17/07/2016
Notre dangereuse fascination pour le nihilisme politique
Hier soir lors d'un dîner, un ami aux convictions d'airain m'a déclaré sans hausser la voix ni clignement d'yeux frondeurs qu'il n'irait pas voter en cas de second tour opposant François Hollande à Marine le Pen, l'an prochain. Je creusais les raisons d'un choix avancé sans désinvolture, que mon ami résuma ainsi : "je voudrais voir ce qui se passe. Voir des millions de fonctionnaires obligés d'appliquer une législation raciste. Nos institutions sont-elles à ce point fragiles qu'il suffirait de quelques énervés pour tout effondrer ?".
Sans faire de longs détours par la notion de la minorité et pouvoir ou la capacité de quelques factieux de tout bloquer, je suis revenu à l'essentiel : mon ami avait oublié les fondements de la démocratie. Dans son hypothèse, les fascistes sont toujours minoritaires, même s'ils remportent des succès dans les urnes. Après tout, un parti qui récolte 51% des voix dans un pays où seuls 50% des gens votent n'a les faveurs "que" de 25% de la population. On connaît le refrain. Pour une fois le point Godwin ne vaut pas, lors des élections législatives qui amènent Hitler au pouvoir en 1933, on compte 89% de participation. C'est donc un peuple allemand pleinement acteur à défaut d'être pleinement conscient, qui a choisi les nazis. Notre modernité se caractérise plutôt par un nihilisme démocratique en expansion forte. L'abstention devient la norme, y compris face aux périls les plus importants. En novembre 2016, alors que Donald Trump sera présent, le nombre d'américains qui se rendront aux urnes ne devrait pas tellement excéder les 50% comme ce fut le cas pour les deux élections d'Obama. Le référendum sur le Brexit a fait mieux, mais 72% de participation cela veut aussi dire 28% d'abstention pour un choix qui était pourtant très clair...
Dans son essai sur la démocratie moderne -Contre la démocratie-, David Van Reybrcouk propose le retour au tirage au sort pour réenchanter la relation des citoyens avec la politique. On aurait tort de balayer d'un revers de main cette thèse magistralement défendue dans le livre. Ce qu'il pointe c'est notre folle pente pour le nihilisme qui peut nous mener à nous brûler les doigts comme mon ami hier. Car les institutions sont des châteaux de cartes, non des barrages. Erdogan, Poutine, Orban et autres Kasczinski le retour en Pologne ont été élu avec des institutions qu'ils tordent joyeusement en arrivant au pouvoir. Alors, les digues démocratiques s'affaissent et partout les mêmes mécanismes de dérives autoritaristes sont à l'oeuvre : médias muselés, opposants politiques traqués, société viciée. Cela ne signifie pas que la contestation n'existe pas, mais elle suffoque. Les marches monstres de la société civile polonaise l'ont prouvé : le pays n'est pas facho. Mais combien de temps cela a duré ? Peu. La reprise en main des médias public par le PIS a diminué la surface d'expression de l'opposition. D'ici quelques temps, les représentants les plus éclairés de la contestation s'en iront : lorsque les élites sont mondialisées, polyglottes et adaptables, elles fuient les régimes qui ne leur conviennent plus. Pour aller ailleurs. Mais lorsque les ailleurs se délitent de toute part, lorsque toutes les issues seront condamnées, que faire ? La samba est bien triste au Brésil et l'Argentine est en proie au même cauchemar. Il peut y avoir le réflexe, Houellebecquien en diable, d'aller au Vietnam, en Chine, en Thaïlande ou à Singapour, des pays où les dirigeants nous ont ôté cette épineuse question du choix en politique. Des dictatures acceptables, tolérées par nous. Voilà où mène le nihilisme chez nous, dans un nulle part ailleurs. Sic transit gloria politica.
10:25 | Lien permanent | Commentaires (19)
Commentaires
"Hier soir lors d'un dîner, un ami aux convictions d'airain " : dîner sans doute très arrosé ?
Écrit par : --Johanna -- | 17/07/2016
"La samba est bien triste au Brésil et l'Argentine est en proie au même cauchemar"
En Argentine c'est plutôt le tango ; et en Autriche la valse dite viennoise; ici et là la marche militaire , parfois brutalement interrompue comme en Turquie .
Écrit par : --Barbara-- | 17/07/2016
Maurras , aujourd'hui déconsidéré , n'aurait pas dit mieux sur les limites et risques de la démocratie .
Quand au lendemain de la dernière guerre De Gaulle a ouvert le suffrage universel aux femmes , nombre de " bons républicains " disaient que cela ferait pencher l'électorat à droite et même pire.
Au 19è siècle , le suffrage " censitaire" écartait du vote les citoyens censés n'être pas assez " éclairés" .
Écrit par : --JC Jaurras -- | 17/07/2016
Diagnostic lucide , mais , comme disait le camarade Lénine , "Que faire ?"
Écrit par : --Père Synthèse-- | 17/07/2016
"lorsque les élites sont mondialisées, polyglottes "
On croirait lire Maurras ou Marine Le Pen ...
Écrit par : --Bernard Kouchtard-- | 17/07/2016
--Les élites " polyglottes " : je ne sais si Castor fait partie d'une "élite" ,mais il est à coup sûr " polyglotte";
il parsème ses articles de termes et de références anglo-saxons ...et son français diffère sensiblement de celui de Molière et des instits de naguère ...
Écrit par : --Jean-- | 17/07/2016
Castor , un maurrassien sans le savoir ; le vieux Charles doit s'étrangler de rire dans sa tombe ...
