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11/12/2013

Débandade organisée

couv-livre.jpgLe roman de Flore Vasseur, En Bande Organisée, rencontre un succès critique très large. Enfin, j'y reviendrais dans un instant mais pour être plus précis disons qu'il a "une large couverture presse". J'ai acheté le livre sans le feuilleter et après l'avoir achevé (et moi avec) je ne lui trouve finalement que deux petits défauts pour un roman : c'est extrêmement mal écrit et il n'y a pas de personnages. Sur le second point, soyons honnêtes, il y en a 6. Mais eu égard à leur inconsistance, ils pourraient aussi bien être 12, 20 ou 47 puisqu'aucun d'entre eux n'existent. Ce sont de jolis petits hologrammes, semblables en tous points à ce que les portraits de presse voudraient les faire correspondre. Passons.

Sur le style, le procès est facile, il faut donc quelques preuves. La première phrase, (non mais la première phrase !!) : "Seigneur de la com', Sébastien enchaîne soirées annulées et vacances reportées". On pense au second degré, mais dans les lignes qui suivent on apprend que son employeur est La Firme (original...) puis ce monument de description "Avec son costume Zegna infroissable, ses Fratelli Rossetti à 3700 euros et sa coupe de premier de la classe, Sébastien pue la suffisance". Pitié ! Afficher des noms de marque et un prix n'a rien de subversif (un critique manifestement inculte du Point y a lu "du Bret Easton Ellis européen...") et ce ne sont pas le chic des sapes qui cause la suffisance. Les descriptions tombent systématiquement à coté ; j'ai un faible pour le passage où un personnage (Paul, Pierre ou Steven, les mêmes je vous dis) est comparé à Yves Montand jeune car il a "Une bouille de Rital Joufflu". Ha ha ha ha ha ! Montand, l'archétype du physique émacié, à la serpe ; "joufflu". Bref...

Sinon, c'est truffé de vilains anglicismes pour mieux rendre la langue. Raté. Et surtout, surtout, le livre doit comporter un bon 50% de dialogues.

Il faut le rappeler car les évidences nous poussent à l'oublier, mais c'est un art délicat que de faire dialoguer des personnages de fictions. A chaque phrase, à chaque ligne, on risque la chute. Le toc, le bluff. Ca ne pardonne pas, les dialogues. Aussi, quand on a autant, il faut les ciseler, les chignoler, les chérir. 50% de dialogues dans un roman, c'est une opération kamikaze. Or, tout porte à croire qu'ils ont ici été choisi, non pour nourrir l'intrigue, mais pour aller plus vite. Pour achever l'ersatz de scénario. Et ils se fracassent sans cesse sur le réel comme les vagues s'écrasent sur les rochers bretons. Allez j'arrête. Après tout, c'est ma faute. Si j'avais feuilleté le livre deux secondes avant de l'acheter, je l'aurais reposé sur la pile avec une moue gênée. Huit clichés par page (les patrons sont tous des salauds, les politiques des impuissants et des corrompus, tout le monde n'est que cynisme, puanteur et égoïsme ; sauf les gentils hackers), écrit à la truelle. Ca se voit. Pourtant je l'ai acheté. Pour l'auteur. 

La première fois que j'ai rencontré Flore Vasseur, je l'ai trouvé très intelligente. La deuxième fois où je l'ai vue m'a confirmé ma première impression. Ma troisième etc... Le doute n'est pas permis. J'ai transféré ce délit de bon cerveau sur des qualités littéraires. Erreur. Si je me suis trompé à ce point sur le livre c'est qu'il a été écrit sans exigence et pour de mauvaises raisons. Sans exigence car, à l'évidence ce livre a été bâclé en marge de déplacements. Fini dans des cafés, des trains ou des taxis. Je sais que Flore Vasseur a de multiples activités et n'a sans doute pas eu le temps de se consacrer entièrement à l'écriture. Dommage. Tout remerciés qu'ils soient, on ne peut pas dire que les éditeurs aient beaucoup relus. Et pour cause, ils voulaient à tout prix être présent à la rentrée littéraire. Celle là même où ils ont été très suivis. Et pour cause (la leur), c'est un livre qui a quelque chose à dire. Dommage qu'il ne dise rien. Rien qu'on ne trouve déjà dans les -bons- journaux, les -bonnes- revues, les -bons- essais.

