08/07/2017
Violence sociale des villes et résultats électoraux : une autre lecture du progressisme
Elections américaines 2016, Brexit, présidentielle française 2017 : toutes ces cartes électorales ont en commun de faire ressortir une différence flagrante entre les villes et le reste des territoires. New York et San Francisco ont voté pour un inutile raz de marée Clinton, Londres voulait ardemment rester dans l'UE et Paris a offert un plébiscite stalinien à Macron. Cette réalité arithmétique est incontestable, mais la lecture qui en est généralement faite a de quoi interroger. On lit presque toujours que les villes incarnent "une société ouverte sur le monde, la mondialisation, les différences et la diversité, le progrès". En somme, si le monde entier était à l'image de Paris et autres mégapoles, nous irions vers une prospérité bienheureuse, pacifiste et épanouie.
Ce qui est trop souvent passé sous silence, en revanche, ce sont les conséquences électorales de la folle compétition des villes. Car si on dit que les villes sont plus propices à une opinion progressiste, on omet ce que le coût de vivre en ville fait peser sur les mentalités. La folle compétition, cette "lutte des places" qui se superpose à celle des classes induit des inflexions électorales sur certains sujets. Au moment du lancement de la première Nuit Blanche, on avait pu entendre le maire de Paris claironner "Si vous voulez dormir, allez vivre à Rodez". Il était fier de sa formule, Bertrand Delanöé, il avait l'inhumanité capitaliste moderne en bandoulière. Il ne voyait même pas ce qu'il y avait de violents pour les milliers de pauvres hères qui travaillent la nuit dans des conditions matérielles précaires pour permettre à ceux qui vivent bien de faire la vite et de faire tourner la machine à consommer sans discontinuer : le temps c'est de l'argent et dans ces conglomérats de richesses que sont les mégapoles, on ne doit pas lambiner sur la dépense et surtout la capacité à dépenser. Les magasins ouverts 24/24h et 7/7j, voilà le rêve moderne ! Forcément, tous ceux qui ne peuvent suivre le rythme des hamsters sous EPO que suivent les citadins, se déportent et explosent en vol. Ca, c'est assez bien documenté, ce que la gentrification impose d'homogénéisation sociale dans les villes : à 9 000 euros le M2 à l'achat, Paris devient une citadelle où les classes populaires ne peuvent rentrer qu'au compte gouttes et en guignant des strapontins, comprendre des chambres ou des studios.
Et pour ceux qui ont gagné, ceux qui restent au coeur de la ville, le coût de cette bataille les a marqués à vie. Ils ont développé une capacité naturelle à accepter les inégalités dont ils ne se rendent même plus compte. La violence du prix des loyers, de la garde des enfants, de la durée de transports ou du prix des loisirs (les places de concerts et spectacles dans les mégapoles affichent des courbes indécentes), la difficulté qu'il y a à pouvoir continuer le jeu vous rend moins solidaires. La première conséquence observée est la moins grande tolérance aux impôts directs : quand votre loyer vous semble déjà relever de la spoliation, l'impôt sur le revenu et les impôts locaux vous font grogner. Rien d'étonnant, alors, que le "ras le bol fiscal" touche d'abord les foyers les plus favorisés des centres urbains... Ajoutez à cela l'augmentation de tarifs progressifs pour nombre de services (crèches, cantines, activités sportives) et les classes moyennes supérieures ont l'impression d'être des moutons sans cesse tondus. Rien d'étonnant non plus à ce que les politiques municipales ne se focalisent pas, en termes de moyens, sur l'aide aux personnes les plus fragiles, mais cherchent à offrir davantage de services aux classes moyennes : si le Vélib' est d'un coût modique à l'abonnement, l'Autolib' profite surtout aux classes moyennes qui peuvent se payer l'abonnement, lequel reste en immense partie subventionné par la Mairie de Paris. Bolloré s'est engagé sur le contrat municipal à apurer les dettes jusqu'à un certain montant, plafond qui est enfoncé joyeusement et la riche municipalité parisienne corrige la différence pour une somme importante (certaines sources avaient avancé 180 millions d'euros par an. L'hôtel de ville n'a pas voulu commenté), somme qui, investie dans le logement social, dans l'aide aux migrants ou aux personnes seules permettrait de faire de Paris une ville plus solidaire. Ca n'est pas le choix qui est fait. Et ça n'est pas forcément une priorité pour les habitants, progressistes, peut être, mais pas solidaires pour autant. A Londres, à New York ou à Paris, la tolérance pour les différences d'orientation sexuelle, les différences ethniques ou religieuses sont beaucoup mieux acceptées qu'ailleurs. Mais les différences financières aussi, elles sont complètement banalisées. Le progressisme n'est pas un humanisme, en somme. Et les centres villes pas nécessairement des lieux si accueillants.
