29/09/2015
Initiales G.G.
C'est entendu depuis hier soir, on voit beaucoup trop François Hollande dans le documentaire consacré à Gaspard Gantzer. Mâchoires crispées, sourcils froncés en permanence, il s'agite du début à la fin de ce délicieux film dans un mélange de Manuel Valls et de Lapin Duracell. Derrière, lors du débat de France 3, un commentateur s'exclame malin "si une grande entreprise cherche un dircom, ils l'ont trouvé !", pensant qu'exposition vaut révélation... Heureusement, quelques minutes après, Françoise Fressoz du Monde décille tout ce beau monde : le but d'un communicant est de retirer les fils des marionnettes, et qu'elles marchent quand même, ne pas apparaître. A cette aune, on peut considérer que c'est un brin raté. Reconnaissons qu'il était difficile de laisser les caméras du facétieux Jeuland pénétrer l'Elysée sans avoir de soucis. Mais à vouloir tout verrouiller, le garçon s'expose et s'explose...
D'abord, il n'a aucun recul. On le voit sans cesse au téléphone, leur débiter toujours les mêmes phrases pompeuses, empesées, sur l'action présidentielle. Il est déjà dans son récit et espère sincèrement que les journalistes reprendront mot pour mot ce qu'il a pensé. Il faut le voir répéter mot à mot aux plumes du président "un gouvernement collectif, solidaire, on ne joue pas individuel". Voilà comment il devait être à l'ENA, Gaspard, péremptoire et certain que sa belle mécanique (il n'est point sot) suffirait à faire tourner tous les moteurs...
Je n'ai rien contre l'ENA, cette formation est enviée dans le monde entier et elle mène sans doute à tout à condition de savoir en sortir, de faire d'autres choses, de ne pas s'enfermer dans une caricature de soi même comme le fait Gantzer. Ce n'est pas un directeur de la communication mais un responsable du protocole. Avec Christian Gravel qui occupa peu ou prou les mêmes fonctions pour Valls à Evry, nous voilà bien avec un binôme de communication publique de haut niveau...
Ensuite, persuadé que rien ne peut se faire de bien fors ce qu'il pense, Gaspard ne délègue rien. Il faut le voir pendant les voeux du président, arrangeant le cadre, les caméras, le plissé du drapeau derrière lui. Imagine-t-on Jacques Pilhan expliquant à Serge Moati comment filmer Mitterrand ? Evidemment, non. Il faut faire confiance, donner de l'autonomie, ne pas tout verrouiller et permettre aux gens compétents d'exprimer leurs talents.
Victor Hugo écrivit beaucoup de chefs d'oeuvre et une maxime pour dissertations de terminale mais bien pratique ici "la forme, c'est le fond qui remonte à la surface", curieusement, tous les défauts que l'on reconnaît au pouvoir actuel (manque de recul, de vision, trop de centralisme) se retrouvent dans le caractère de monsieur récit de l'Elysée qui se mit lui même en une de l'Obs avec tous ses conseillers issus des mêmes promos de l'ENA et des mêmes lycées que lui...
Il n'y avait sans doute pas grand chose dans l'héritage de Sarkozy pour les socialistes. M'enfin, si quelqu'un a gardé la carte de visite de Franck Louvrier (le spin doctor de l'ancien locataire), c'était quand même d'un autre niveau...
07:01 | Lien permanent | Commentaires (19)
27/09/2015
Fonctionnaires, pourquoi tant de haine ?
Il faut toujours prendre les sondages avec les pincettes, c'est entendu. Celui-ci ne fait pas exception : 70% des français suivraient Emmanuel Macron dans sa sortie sur le caractère "non adapté des fonctionnaires au XXIème siècle". Forcément, la question est posée de telle façon que l'on est tenté de suivre le troupeau panurgien. Fatalement : estimez-vous que les fonctionnaires sont plus protégés que vous ? Bah oui... Avec 92% des embauches qui ne sont pas des CDI et donc seulement 8% qui accèdent à un Graal encore bien moins protecteur que le statut des fonctionnaires, comment ne pas les jalouser ?
C'est humain, c'est très con aussi, mais c'est humain. C'est humain et ça s'entend pour la caissière, l'employé de banque et tout un tas de CDI du privé qui peuvent être virés manu militari car leur boulot sera remplacé par un robot. Fatalement, cette boule au ventre quand on songe à son crédit et le cataclysme qui s'abat si ce maudit contrat venait à être rompu, ça vous pousse à moins aimer celui qui est "invirable à vie". C'est humain. C'est humain mais ça masque beaucoup d'autres réalités...
