25/05/2013
Esthétique sans éthique n'est que ruine de l'homme
Si vous tapez Gilles Lipovestky sur Google, les avis divergent, mais abondent. Tranchés. Gourou ayant tout compris de l'air du temps, entomologiste du contemporain, il est célébré pour ses analyses de la consommation et des industries éphémères. Pour les autres, c'est un faussaire qui n'a rien à faire dans les prestigieuses collections universitaires de Gallimard.
Je pencherais clairement plus pour les seconds, tant ses précédents livres, "l'empire de l'éphémère" ou "l'ère du vide" m'ont paru creux, prétentieux et vain. Il n'y a pas de thèse, pas de critique -positive ou négative- chez Lipovetsky. Pour autant, c'est loin d'être inintéressant. Il manie cette fameuse écriture blanche chère à Houellbecq. Il partage avec ce dernier le fait d'être un faussaire. Mais il cache mieux la contrefaçon que le romancier : il déverse des tombereaux d'anecdotes, de chiffres, nous assomme sous des pluies d'études et de références pour étayer ses propos.
Là, ce qu'il tend à montrer c'est que le capitalisme a cherché à tout esthétiser pour parvenir à continuer à se vendre. Dans l'idéologie communiste, l'esthétique devait être gommée. Grosses avenues, immeubles identiques et grosses voitures, dans les supermarchés, les mêmes produits à l'infini. Ainsi, le citoyen n'est pas perverti dans son choix par le pernicieux du design, mais choisit les produits pour leur caractère utilitaire. Dans le modèle capitaliste, tous les produits sont en concurrence les uns avec les autres et tout doit se vendre de la façon la plus artisitique. De la robe fourreau à la bouteille de Coca redessinée par Karl Lagerfeld ou aux sièges SNCF revisités par Christian Lacroix, tout doit être vendu à l'aune de la dimension artistique de l'objet. Nos rayonnages de supermarchés regorgent de cela. Les entrepreneurs sont de plus en plus souvent dépeints en artistes, d'ailleurs.
Là où il devient difficile de suivre Lipovestky c'est qu'il ne va nulle part. Il se contente d'aligner les cahiers de tendances sans porter de regard dessus. Ainsi va le capitalisme, semble-t-il nous dire. L'homme n'est pas idiot et sait pourtant que cette quête folle vers de l'inutile pousse une part croissante de la population à s'endetter pour acheter de l'éphémère et du vain au détriment de l'essentiel. Des millions de foyers renonce aux soins dentaires ou optiques, n'achètent plus de viande ou de poisson, mais se ruinent pour des Nike Air, des écrans plats ou du câble avec sport en continu. En cela le capitalisme assoit et renforce les inégalités quand Lipovetsky, fielleux, prétend l'inverse. Il nous explique que le capitalisme se nourrit de l'égalité : égalité d'envie d'industrie culturelles, égalité de pratiques. Tout le monde va au cinéma, aux musées, dans les "concept stores" tout le monde achète du design, c'est le miracle consumériste qui a battu Marx ! Est-ce bien sérieux ? D'une part, il ne se hasarde jamais à porter un regard qualitatif, le "quoi" et le "comment" n'intéressent pas Lipovetsky, cet obsédé du "combien". Ensuite, il feint d'ignorer ceux qui consomment par choix et ceux qui le font par défaut.
En clair, esthétique sans éthique n'est que ruine de l'homme devrait avancer l'essayiste. Lipovestky préfère nous parler du triomphe de l'esthétique, et il est convié à grands frais pour en parler aux industriels du luxe. Grand bien lui fasse...
08:46 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Votre article est très intéressant et me semble assez juste. Etant encore élève, j'ai comme épreuve une synthèse de textes (souvent répertoriant des avis divergents d'intellectuels contemporains sur un sujet) et en effet, Lipovetsky est constamment la sagesse bouddhique de la synthèse, la fameuse voix du milieu qui présente mais se garde de trancher.
Écrit par : Daniel | 25/05/2013
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