On ne vit pas bien dans les grandes villes, mais on n'a guère le choix : la profusion d'opportunités professionnelles fait que l'on s'y poussera de plus en plus, par choix ou à contrecoeur. Un des meilleurs indicateurs de ce désamour est la migration très importante des retraités qui choisissent le confort balnéaire, rural ou montagnard, sitôt qu'ils sont débarrassés des obligations professionnelles, les cheveux chenus partent vivre vingt années plus agréables ailleurs. Les villes ne sont pas accueillantes, non plus pour les migrants, pas assez solvables, qu'elles refoulent vers de lointaines périphéries. Enfin, emblème de l'imaginaire urbain, les créateurs et artistes. Eux aussi, de plus en plus désertent les villes par contrainte. De Paris au début du siècle dernier où ils vivaient la Bohème, les rapins et autres scribouillards avaient migré vers New York rendu abordable par la guerre du crack. Quand Big Apple a vu ses prix explosé, ils sont partis à Berlin et aujourd'hui, vers Cracovie. Ce, pour les plus internationaux, les plus mobiles, les plus libres, aussi. Mais pour les autres, c'est un exil de proximité. Les artistes parisiens ont franchi le périph pour Saint Ouen, Ivry et Montreuil, mais n'ont pu rivaliser avec l'arrivée de cadres moyens ont du migrer vers Vitry et maintenant Sevran.
Les villes sont devenues des espaces socialement homogènes, certes, mais politiquement aussi : des espaces d'acceptation, voire de résignation de la violence sociale du capitalisme moderne. Pour contrer cela, il faudra donc compter sur une remobilisation et un retour aux urnes de ceux qui sont privés de cette lutte des places. Pas le scénario le plus évident, mais l'histoire est jalonnée d'exploits inattendus.
16:20 | Lien permanent | Commentaires (19)
Commentaires
---"le coût de cette bataille les a marqué à vie".
MarquéS conviendrait mieux , en ville cmme aux champs ...
---"ont du migré " : dû migreR , SVP
---"Les villes sont devenus" uEs !
Écrit par : ... Pépé Castor ... | 08/07/2017
"Si vous voulez dormir, allez vivre à Rodez". Il était fier de sa formule, Bertrand Delanöé, il avait l'inhumanité capitaliste moderne en bandoulière."
-un socialiste , si j'ai bonne mémoire ....
Écrit par : ... Léo ... | 08/07/2017
"Les artistes parisiens ont franchi le périph pour Saint Ouen, Ivry et Montreuil," : bon débarras !
Écrit par : ... Séraphita ... | 08/07/2017
C'est tout de même à Paris qu'est née l'idéologie des Insoumis et autres petits marquis bobos et c'est Place de la République que se rassemble pour vivre la nuit debout ...
Écrit par : ... Euphémie ... | 08/07/2017
" Un des meilleurs indicateurs de ce désamour est la migration très importante des retraités qui choisissent le confort balnéaire, rural ou montagnard, sitôt qu'ils sont débarrassés des obligations professionnelles, les cheveux chenus partent vivre vingt années plus agréables ailleurs"
" cheveux chenus " : beaucoup de chauves aussi ...
Propos dépourvu de nuances que démentent les statistiques les plus récentes et les constatations que chacun peut faire en se déplaçant dans la France profonde dont Castor n'a qu'une connaissance livresque
Écrit par : ... Euphémie ... | 08/07/2017
Statistiques sur la "ville" : c'est , comme toujours , s'agissant de Castor , largement une question de mots ; il y a " ville " et "ville" ( démographie , sociologie , localisation ...)
Les statistiques peuvent être plus ou moins fines et ceux qui les interprètent sont rarement objectifs , notamment depuis la récente séquence électorale ; on les manipule pour étayer une thèse .
Écrit par : ... J Mentor ... | 09/07/2017
Pépé : merci, c'est corrigé !
Euphémie, Mentor : "il y a 3 façons de ne pas dire la vérité : les mensonges, les gros mensonges, les statistiques" (Mark Twain)
Écrit par : Castor | 09/07/2017
Merci , cher Castor , pour ce propos de Marc Twain que j'ajoute à ma collection déjà riche de citations .