Ce livre a été conçu pour passer dans les médias. Ca a marché. Regardez les critiques du JDD où autres. Regardez l'inconsistance des critiques : aucun n'a lu le livre ! Ne parle du style, de la construction ou autre émotions : seul compte le sujet... Appliqué à Proust : "Alors Marcel, on se fait chier dans votre livre, vous le faites votre coming out ou bien ?". Donc les journalistes ne lisent pas, mais en parcourant la quatrième de couv', ils savent ce que raconte le livre et ça suffit pour faire parler Flore. Et là, elle excelle.

Flore parle avec aisance de la finance et des hackers. Des dérèglements du "système" de la folie de la finance. Elle bouillait d'en parler depuis des mois, elle était dans les starting blocks, elle voulait débattre, la marche du monde la révulse et elle veut la dénoncer ! Ce roman sert de prétexte pour vomir sa haine de l'élite. La femme de Martin Hirsch a écrit "j'ai fait HEC et je m'en excuse" Flore pourrait écrire "j'ai fait HEC et je me fais gerber". Ca suinte la colère et la haine, mauvaises conseillères littéraires. Les patrons et les financiers n'ont pas besoin de cela pour exister. Du coup, la rhétoricienne, la conférencière habile, manque sa cible. Trop gros, trop cliché et la vie est plus complexe que ça. Bien sûr son livre repose sur des faits réels, mais elle se désintéresse des phénomènes, des cercles sociaux qui influencent l'action des acteurs qu'elle dépeint. Ce ne sont pas tous des salopards par pure ressentiment. Grotesque. Dommage, vraiment dommage. Surtout, suivre Flore Vasseur sur les réseaux sociaux est délectable car si elle critique ces financiers fous avec leurs envies consuméristes elle a crée un site dédié et organise avec maestria la réclame autour de son ouvrage qu'elle vend comme "une bombe de Noël". Tristesse.

On parle très peu de littérature, en France. On parle tout le temps de livres, ce qui n'a rien à voir. De livres d'actualité, de brûlots ou d'essais, de pamphlets, d'enquêtes et autres. Mais les romans ? Ce qui m'a le plus agacé avec le livre de Flore c'est ce "roman" mensonger en couverture. Elle a ainsi volé de la place si précieuse pour parler des autres beaux romans de la rentrée. De Chalandon, Reverdy, de Jeanada (pas lu, mais confiant dans les témoins) Minard (pas lu mais feuilleté et assurément bon) ou encore de Chloé Korman. Je n'ai pas aimé "les saisons de Louveplaine", ce n'est pas de mon goût, mais à l'évidence il y a un travail d'écrivain sur la langue, les personnages et l'histoire. Raconter des histoires, faire transpirer des sentiments, être des passeurs d'expériences. Voilà ce que l'on attend des romans. Un résumée grossier et romancée d'une actualité où c'est bien connu "on ne nous dit pas tout" est sans doute un salutaire exercice citoyen. Mais la littérature n'en sort vraiment pas grandie. Et son espace d'expression s'amenuise encore...

 

 

Commentaires

Parlant de Chalandon, voici une adaptation théâtrale de ses deux derniers livres :
http://www.bouffesdunord.com/fr/saison/5187ac0067afe/mon-traitre

Écrit par : AH | 11/12/2013

Vu ! Et je compte bien y aller ! Bises

Écrit par : Castor | 11/12/2013

Les commentaires sont fermés.