dix cents) permettent de collecter des millions. Une tendance jamais remise en cause y compris au moment de la crise de 1929. C'est alors que Roosevelet tente d'augmenter massivement le rôle de l'Etat et d'étouffer le champ d'action philanthropique en intégrant les dons à des programmes nationaux. Reagan retournera ce rapport de forces établis en permettant aux grandes fondations de bénéficier de subsides publics pour soutenir leurs programmes privés. C'est aujourd'hui encore cette option qui prévaut avec, de plus, une confusion entretenue par les grandes fondations qui s'immiscent dans les affaires politiques au-delà du raisonnable.
In fine, l'augmentation de certaines fortunes aux US a rendu la philanthropie incontournable : la fondation Gates a un budget supérieur à l'OMS et ces Etats-Nations privatifs sont désormais à même d'impulser des plans de santé mondiaux que l'on croyait réservés aux Etats. Le lobbying de ces masses d'argent considérables vont généralement dans le même sens : faire émerger et renforcer la démocratie pour empêcher les Etats de basculer dans le communisme hier et dans le fondamentalisme religieux -enfin, non catholique quoi...- aujourd'hui. Si le sujet vous concerne de près ou de loin, foncez, c'est ce qu'il est convenu d'appeler un ouvrage de référence. Après, je ne pense pas que le prix du livre fasse l'objet d'un rescrit fiscal, même si le sort des libraires devrait désormais relever de l'intérêt général...
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