On peut se demander si la " vérité " ," Pravda " en russe , n'est pas elle-même une forme de mensonge ...
Écrit par : ...J Mentor ... | 09/07/2017
Fautes corrigées : trois seulement , ce qui est peu pour un écrivain de cette génération sacrifiée .
Nul n'est impeccable , même chez les " chenus" ...
Écrit par : ...Pépé Castor ... | 09/07/2017
---> Castor : selon moi , les petits mensonges sont plus redoutables que les gros , parce que moins faciles à détecter .
Tous les confesseurs le savent ...
Écrit par : ...Euphémie ... | 09/07/2017
On ne ment jamais tant qu’avant les élections , pendant la guerre et après la chasse” ( Georges Clemenceau )
Un fin connaisseur, à la fois ( ou en même temps ) chasseur et élu .
Mais , porté au pouvoir en 1917 , il n'hésita pas à dire la vérité , toute la vérité au pays.
Écrit par : ...JC Jaurras ... | 09/07/2017
Je m'y mets moi aussi , bien qu'il commence à faire chaud :
”La parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée “
( Talleyrand)
-de Talleyrand aussi : “ Il y a une chose plus terrible que la calomnie , c’est la vérité “ .
Écrit par : ...Saint-Thèse ... | 09/07/2017
A mon tour :
-”Le mensonge est , comme le tabac et les allumettes , monopole d’état”
( Tristan Bernard)
Écrit par : ...Séraphita ... | 09/07/2017
Mon vieux poète post-surréaliste se pique au jeu , en dépit de la chaleur (1)
-” Les plus détestables mensonges sont ceux qui se rapprochent le plus de la vérité”
( André Gide )
(1) contre laquelle nous luttons , à cette heure , en entamant une bouteille de rosé bien frais ...
Écrit par : ...Sidonie ... | 09/07/2017
-“ La vérité , l’âpre vérité “
( propos qui attribué à DANTON mais dont il n’est pas prouvé qu’il l’ait prononcé ; Stendhal en fait l’épigraphe de son roman “ Le Rouge et le Noir” ) .
Écrit par : ...Ravachol... | 09/07/2017
-HANNA ARENDT et l'autosuggestion :
“ Dans le domaine politique, où le secret et la tromperie
délibérée ont toujours joué un rôle significatif, l’autosuggestion
représente le plus grand danger : le dupeur qui se dupe lui-
même perd tout contact, non seulement avec son public, mais
avec le monde réel, qui ne saurait manquer de le rattraper,
car son esprit peut s’en abstraire mais non pas son corps.”
---Commnentaire ; d'où la dangerosité des meetings , des manifs et des slogans si l'on n'y prend garde ...
Écrit par : ...J Mentor... | 09/07/2017
La prière est aussi une forme d'autosuggestion ; le " je crois" remplace le " je pense" ...
Écrit par : ..A T .. | 10/07/2017
Retour à la ville , sujet du texte de Castor :
BERNARD DE Clairvaux ( le futur Saint-Bernard) met en garde , au 12 ème siècle les étudiants qui commencent à peupler la Montagne Sainte-Geneviève à Paris:
"Fuyez du milieu de Babylone, fuyez et sauvez vos âmes" (il les adjure de se réfugier dans des monastères);
Mais à la même époque, un abbé, dans une lettre à un jeune disciple, porte Paris aux nues:
" tu as trouvé cette Jérusalem que tant désirent. C'est la demeure de David... du sage Salomon... la cité des belles-lettres"
( "La ville en France au Moyen âge ", ouvrage collectif sous la direction de Jacques LE GOFF, 1980)
Écrit par : ...Mimi Catho.. | 10/07/2017
---Je ne connais rien aux études statistiques et sociologiques sur les villes et je peux seulement parler de ce que constate autour de moi :
Notre commune ( 3 500 habitants recensés dont 1 600 dans notre modeste agglomération ) est plutôt agréable à vivre , assez bien dotée en services publics et en commerces .
Dans un rayon d'une trentaine de km , quelques localités de même taille , désertées par les services et les commerces et dont la population diminue lentement mais sûrement
A mon avis , ce qui tue les petites vllles , c'est l'installation d'hypermarchés , souvent en rase campagne .
Nous avons la chance de n'en avoir aucun à proximité ; une chance aidée par la politique avisée de notre maire qui s'est toujours battu pour que nous soyons épargnés par ce fléau .
Écrit par : ...Mémé Octogénie .... | 10/07/2017
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