29/08/2015
Quoi de neuf dans la crise ?
Lorsque j'étais tout petit, dans les années 80, j'écoutais en boucle une K7 (ne pas relever d'éventuelles remarques sur ce support phonographique alors résolument moderne) chouravée à mon frère et reprenant le dernier spectacle de Coluche. Un hasard sur Internet m'a permis de le réécouter en boucle, ici. Et après avoir beaucoup, beaucoup ri, j'ai réalisé, troublé que ce spectacle était parfaitement raccord avec une certaine conception de l'actualité alors que le spectacle date de 86. Dans la mesure du possible, évidemment. On ne peut attendre d'un homme vivant le crépuscule de la guerre froide qu'il anticipe tout. Et encore, sur les attentats, alors d'une ampleur peu commune avec ce que c'est devenu, Coluche moque notre psychose sécuritaire "quand tu vois un flic, c'est que tout va bien. S'il y avait du danger les flics seraient pas là. Evidemment, le chansonnier n'est pas prophète puisqu'il se hasarde à une sortie : "sûrement pas les mecs qui prennent l'avion. Et pis y en a jamais aux Etats-Unis".
Hormis cela, ce qu'il y a de troublants, c'est la convergence et la permanence des analyses sur un grand nombre de sujets. Une absence de taille, tout de même, puisque l'écologie ne figure pas parmi les thèmes abordés. Evidemment, nombre de scientifiques et politiques s'étaient alarmés sur la questions, mais si on est honnêtes, on reconnaîtra que le sujet ne s'imposait pas et que les chansonniers n'ont pas vocation à nous éclairer sur les changements du monde. Triste ironie, Coluche balance quelques vannes sur Tchernobyl, sur le thème "on nous cache des choses", mais ça reste léger.
Fors l'écologie donc, les permanences sont troublantes. Sur le langage des politiques et médias, leurs relations incestueuses et les "affaires", on s'interroge tout de même sur les raisons pour lesquelles 30 ans d'intelligence collective ne nous ont pas permis d'avance d'un iota. Quand au chômage, à une heure où l'emploi pourrait disparaître avec une célérité sans précédent, on note tout de même qu'exactement les mêmes chiffres et concernant les mêmes populations sont concernées. 3 millions de chômeurs, des personnes mal formées, sorties trop vite ou pas rentrées sur le gros manège. On ne parle pas encore de la violence d'une même matrice libérale, m'enfin tout de même.
Ceci pour dire que le champ lexical employé aujourd'hui par le principal parti de gouvernement, d'hystérisation permanente "pays au bord du gouffre", "nous sommes à bout" et des mêmes reprises des titres par les médias ne peut rien alimenter de bond. Cela fait 30 ans que l'on inonde littéralement l'opinion de mêmes rengaines sans voir l'évidence de la fin du modèle. Hier, Daniel Cohen venait présenter son nouveau bouquin sur France Inter, livre dans lequel il avance l'évidence que la croissance est un modèle dépassé, qu'elle baisse tendanciellement partout dans l'occident depuis 40 ans et que cette courbe ira plus vite pour les pays qui ont connu un boom plus tardif (cf la Chine aujourd'hui) et que les exemples se multiplient partout dans le monde. Donc pas la peine de barguigner, faut partager autrement. Les revenus ou richesses crées, les emplois et le temps. Le cadre est là, les outils aussi, mais en écoutant le spectacle de 86, je me dis que le poids de l'histoire et d'un gavage très long sera le dernier barrage à faire sauter et ça va prendre encore sans doute quelques années...
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23/08/2015
Le management désincarné
Avec la fin des vacances, riches de lectures de classiques et uniquement de fiction, j'accompagne le retour à Paris d'un replongeon dans les essais, histoire de me préparer mentalement à bosser. Et un titre attira particulièrement mon regard en cette rentrée, un essai du début d'année par une auteure dont j'avais déjà beaucoup apprécié un précédent ouvrage, Le travail du consommateur. Là, le titre était une gageure et un coup d'oeil à l'introduction avec sa méthodologie me confortait dans l'envie de me lancer : 150 entretiens, avec des cadres publics, privés et associatifs, avec des consultants de tous milieux, bref, un bien beau terrain.
L'ambition de l'auteure est de comprendre comment sont dirigées les entreprises du début du XXIème siècle, celles qui ont recours à des "tableaux de bords" tous peu ou prou dans la veine du NPM (new public management), une doctrine stipulant que l'Etat doit s'aligner sur les standards d'entreprises, à savoir faire plus avec moins et diminuer les dépenses pour maximiser les profits. Un truc solide, quoi, comme doctrine... Plutôt que de se concentrer sur la souffrance au travail produit par ce NPM, angle déjà salutairement très abordé (et extrêmement présent dans la biblio), Marie-Anne Dujarier cherche à comprendre ce qui se passe dans la tête de ceux qui produisent les normes qui aboutissent concrètement à cette souffrance. On pourrait résumer d'un lapidaire "rien", et on ne serait pas loin de la vérité. Il ne se passe pas grand chose chez ces nouveaux ludions du capitalisme, pas plus méchants que la moyenne. Le principe de base des monstres froids. (On va pas la jouer point Godwin en 1 coup, mais Primo Levi a mieux que tout autre montré qu'Auschwitz est l'endroit où la notion de "pourquoi" disparaît, ce qui n'est pas annonciateur de bonnes nouvelles pour le genre humain...). S'il ne se passe rien, c'est pour une pluralité de raisons débouchant sur l'ère du vide, y compris de l'adhésion. Pour reprendre les mots de l'auteur : "une large majorité d'entre eux sont pratiquants du capitalisme libéral, mais pas croyants", cette phrase illustre la fin d'un chapitre sur les convictions politiques des consultants qu'elle a interrogé. L'amusant (ou le navrant) est qu'elle compte comme "non croyant" les électeurs de gauche et centristes, qui n'atteignent pas 50% du quorum, mais les autres sont "sans opinion"...