Écrit par : --Léo-- | 17/07/2016
Une dénonciation nihiliste du nihilisme : du Drieu la
Rochelle tout craché ; on sait comment finit le pauvre
Drieu ...
Écrit par : --Pierre Létat -- | 17/07/2016
--Sur le nihilisme , voir " Le nihilisme européen " de Frédéric
Nietzche ( en " 10 18 , excellente introduction par Angèle Kremer -Marietti , sous le titre " Que signifie le nihilisme?" Tout y est !)
Écrit par : --Mentor -- | 17/07/2016
A la charnière du 19è et du 20è siècles, le terme " nihiliste "
qualifiait un individu excessivement désenchanté , et /ou un anarchiste qui passait à l'acte ( par exemple en commettant un attentat ).
On peut penser que l'ami de Castor et d'une certaine façon peut-être Castor lui-même, appartiennent à la première catégorie , inoffensive ...
Écrit par : --Ravachol-- | 17/07/2016
"...les raisons d'un choix avancé sans désinvolture, que mon ami résuma ainsi : "je voudrais voir ce qui se passe. Voir des millions de fonctionnaires obligés d'appliquer une législation raciste. Nos institutions sont-elles à ce point fragiles qu'il suffirait de quelques énervés pour tout effondrer ?".
Le FN au pouvoir : hypothèse d'école , mais on peut jouer à se faire peur :politique ( -fiction) du pire .
Si, pour faire plaisir à l'ami de Castor, on retient cette hypothèse farfelue , il n'est pas certain que le FN fasse voter une "législation raciste "
Écrit par : Solon | 17/07/2016
Si la situation s'aggrave au point de devenir ingérable ( ce que l'on ne peut exclure ) , il est possible que , nonobstant l'absence actuelle de consensus national , le PS et l'opposition démocratique finissent par s'accorder , sans enthousiasme , contraints et forcés , sur une formule d'Union Nationale ( sans le FN et les populistes de gauche)
On se trouverait alors dans une configuration du type printemps 1958 , mais sans un De Gaulle , ce qui poserait un problème ...
Écrit par : -Mentor- | 17/07/2016
D'accord avec Solon et Mentor , deux sages ; pour ma part , je n'exclus pas , hélas , que la situation s'aggrave , et rapidement; mais on ne pourrait en rendre responsables nos dirigeants , qui font ce qu'ils peuvent .
Une formule d'Union Nationale permettrait peut-être de rendre plus efficace l'action des pouvoirs publics , mais , surtout , elle donnerait satisfaction à l'opinion tout en apaisant les inutiles polémiques actuelles , facteur de démoralisation.
Écrit par : -Bernard Kouchtard- | 17/07/2016
---Critiquer en des termes aussi excessifs le fonctionnement de la démocratie c'est l' affaiblir; deux précédents récents : les année 30 et les années 50 ; le " nihilisme " ( bien que ce terme ne s'applique pas à ces époques) , qu'il soit de droite ou de gauche, fait le lit de l'autoritarisme sous couvert de le redouter
L'ami de Castor est un dangereux farfelu ; et Castor ? accordons luii le bénéfice du doute ...
Écrit par : -Père Synthèse- | 17/07/2016
" Nos institutions sont-elles à ce point fragiles qu'il suffirait de quelques énervés pour tout effondrer ?" ( l'ami de Castor)
Par bonheur , elles ne sont pas" fragiles" ; on peut leur reprocher de manquer , sur certains points , de souplesse ( 49 /3 etc.)
Le farfelu du dîner trop arrosé craint ( ou souhaite ) un vote majoritaire pour le FN ; cela ferait un peu plus que " quelques énervés" ; un peu de logique , svp ...
Écrit par : -Léo- | 17/07/2016
Ceux que fascine le " nihilisme " sont , semble-t-il les " indignés" et autres populistes dits de gauche : des lapins devant le boa ...
Si le jeu démocratique ne leur permet pas de s'imposer , c'est que la démocratie fonctionne mal , ou pire que ce n'est pas une démocratie .
Écrit par : -Jean- | 17/07/2016
----Castor ne nous a jamais dit ce qu'est une vraie démocratie ; il doit pourtant bien en exister une ici ou là :le Venezuella ,Cuba? la Turquie ou l' Algérie ? Les USA certainement pas , ni davantage le Royaume-Uni qui vient de voter mal ...
La démocratie française , avec ses imperfections , n'est peut-être pas la plus mauvaise de toutes , mais il faut être un peu réaliste pour l'admettre ...
Écrit par : -JC Jaurras- | 18/07/2016
Le nihilisme : à la fois une maladie intellectuelle et morale et une mode ( ex : cet échange baroque au cours d'un dîner bien arrosé ).
Difficile à soigner car c'est une posture confortable qui dispense de penser .
Les nihilistes d'il y a un peu plus d'un siècle avaient un ego démesuré ( voir Les Justes" de Camus )
Écrit par : -Anne-Lise- | 18/07/2016
Si la psychanalyse échoue , on pourrait conseiller à Castor de lire ou relire quelques grands classiques : Montaigne, Voltaire , Diderot , Montesquieu , Tocqueville , Jaurès ,Alain , Camus ; conseil qui lui a déjà été donné , sans succès semble-t-il , hélas
Le préambule de la constitution de 46 , pris en compte dans celle de 58 n'est pas mal non plus ... Tout y est et c'est bien écrit .
Écrit par : -Père Synthèse - | 18/07/2016
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