21/12/2012
La météo, ce bug libéral
Nous n'atteignons pas encore le millier de degrés annoncés pour la fin du monde, mais des températures bien plus clémentes que celles de saison comme disent les présentateurs météo. Ceci, forcément, incite à penser au climat. Alors que je lisais l'excellent essai "la traversée des catastrophes" (Seuil) du philosophe Pierre Zaoui, afin d'avoir un vade-mecum de sagesse si le 21 décembre devait devenir irrespirable, je me disais que son approche trop relativiste des catastrophes n'était vraiment pas libérale. Ayant rencontré l'auteur, je puis attester que les portraits de Margaret Tatcher et Ronald Reagan ne sont pas visibles au premier coup d'oeil dans son living.
Si on lit Zaoui et cherche à le suivre, la force de l'être humain ne doit pas être dans la résignation ou la sublimation, mais dans une espèce d'acceptation gourmande et curieuse de ce qui pourrait arriver. Faites lire Zaoui à un investisseur dont l'activité dépend des aléas du climat et il vous dira que Zaoui est un fou.
On sait, et Standard & Poor's nous le rappelle à chaque révolution, le marché préfère de loin les dictatures aux démocraties. Mais le régime politique n'est pas le seul domaine non financier en apparence sur lequel le marché donne son avis. Fort mal élevée et braillarde, l'idéologie du marché n'aime pas non plus la nature. Sans doute est-ce pour cela que les questions de réchauffement climatique avancent si peu. La volonté du politique n'arrive jamais à tordre les portefeuilles d'hommes d'affaires qui n'entravent rien à ces histoires de nature. C'est bien pour cela que la nature est redevenue l'idéologie dominante du côté des artistes (Avatar notamment, mais nombre de dessins animés opposent les gentils héros bios aux vilains pollueurs) avec pour l'heure des succès timides. Al Gore et sa vérité qui dérange ou Nicolas Hulot ambassadeur de bonne volonté parlent devant des salles pleines, mais pas là où sont les décideurs. Ceux-ci ne veulent pas entendre leur prophétie.
Comme l'explique Michel Serres, l'hubris de l'époque est de vouloir aller à l'encontre de l'histoire : nous nous sommes émancipés de notre mère nature au point de vouloir en faire notre fille. Nous ne supportons plus ses caprices : il faut qu'il fasse chaud l'été, froid l'hiver, mais pas trop de l'un ou de l'autre. Pas trop sec et pas trop de pluies. Et tout cela de plus en plus. Non content de réaliser des miracles technologiques allant à l'encontre des sols comme de faire pousser des tomates ou des kiwis dans le désert israëlien, les hommes d'affaires veulent une maîtrise parfaite du ciel. Et pour cause. A 8 millions d'euros le rachat des vignobles de Gevrey Chambertin les caprices du soleil ou de la pluie ne soient pas acceptables. Pas plus que les frimas de l'hiver. Il y a quelques dizaines d'années, un gars était chargé d'apporter des bougies dans des photophores et de les mettre aux pieds des vignes pour ne pas qu'elles prennent froid. Désormais, en cas de température trop fraîches, une télécommande permet d'activer des chaufferettes qui maintiennent les pieds de vigne au chaud. On les entoure de couvertures. Les caprices de l'argent pour contrecarrer la météo atteignent une démesure à la limite de l'absurde là où l'argent lui même est fou : à Abu Dhabi, on peut désormais faire du ski nonobstant le climat qui s'y prête modérément. D'où la question évidente qui accompagne les débats actuels sur l'exil fiscal : Depardieu, Arnault et consorts réussiront-ils à changer le climat belge à grands renforts d'une pluie d'euros ?
08:37 | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Et dire que le libéralisme économique provient de penseurs qui entendaient "respecter les lois de la nature"...
Nos libéraux modernes ont dû bugger quelque part.
Écrit par : secondflore | 21/12/2012
N'oublie pas que le penseur de la nature faisait aussi l'éloge de la fessée. On aurait du trouver ça louche...
Écrit par : Castor Junior | 21/12/2012
hmm moi je fais une petite moue sur un point (quelle emmerdeuse...) Je ne suis pas tout à fait sûre que les marchés aiment particulièrement les dictatures. De mémoire, il me semble avoir lu dans "Repenser l'État" (dont tu avais fait l'éloge sur ce même blog je crois?) que dictatures= corruption et manque de transparence, ce qui n'arrangeait pas toujours le "marché". Bref, il me semble que les marchés aiment plutôt avant tout la stabilité, de quelque nature qu'elle soit (démocratique ou dictatoriale).
Et enfin je soumets une petite réflexion qui m'est venue l'autre jour en écoutant Brice Couturier: ceux que n'inquiètent en rien les désastres naturels sont souvent les mêmes, dans les questions de société, à invoquer la nature et le biologique. Comme si - au hasard - la filiation n'était pas quelque chose de symbolique et culturel.
Bon voilà.
Et sinon, bien sûr, comme d'habitude c'était un post brillant et instructif.
Écrit par : Josse | 21/12/2012
Merci pour la dernière phrase ! Et la référence à Couturier. Par ailleurs, pour le point de départ, je ne renie pas ce que j'ai dit à propos de Repenser l'Etat, mais les agences ont toutes dégradé la Tunisie qui avait débarqué Ben Ali et renforce les AAA de la Russie, la Turquie et la Chine car elles savent que leurs régimes maintiendront au chaud les intérêts mercantiles.
Écrit par : Castor Junior | 22/12/2012
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