D'abord on embauche de moins en moins de fonctionnaires. La fonction publique ne fait pas exception à la précarisation des contrats de travail, au contraire. Conscients du coût de ce statut, les décideurs politiques successifs, obsédés par la maîtrise des comptes publics, trouvent des alternatives aux embauches définitives : ce sont tous les vacataires dans l'enseignement, dont le nombre équivaut parfois au nombre de permanents, dans le supérieur. Ce sont les intérimaires en santé, en sécurité... Les multiplications de CDD (Ha, la Poste condamnée avec ses 360 CDD ! (elle n'embauche plus de fonctionnaires, depuis des années, mais là ça en faisait encore partie...) sont légions. Ensuite, il y a une réalité arithmétique intangible : les fonctionnaires ne négocient pas leurs salaires. Ils subissent le bon vouloir de celui qui signe le point d'indice qui le gèle depuis des années. Et ils ne sont pas rémunérés non plus en fonction de leur emplacement géographique, contrairement au privé où les salaires s'adaptent beaucoup plus. Ceci fait que des fonctionnaires appartenant aux classes moyennes supérieures à Limoges et à Pau, sont plus ric rac à Lyon et à Lille et ont du mal à boucler les fins de mois à Paris. Ca non plus, ça n'est pas adapté au XXIème siècle, mais je crains que ça ne fut pas la pensée de Macron...
Certes, les fonctionnaires ont toujours un avantage : les retraites, calculées sur la fin de leur carrière qui est forcément le meilleur de leur traitement. Certes. Mais quand on voit que le delta financier ne cesse de s'élargir avec le privé pour des postes équivalents, pas de quoi s'émouvoir... En 2008, tous les débats de ces chers frais diplômés tournaient autour des "privilèges indus" des fonctionnaires. Ils relayaient des pages ineptes de l'UNI évoquant des conducteurs de TGV gagnant 5 000 euros par mois tout en travaillant 13h par semaine. Chaque fois, je clouais les échanges d'une même formule, très simple : "bah, vas y alors : deviens fonctionnaire". Cela avait le mérite de faire peser un silence gêné... Si j'avais monsieur Emmanuel Macron en face de moi, je commencerai sans doute par lui faire le même retour. J'ajouterai que nombre de jeunes veulent devenir fonctionnaire pour la protection qu'elle offre (la fonction publique) : plutôt que de ricaner, je réfléchirais à la précarisation des autres statuts. Ensuite, je verrais que nombre de postes ont du mal à être occupés malgré ce statut (prof, juge, soignant), donc ça n'est sans doute pas le moment de rajouter une haie supplémentaire...
07:33 | Lien permanent | Commentaires (135)
24/09/2015
Entendre le bruit d'Oyster qui tombe, c'est la lecture qui souffre
C'est une nouvelle qui fera peu de bruit au milieu du brouhaha de Wolkswagen. Eu égard aux scandales respectifs, c'est bien normal et pourtant, il faudrait mettre en débat la fermeture effective dans quelques mois d'Oyster. Ce service, né aux Etats-Unis où le marché du livre numérique est florissant, proposait sur le principe de Spotify et Deezer, d'offrir à ses utilisateurs un accès illimité à la lecture pour un abonnement de 10 à 15 euros par mois.
Curieuse coïncidence, au même moment, Deezer rentre en bourse après une année 2014 à 54% de croissance et Spotify engrange des nouveaux millions d'utilisateurs chaque mois. Comment ne pas faire le parallèle ?
Depuis des années, je maintiens aux cassandre de la mort du livre papier à cause de "la soif de lecture numérique" qu'ils se leurrent. Pas par conservatisme, pas par refus des nouvelles technologies (je compte bien m'acheter une liseuse numérique pour les vacances, c'est bien plus pratique), juste par observation des usages. Dans les années 80, les jeunes s'échangeaient des K7 piratés, reprenant le son des vinyles. Alors, la musique était beaucoup trop chère et tout le monde rêvait de pouvoir s'échanger des discothèques, de partager, d'emmener partout de la musique. Qui, dans les cours d'école, disait "vas y balances moi tout les Karamazov, les Misérables, Harry Potter" ? Peu de monde. Même ce dernier était offert par les parents heureux que leurs enfants lisent, mais ça circulait peu. Pas de raison que passé 20 ans, on aspire à "consommer" différemment de la lecture... L'enquête du CNL sur les français et la lecture est de ce point de vue lumineuse : si l'on a pas eu de livres chez soi petit, mal barré. Pas foutu, mal barré. Vous n'irez pas chez les libraires seuls. La solution est donc de trouver des prescripteurs à l'école, encourager encore davantage la lecture dès le plus jeune âge. Sur papier ou en numérique, contrairement à ce que pensent les incultes d'Itunes du livre, c'est le même combat. Celui de la singularité de la lecture coulée, celle qui n'est pas entrecoupée, la capacité à se plonger. Internet est un danger, pour cela, avec le multitasking permanent. Ce que montre parfaitement Roberto Casiati dans "le colonialisme numérique" ; d'où le besoin d'avoir des liseuses adaptées, sans accès aux tuyaux du web...
Amusant deuxième hasard, après l'écriture de cette note, je tombe sur une brève du Monde m'apprenant que les ventes de livres numériques sont en recul de 10,1% aux USA, pour la première fois... Preuve supplémentaire, ce d'autant dans un marché naissant, que le support n'est pas en cause, mais bien la pratique. Oyster est mort, tant pis. Pas tant mieux, toute initiative autour de la lecture mérite que l'on y prête attention. Mais cette mort doit nous interroger collectivement sur notre appétit de lecture : donnons aux jeunes la fringale de lire. La seule ou l'indigestion n'a rien de dramatique.
10:32 | Lien permanent | Commentaires (2)