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31/12/2012

Langue complètement étrangère mais très vivante !

th_or_me.jpgOn m'a offert Théorème vivant pour des raisons professionnelles. En dépit de cette double incitation à le lire, il est resté sur une table basse pendant plusieurs semaines avant que je ne l'entame. Comprenez-moi: le livre retrace l'histoire de la résolution d'un théorème mathématique par un de nos plus prometteurs chercheurs en la matière, puisqu'il a récemment reçu la Médaille Fields. Pour les scientifiques, c'est sans doute un teaser amplement suffisant. Pour moi qui aurait du mal à aider un enfant de 4ème à faire ses devoirs de maths (pourquoi je mens, soudain ? "pour moi qui ne saurai aider un enfant de 4ème à faire ses devoirs de maths) l'argument est peu bandant.

Et puis l'obligation professionnelle s'est évaporée. Le forum pour lequel je projetais de faire intervenir le surdoué se tient en une date incompatible avec son agenda de ministre. C'est donc débarrassé de tout intérêt que j'ai accordé sa chance au bouquin. Comme on mise la monnaie de sa poche sur un billet de Loto. Et fort bien m'en pris puisque je suis ressorti plus riche d'un incroyable plaisir de lecture. Non que le style vous transporte, mais incroyable dans la mesure où j'ai dévoré 250 pages d'un récit où je n'entravais rien sur le fond de ce qui se passait, mais où les émotions passaient parfaitement. Un peu comme si j'avais été touché au plus profond par un ballet et que le chant superposé dessus avait été en allemand (et je ne pourrais aider un élève de CM1 à faire ses devoirs d'allemand...). Car Villany, au-delà d'être mathématicien, est chercheur en mathématiques. Et le doute, la foi, la rage, le désespoir et la vieillesse ennemie du chercheur sont intemporels et universels.

Lire Théorème vivant, c'est aussi pour cela avancer en ayant confiance. Savoir que l'auteur veut nous faire partager plus que ses élucubrations, intelligibles pour quelques dizaines de tarés des dérivés (sans doute pas le bon terme, vous voyez l'idée) et amateurs de géométrie comme lui. La forme du livre est de ce point de vue très didactique : il a inséré au milieu de son journal de bord avec récit de conférences diverses, sa correspondance par mail avec le jeune chercheur qui l'assiste, souvent à quelques milliers de kilomètres de distance. On y lit leurs doutes partagées, leurs espérances fulgurantes, leur collaboration. On lit une autobiographie sans fausse pudeur, d'un type partagé entre humilité devant ses maîtres en mathématiques et certitude de sa valeur puisqu'il pense pouvoir obtenir la médaille Fields. En l'occurence, il l'obtient. On devine aussi les limites à la normalité d'un tel parcours. S'il prend toujours le RER B et la navette de nuit, qu'il monte même en stop après un concert des Têtes Raides, sa vie familiale très présente dans le livre est dans le même temps réduite à la portion congrue. Sa femme, qu'il présente comme une grande chercheuse en devenir, mais quelque peu prisonnière de ses choix de carrière, passe beaucoup de temps à s'occuper des poutchous auquel lui même ne peut consacrer que les interstices de sa vie de fou. Ce disant, je ne lui jette pas la pierre, il semblerait que tous les autres mathématiciens soient bien plus barrés que lui. Sa description de Princeton en ce point, est terrifiante et attendrissante à la fois : des déambulations de génies incapables de parler d'autres choses que de leurs découvertes scientifiques, vivant sous bocal. Terrifiantes car l'on peine à comprendre comment ces gens vient, mais si attendrissantes car ils ont l'air étrangers à l'orgueil au sens classique, aux honneurs et à l'argent (peu présent dans le livre, tout juste une contingence matérielle). C'est reposant et rassérénant de voir toutes ces intelligences supérieures uniquement préoccupés par leurs recherches. Au milieu des récits d'intrigants, ça fait un bien fou. Au milieu d'une rivière de démesure, je ne comprends rien à la vie de  banc de poissons filant à contre-courant, mais ils ont toute ma sympathie.

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