26/12/2016
Le salaire brut est une donnée patronale, le "chiffre du chômage" aussi
En cette fin d'année, deux chiffres alimentent le débat politique : le nouveau niveau du SMIC et les derniers chiffres du chômage. Ce qui est frappant, dans les deux cas, outre ce qu'ils disent de l'état du pays, c'est la façon dont ils sont présentés. Plus précisément, le fait que nous reprenons sans cesse les mots des dominants sans même y prêter attention. A ce niveau là, il s'agit quasiment d'une reprise fidèle des "éléments de langage", sans y réfléchir tant nous nous sommes acculturés.
Concernant le SMIC, les flashs annonçant sa hausse sans "coup de pouce" donnent tous son montant brut. Pourquoi ? Parce que ça fait plus gros et que psychologiquement c'est confortable ? Les travailleurs touchant le SMIC (18% des travailleurs, tout de même) voient bien qu'ils ne touchent pas 9,76euros de l'heure pour ceux qui n'ont que des contrats quelques heures et encore moins 1480 euros qui arrivent sur leur compte en banque. Non, ça c'est le brut et il faut enlever 22% pour voir le chiffre intéressant. Non, mais sérieusement, qui pense à ce qu'il gagne en données brutes ? Présenter ces deux chiffres en mettant systématiquement le brut en premier, c'est devoir exposer l'ensemble des cotisations et autres mécanismes de solidarité justifiant la différence entre le brut et le net, mais généralement, vous avez été empêché dans votre tentative pédagogique avant même la 2ème ligne du bulletin de paie... 1/ Ca fait chier tout le monde. 2 / Tout le monde vous dira que c'est trop, et que c'est du hold-up et bla bla bla. Et puisque ce débat n'a pas lieu, par paresse, on se contente de biaiser, de glisser sémantiquement pour expliquer que la différence entre brut et net ce sont les "charges" patronales. A emprunter les mots de l'autre, on lui pique sa logique : un seul mot juste vous manque et tout est dénaturé.
Au Danemark où j'avais la chance de séjourner quelques jours, le contrat national passé entre tous est qu'il faut chérir le bien commun avec un projet collectif très ambitieux en termes de formation (les étudiants reçoivent 800 euros par mois pour poursuivre des études supérieures avec tranquillité d'esprit ; tous les chômeurs se voient proposés diverses formations pour travailler sur leur employabilité) d'éducation, de santé... Aussi, les impôts sont très élevés mais personne ne s'en offusque : la droite, y compris très libérale, arrivée aux affaires n'a pas touché à ces impôts et a tout juste esquissé une réforme du taux marginal. Le contrat collectif plus le prélèvement à la source sont les deux piliers de ce consentement : personne ne vous dit je gagne 40 000 couronnes (un peu plus de 5000 euros) bruts, mais je n'en touche que 25 000. Ils vous disent directement qu'ils en gagnent 22000 taxes et impôts inclus et n'en parlons plus. Espérons que la réforme de l'impôt à la source nous mène vers la même quiétude et la même sagesse par rapport au bien commun. Ca ne se fera pas en un jour, mais ça n'est pas impossible, à moyen terme.
L'autre chiffre, c'est donc celui du chômage. Celui de ce soir est donc bon. Tant mieux pour toutes les personnes qui ont, réellement, retrouvé un boulot. Mais quel boulot ? S'agit-il toujours de contrats CDI à temps plein, à 39 heures ? Hélas, non, ou à peine, à la marge. Nous ne comptons pas 31 800 personnes pleinement intégrées et autonomes économiquement grâce à leur travail de plus que le mois passé. Ca serait faribole. Si 87% des contrats de travail français sont des CDI, 92% des emplois crées ne relèvent pas de cette catégorie... Si jamais, par je ne sais quel miracle, nous arrivions à réduire le chômage massivement, ça ne pourrait être qu'à grands renforts de mini jobs. Aux Etats-Unis, où l'on nous incite souvent à regarder parce qu'ils seraient au "plein emploi", 94% des emplois crées depuis 10 ans sont des "alternative jobs" des mini emplois ultra précaires. 94%, pas vraiment un détail. 94% de bouts de chandelles, alors OK, "le chiffre" global baisse, mais on ne parle pas d'emplois qui permettent à ceux qui les occupent d'en vivre dignement. C'est là que le bât blesse. Le taux de chômage est dépassé pour évaluer ce qui fonctionne dans une société.
OK, après la grande crise de 1929 le taux de chômage a explosé et on pouvait donc lire une différence fondamentale avec les 30 glorieuses. Mais à y réfléchir la catastrophe en 1930 était-elle le taux de chômage ou le fait que les américains crevaient de faim, vivaient dans la rue, et que l'on ne pouvait plus payer les profs et les soignants ? Voilà le souci... Souvenons-nous du mot de Coluche : "on dit que les gens cherchent du boulot, c'est faux, de l'argent leur suffirait". Derrière ce très bon mot, le débat sur le revenu universel dont on veut nous priver : si on partageait équitablement les gains de productivité liés à la robotisation et la formation de masse, ceux qui bénéficieraient d'un revenu de base ne passeraient pas leur temps devant la télé comme le disent les détracteurs du projet mais se rendraient, pour une grande part, utile à la communauté, soit pour des raisons de pure générosité soit dans un système d'échange (je te donne 3kg de carottes que je cultive, tu me donnes 1h de cours de guitare) mais on s'y retrouverait. En ce sens, tout le monde aurait une occupation pour la communauté et tant pis si nous avions un taux de chômage de 40% car de toutes façons le volume horaire total de travail appelant une compensation financière, que ça soit salarial ou en facture ne cesse de diminue. En revanche, le volume total de richesses crées par ce travail augmente toujours, même faiblement mais il augmente, la question est uniquement celle de la redistribution.
Comme le salaire brut, le taux de chômage est devenu uniquement une donnée patronale, plus exactement un instrument du MEDEF pour contraindre les politiques à alléger le code du travail de sorte qu'ils puissent artificiellement faire baisser ce chiffre sans que cela ne change en rien la vie des concernés. Certes, le travail, en tant qu'occupation est essentiel. Cela vous procure de l'estime de vous, des buts, des perspectives. Mais on pourrait en faire de même avec des occupations pour la communauté. Car quelle estime trouvez-vous à être esclavagisé chez Amazon avec des horaires élastiques qui vous empêchent de voir votre famille et une paye trop famélique pour leur permettre une petite sortie au restaurant ou dans un parc d'attraction ? Pas à grand chose. Ces deux exemples à l'orée du grand barnum pour proposer une bonne résolution pour 2017 : cesser d'employer la langue de l'ennemi, elle nous invite à penser comme lui.
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