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30/04/2017

Plus que villes et champs : France qui vit et France qui meurt

Plus encore que la France du Oui" et du "Non" au référendum de 2005 sur la Constitution Européenne, la France du premier tour est vraiment fracturée territorialement entre centres villes, périphéries et campagnes. A Macron les premiers, Mélenchon les secondes et le Pen les troisièmes (et Fillon se glisse dans les interstices). L'analyse majoritaire synthétise cette coupure entre "gagnants" et "perdants" de la mondialisation. Ca n'est pas faux, mais ce disant, on euphémise la douleur et l'angoisse des seconds. Pour comprendre ce qu'ils ressentent et agir en conséquence, il faudrait plutôt parler de la France qui vit et celle qui meurt. Une alerte sémantique, quelque chose comme un coup de pied au cul qui fasse comprendre l'urgence. Quand Raffarin parlait des France du haut et du bas, ma foi, à part une certaine condescendance qui peut vous faire mépriser ceux qui s'estiment en haut, on n'entend pas un appel à aider ceux du bas. Or il le faut. 

Prenons l'emblème de la mondialisation triomphante, Paris. Quand Bertrand Delanoé se rengorge en disant qu'il a récupéré une ville de Paris où le FN faisait 15 à 20% en 2001 et que le parti d'extrême droite n'a pas dépassé 5% au premier tour de 2017 parce qu'il a mis des services publics et en a fait une ville socialement résiliente, il se trompe. Et il le sait, d'ailleurs. La ville a vu ses prix immobiliers tripler en 15 ans, et à 8 300 euros le m2 et un taux de chômage à 5%, le mécontentement est moins prégnant. Pour autant, on aurait tort de résumer l'absence du vote FN à une question de richesses. Dans certaines petites villes de l'est de la France, prospères, le FN lui aussi, prospère, sans que l'on ait envie de dire youp la boum. A Paris, le cosmopolitisme se passe sans (trop) de heurts, y compris dans les quartiers de l'est où les habitants de HLM voient débarquer des cadres moyens qui font flamber les prix des commerces de quartier. A Paris, ceux qui ont un peu moins savent qu'ils pourraient faire, demain. Le dynamisme, l'élan vital de la capitale les éloigne d'une spirale dépressive : à Paris on peut se former, trouver des -petits- boulots, il se passe des choses. Ca n'arase pas les inégalités, ça ne fait pas disparaître les injustices, mais on peut se projeter. La même chose à Lille, Lyon, Bordeaux, presque partout, les universités sont là, les grands travaux, les annonces de projets et l'afflux de nouveaux arrivants. Ca donne le moral, quand vous voyez cette noria créatrice, ce manège de nouveautés, vous vous dites qu'il y a bien un moment où vous arriverez à monter dedans. 

Les périphéries, elles, ont les transports pour les relier aux métropoles. Le flot d'opportunités ne leur est pas inaccessible. C'est plus dur, c'est moins riant au quotidien, mais il y a de l'espoir. Les banlieues rouges parisiennes de la petite ceinture voient leurs usines réaffectées, réhabilitées. Parfois en lofts, parfois en restaurants, parfois en "makers place". C'est Ivry la bobo, Fives près de Lille où la cité du textile est devenue un paradis de start uppers, Darwin sur la rive délaissée de la Garonne à Bordeaux et ainsi de suite à Lyon et Marseille où l'usine Lu de Nantes réinventée en lieu culturel. Dans tous ces lieux, Mélenchon cartonne avec son espérance en des lendemains rouges et verts. La encore, la France vit, se transforme, voit demain. Même l'usine PSA d'Aulnay sera transformée, peut être en potager ou en usine textile responsable.

La France de Le Pen ne voit pas de demain, elle se voit mourir et pense que tout le monde s'en fout. Dans un reportage au Monde, une anecdote résumait bien la mort de cette France, celle du "Edge" là où le réseau internet se fait rare. Des jeunes, mi hilares, mi désespérés montraient leur smartphone au journaliste avec leur profil Tinder "il n'y a personne". Quelle allégorie morbide... Mais parlante. 

Le grand malentendu vient d'un rapport à la destruction et à la transformation. La France de Macron idolâtre Schumpeter et sa destruction créatrice. Pour eux, dès que des emplois sont détruits, d'autres repousseront comme par magie. Plus de télégraphistes, vive les community managers. Et, objectivement, dans leurs centres villes, c'est ce qui se produit. Mais dans la France de le Pen, on sait bien que la destruction ne sera pas suivie d'une renaissance. Les boutiques qui ferment dans les petites villes ne sont pas remplacées. La rage des ouvriers de Whirlpool vient de là : il n'y aura rien pour eux. Amazon va bien ouvrir un entrepôt dans le coin, mais moins consommatrice de main d'oeuvre, avec des emplois moins payés et plus flexibles, avec des horaires impossibles... Tu parles d'une destinée.  Marine le Pen est arrivée en tête dans plus de 17 000 communes, contre un peu plus de 3 000 pour Macron, mais évidemment la taille d'icelles diverge. Et c'est à ces toutes ces villes qu'il faut adresser des signaux d'espoir : des réouvertures de transports de proximité, de structure de santé, d'écoles... Les réformes Sarkozy avec destruction d'hôpitaux, de casernes, de tribunaux ont dévitalisé certains territoires. Certaines villes comme Joigny ont pris les trois, une triple peine impossible à compenser en quelques années. Cela prendra des années pour inverser cette spirale d'inégalités territoriales folles. Alors autant s'y mettre...

De ce point de vue, la décision de Macron d'exempter la taxe d'habitation de 80% des français est une hérésie. Pour une ville riche, l'affaire sera quasi indolore, mais pour les petites villes, la crainte -fondée- d'une non compensation fait redouter le pire. Les habitants de ces villes sont lassés de promesses inopérantes, le pacte de responsabilité a baissé les dotations aux collectivités, après les réformes Sarkozy, cette raréfaction a encore retiré aux petites villes un peu de rêve. Pour la première fois depuis les années 80, il y a eu plus de fermetures de festivals culturels que de créations. Et là encore, Paris peut survivre à la mort de We Love Green ou Lyon au départ des Nuits Sonores, mais Belfort souffrirait trop de la perte des Eurockéennes, Cahraix de ses vieilles Charrues etc... Ces disparitions possibles seraient autant de morts symboliques. 

Dans le débat de l'entre deux tours, les concessions, les réactions et propositions de Macron seront scrutées. Tout le monde attend qu'il fasse un geste, qu'il comprenne la gravité de l'inégalité. A lui de nous montrer qu'il a compris qu'il ne devait pas aider les perdants de la mondialisation, mais plutôt réanimer une France au bord de l'apoplexie. 

 

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