Il ne se passe rien, aucune adhésion et pourtant force est de constater que cela continue. Problématique ainsi reposée par Dujarier : "Nous nous trouvons cependant devant une énigme : comment comprendre que l'encadrement par les dispositifs prospère et s'étende autant, alors qu'il semble n'avoir aucun supporter clair ? Pour comprendre ce paradoxe apparent, il faut plonger dans le travail de ceux qui fabriquent et diffusent les dispositifs".
L'auteure explique ce soutien permanent des cadres par le jeu : le jeu comme stratégie de management (on ne comprend pas le sens de ce que l'on fait, mais on aime jouer) comme rhétorique opérationnelle (je veux gagner la compétition et suit les règles du jeu - croissance à +12%, compression des effectifs, atteindre le zéro défaut - et comme je veux gagner, je suis) et enfin le jeu comme lutte contre l'ennui qui guigne tous ces cadres, qui oscillent souvent entre le risque du "burn out" et du "bored out". La limpidité de l'analyse a de quoi faire froid dans le dos tant ce jeu n'a rien d'amusant pour des milliers de salariés...
Un dernier chiffre, tout de même, pour comprendre la dangerosité du "jeu". 12% seulement des consultants vont sont sur le sacro-saints "terrain" des entreprises qu'ils conseillent. Cadres interchangeables, ceux-ci sont censés prodiguer des conseils pour des secteurs auxquels, de leur propre aveu, ils n'entravent que pouic "je suis sur une chaîne de jambon, mais j'y connais rien moi au jambon !". Forcément, à 1 500 euros la journée, on évite de les envoyer en immersion sur site, on considérerait que c'est de l'argent perdu... Gaspillé. Et on laisse ainsi s'accroître l'écart entre les producteurs de changements (que Dujarier appelle Planneur) et ceux qui l'exécutent concrètement. Ce jeu ne peut pas bien finir...
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19/08/2015
Mommy, seriously ?
Contrairement au cinéma où l’on peut quitter la salle dès lors que l’on considère que les limites de l’atteinte à son temps où à son intelligence ont été atteintes, il est fortement déconseillé d’adopter la même attitude fuyarde dans un avion. Raison pour laquelle je me suis infligé les 2H18 de ce navet qu’est Mommy de l’enfant chéri de la critique, Xavier Dolan. J'aurais pu écourter le supplice, mais le délire de dithyrambes que j'avais lues ou entendues sur le film me poussaient à regarder jusqu'au bout pour être sûr que le génie n'était pas caché dans les 10 dernières minutes (la réponse est non).
J’admets, je partais avec un léger parti pris. J’avais trouvé le gosse si bête dans ces propos sur le mariage gay où son discours lors de la réception de je ne sais quelle palme si navrant sur le thème « quand on veut on peut », que j’étais méfiant. Les premières minutes me détrompèrent : il sait tenir une caméra. Mais qu’il fasse des clips nom de Dieu !!! Pour faire un film, il faut un propos. Il n’y en a pas… Une histoire, pas un ramassis de clichés et une envie de filmer, pas de montrer ce que l’on sait faire. La virtuosité n’excuse pas tout…
Sur la forme : archi convenu, une bande son mélangeant savamment le kitsch (Céline Dion et Eiffel y passent) la soupe (Oasis) et d’autres trouvailles plus persos de l’auteur. Insupportable, on ne s’entend pas vivre dans ce film ! Concernant l’utilisation des ralentis c’est si grotesque que je n’ose même pas insister mais lorsque le pauvre garçon se taille les veines (malheureusement, il se rate, j’espérais que le film s’achève, ça nous aurait épargné une demie heure…) on a le droit a une minute de ralenti avec sa mère et sa bonne amie le portant vers les urgences… Pitié….
Par ailleurs, l’actor studio adaptée au scénario, ça ne fait pas une histoire : un gosse à problèmes vivant chez sa mère à problèmes aidés par une voisine à problèmes ça ne fait pas Germinal, mais un tissu inepte. Fors quelques effets visuels, rien à sauver tellement c’est bavard, creux et long. Merci aux quelques critiques du Masque qui l’ont pourfendu, m’est avis qu’on a affaire à une imposture qui vaut bien Houellebecq…. La prochaine fois que j’accepte de visionner un film du prétentieux péroxydé et donneur de leçon, j’attends un argumentaire en béton armé…
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