26/06/2015
Jean d'Ormesson, le "grand écrivain" à l'oeuvre introuvable
En écoutant France Inter recevoir avec une déférence incroyable Jean d'Ormesson, je me suis dit que le sémillant jeune nonagénaire incarnait, bien malgré lui, le symbole d'une confusion de l'époque. Tout le monde rappelle à l'Académicien qu'il a été accueilli dans la Pléiade après quatre décennies passées sous la coupole du Quai Conti. Fort bien, mais pour quel livre, au fait, célèbre-t-on l'écrivain ? Mystère. Personnellement, je crois que l'on réifie trop les romanciers et que l'on peut être écrivain dans les sciences sociales, écrivain de biographie, diariste et que sais-je encore. Mais tout de même, il faut que ces phrases claquent quelque part, soient rassemblées en quelque volume. Et chez l'ami Jean d'O qui parle si bien de Montaigne et Stendhal ? Rien, ça serait vulgaire. Bien sûr, son histoire de la littérature française est une alternative plaisante à l'austère Lagarde et Michard. Mais encore ? Qui peut, sans sourciller, nous parler d'un livre de Jean d'O qui a marqué ses années de jeunesse, de maturité, le crépuscule de sa vie ? Quelque chose qui l'ait au choix : ému, bouleversé, amusé, étonné ? Rien. Je suis allé voir sur sa page Wikipedia pour découvrir les oeuvres de d'Ormesson, rien que je ne m'emmènerai sur une île déserte, même si on me donnait 3 malles... (elle est là), les écrits de d'Ormesson ressemble à une longue succession de copies de lauréats du concours général de Français. C'est élégant, ça ne fait pas un écrivain.
Il parle bien, il parle clair, Jean d'O. Il défend avec force la cause des chrétiens d'Orient. Comment ne pas lui donner raison : chaque année 105 000 personnes meurent pour la seule raison qu'elles croient en un Dieu qui n'est pas dominant là où elles vivent. Fort bien. Et puis il n'est pas ronchon contrairement à Alain Finkielkraut. Il confesse facilement ses dilections littéraires, anciennes comme plus récentes. Nous sommes toujours d'accord. Il défend les belles lettres et parle bien. Mais Luchini aussi. Alors pourquoi diantre en fait-on un grand écrivain ? La dernière personne a être rentrée dans la Pléiade de son vivant était Julien Gracq. Contrairement à Jean d'O, on ne connaissait pas son bulletin de vote, son opinion sur la religion ou les Ministre de l'Education Nationale successifs. En plus il ne passait jamais à la TV. Mais Un balcon en forêt, La forme d'une ville, Un beau ténébreux ou Le château d'Argol, sont de très grands livres. Un peu ce qui fait l'essence d'un écrivain.
Cher Jean d'O, je n'ai rien contre vous, bien au contraire, mais soyons honnête, l'écrit de vous le plus marquant figure sur le biceps de Julien Doré...
08:48 | Lien permanent | Commentaires (5)
09/06/2015
La loi du marché, grand film de bout en bout
C'est un film qu'on va voir en se demandant, fébrile, si les critiques ne se sont pas trompés. Encenser un film "social" n'est-ce pas avant-tout la mauvaise conscience du critique trop éloigné de cette réalité ? Même précarisé, même pressurisé par un marché stupide qui généralise le dumping, le chroniqueur culturel a acquis des codes, des "compétences rédactionnelles", voire "une curiosité culturelle", une "capacité à vous adapter à différents univers". Aussi, quand le chroniqueur culturel en a marre de glaner des émoluments inférieurs à ce que à quoi ses diplômes le prédestinait, il peut changer de voie.
Thierry (Vincent Lindon) n'a pas cette possibilité. Je ne parle pas de "chance" hein, je ne fais pas dans la mauvaise conscience de bien né, je parle juste d'une réalité crue comme le fait le film de Stéphane Brizé de bout en bout. Celui du destin foncièrement ordinaire d'un prolétaire, au sens marxiste du terme, c'est à dire celui qui est dénué, ou à qui on l'a ôté, sa singularité. Dépourvu de compétences spécifiques, particulières, rares. Il a travaillé sur une machine qui n'existe plus, il se formerait bien mais on ne lui offre pas sa chance. Alors il accepte un emploi de vigile. C'est tout pour le scénario. La relégation, le déclassement ou la chute. Les prolétaires qui se bouffent entre eux et la violence d'un monde filmée sans effet de manches ou de caméras, sans surjouer, sans grande tirade méchante sur la loi du marché, justement. Brizé ouvre son film sur un échange infâme de dureté à Pôle Emploi et l'achève sur une très habile coda qui laisse le spectateur imaginer la suite, ni happy, ni sad. La vie quoi. A de très nombreux moments, j'avais presque du mal à regarder l'écran où pas une goutte d'hémoglobine ne se répand. Des moments de joie chez Lindon, presque trop ordinaires, trop chiches. Quand il danse avec sa femme où discute avec son gamin, atteint d'un handicap moteur et mental assez lourd. N'allez pas croire pour autant que Brizé a voulu en rajouter, le gosse est scolarisé et s'il y a du vin à table, le couple n'a pas de problème de bouteille. Ils ont même presque fini d'acheter leur appart, on est pas chez les expulsés. C'est toute la justesse du film que de montrer que ceux qui bossent comptent, "font attention" comme le dit méchamment la conseillère bancaire de Lindon à ce dernier quand elle constate des baisses sur son compte en fin de mois. Sans doute soupçonne t'elle qu'il claque tout en boîte...
Au final, ce film est puissant parce qu'il ne cherche pas à faire la morale, ne raconte pas l'horreur du capitalisme avec des grandes démonstrations ou des passages fumeux sur la mondialisation triomphante et l'arrivée de capitaux chinois. Au contraire, en choisissant un supermarché, Brizé place son intrigue hors du cadre des possibles délocalisations. Mais dans ce magasin, le vigile flique les clients comme les employés et le patron, lui même pion dans un groupe, attend ça. Tous prolétaires, tous interchangeables et tous entre les mains d'un groupe attentif à sa marge. Brute, très brute. Et un grand film, assurément.
07:28 | Lien permanent | Commentaires (0)
08/06/2015
Quand le temps très long rencontre le très court, que reste-t-il ?
C'est un article d'une pleine page qui m'a vraiment alerté. Une grande "enquête" que la mindfullness, où "pleine conscience" nouvelle technique méditative et introspective en vogue actuellement. Je fus frappé par le manque de discernement coupable de l'auteure qui, sous une posture goguenarde, masque mal son incapacité à traiter d'un tel sujet. Et pour cause.
Cette lame de fond, ce succès public très fort pour la contemplation de son âme, vient d'émerger il y a trois ans à peine. On apprend que l'application de Psychologies Magazine figure dans le top 20 des plus populaires, que nombre d'entreprises pensent à offrir des séminaires à leurs salariés et que l'enthousiasme déborde pour cette technique visant à faire le vide, à oublier les futilités qui encombrent notre quotidien et à nous recentrer sur l'essentiel, une chose à la fois et notre moi profond. Bon. Et l'auteure de s'interroger sur les raisons de ce succès uniquement. Je ne retirerai pas une ligne de sa démonstration : climat anxiogène, accélération des tâches et des demandes professionnelles, difficulté à se concentrer et à s'abstraire du temps court... Tout, dans le contexte actuel, pousse à une aspiration à plus de profondeur, selon un phénomène bien connu de contre poussée. La vogue trop éphémère du fast food à donner naissance à la slow food, les voyage éclairs donnent des envies de temps long et les chaînes d'info en continu expliquent sans doute le succès du retour au papier. Sauf que sur ce dernier sujet, on a un peu de recul, et des chiffres. Les ventes du trimestriel XXI peuvent constituer un indicateur si ce n'est fiable du moins lisible, du rejet du court termisme ou de l'aspiration au décryptage selon que l'on est critique ou constructeur. Pour la mindfullness, en revanche, le doute est là. Et c'est bien emmerdant car on parle plus que de consommation, d'un mode de vie. Ceux qui se sont mis à la consommation de nourriture bio ont des chances de s'y tenir, de continuer à faire leurs smoothies et autres. L'exigence n'est pas très élevée et peu de facteurs pourraient vous détourner de ce changement. Pour la méditation, en revanche, on parle d'un changement de vie. Or, on sait qu'il en va pour cela comme des bonnes résolutions du jour de l'an : au 1er de l'an, tout le monde mange une soupe et va courir (plus souvent le 2 janvier) ou à la salle de sport. Et à la fin du mois, l'armée de bonne volonté a fondu et doit battre en retraite devant la puissance des légions du quotidien.
Quand on voit ce qui est demandé à ceux qui voudraient vraiment, sincèrement, changer leur approche existentielle et se mettre à méditer tous les jours, soupeser leurs décisions auprès de leurs proches, leurs collègues, leur partenaire de vie, on réalise que c'est un travail sur soi colossal. Il y aura forcément une perte considérable entre ceux qui viennent pour voir et ceux qui y sont encore six mois. De cela, l'article ne dit pas un mot. Parce que ça n'est pas vendeur ? On n'en même plus là. Le flux d'information chassant l'autre, les prochaines tendances succédant à la mindfullness seront dépeintes avec le même enthousiasme, voir avec des comparaisons chiffrées, en oubliant que la précédente technique ne s'évaluait qu'à l'échelle d'une vie et que l'on ne saurait donc faire de bilan après quelques années. Ce genre de papier de plus en plus fréquent illustre le mal qu'on les quotidiens à traiter des sujets de revues. Il ferait mieux de laisser ces pages à du décryptage factuel, ou des portraits, ou des chroniques, toutes sorte de papier que le lendemain ne risque pas de contredire.
09:27 | Lien permanent | Commentaires (0)