25/06/2018
Généralisation des révoltes ou solidarité territoriale ?
"Nous n'avons le choix qu'entre la généralisation des révoltes ou la solidarité territoriale" écrit Jean Viard dans "une société si vivante" (l'Aube, 2018) sorte de radiographie française maladivement optimiste. Une maladie à s'inoculer volontairement, ces temps ci. Ce que nous dit le sociologue observateur du temps long, c'est que la mondialisation a en premier lieu fait exploser les inégalités territoriales, et ensuite les inégalités économiques. Les écarts salariaux, d'offres d'emplois, d'offres éducatives et culturelles et ainsi de suite ne sont que le reflet d'une concentration territoriale assez inédite par son ampleur et sa célérité. Et les territoires abandonnés, réellement ou éprouvant un sentiment d'abandon, n'en sont qu'au début des jacqueries si l'on n'y prête attention.
Viard écrit plus loin "ni Cameron, ni Rajoy, ni Clinton, ni XX n'ont pris la mesure de ces inégalités car eux mêmes viennent des mégapoles et les territoires en souffrance ne sont tout bonnement pas dans leur scope mental". C'est tellement juste. Les travaux de Laurent Davezies ("la crise qui vient, études sur les fractures territoriales") montrent que la France n'est évidemment pas exempte de cette métropolisation. Et ça risque de se poursuivre en pire.
Regardons à quelles surenchères les villes les plus enclavées des Etats-Unis en sont réduites : dans un article du Monde ce week-end intitulés "villes américaines offrent jobs désespérement" on lit, éberlués, le concours fiscal auquel se livre nombre de villes moyennes pour attirer et retenir des travailleurs et empêcher un exode massif vers les mégapoles. Nos bonus pour l'installation des médecins en zone rurale sont roupies de sansonnet, à côté. Là, on parle d'un tapis au casino, de la dernière chance de ses villes d'éviter de devenir des villes fantômes. Rester humains, en somme. Quand on sent une menace de cette envergure, la révolte est évidemment la seule issue. La révolte où la solidarité avec les métropoles riches qui abondent pour que d'autres territoires vivent. Vivent et rendent vivables le pays en baissant la pression foncière, la lutte des places insoutenables, dans les métropoles.
Cette logique de l'infra vers le supra se retrouve également à l'échelon supérieur, en Europe. Et pourrait entraîner des conséquences autrement plus fâcheuses qu'une démission de maire de banlieue oubliée (Sevran), une menace de grève de la fin ou un risque de banqueroute municipale. Prenons y garde car la nouvelle rhétorique des néo fascistes mêle parfaitement ces deux impératifs contradictoires de souveraineté et de solidarité pour prendre ce qui les arrange dans chaque camp.
Viktor Orban, dans un discours prononcé en hommage à Helmut Khol se montrait ainsi d'une habileté diabolique : il aime l'Europe qui donne des fonds, l'Europe qui protège des guerres commerciales et permet de menacer financièrement l'Afrique, les Etats-Unis ou tenir tête à la Chine. Il aime l'Europe qui facilite l'exportation de ses produits et accepte sa jeunesse sans emploi. Ca, il aime. Cette solidarité là lui va très bien. En revanche, sur les frontières, sur les choix de société concernant la religion ("l'islam n'aura jamais rien à voir avec le débat européen" répond-t-il à une question qui n'existait pas avant qu'il la soulève), sur les normes, le respect du pluralisme dans les médias et autres, il se révolte et fait jouer son droit des peuples à disposer d'eux mêmes. Et ça passe.
Les slovènes, les polonais ont obtenu les mêmes choses. Les autrichiens leur emboîtent le pas. Les italiens vont faire de même. Salvini est dangereux, il est inhumain, mais il n'est pas fou : il n'a aucune envie de quitter l'Europe. Il veut "juste" que l'Europe le laisse gérer ses flux migratoires comme il le veut en nous menaçant d'une révolte populaire si on obtempère pas. Quand on pense au poids démographique, financier, humain de l'Europe, les arrivées de migrants relèvent ni plus ni moins que du volontarisme solidaire. Il n'y a aucune question de faisabilité, de difficultés, ça c'est le discours des poujadistes. Lesquels gagnent la bataille de l'émotion, des images et du temps court. Acculé dans un coin comme un boxeur proche du KO, les dirigeants européens favorables à l'accueil (il y en a) n'osent plus répliquer. En 2015, Merkel avait dit "un migrant est productif au bout de 7 ans, un enfant, 25 ans". Camarades libéraux : soyez cohérents, soyez solidaires.
17:04 | Lien permanent | Commentaires (29)
Commentaires
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En Bretagne , la désertification des " territoires" est largement imputable aux habitants eux-mêmes qui , souvent , ont vendu leurs maisons aux " parisiens" et ne cessent de se plaindre de ne plus pouvoir se loger à des tarifs raisonnables .
Les commerçants qui se sont enrichis pendant les" 30 glorieuses" , ont , au lieu d'investir sur place , acheté des villas sur le littoral , pour y vivre à la façon des vacanciers venus des grandes villes .
Écrit par : Barbara | 26/06/2018
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Je confirme en ajoutant ceci : mes compatriotes des petites villes n'y font plus leurs courses et prennent leur voiture pour aller le faire dans des hypermarchés hors sol ou dans des localités mieux dotées en commerces .
Une sorte de suicide lent que l'on veut faire passer pour un assassinat .
Les " sociologues" experts en "désertification" marchent et même courent ..
Ceux qui ont été , sur le " temps long " , témoins de cette évolution ne sont pas dupes de ce discours relayé par les politiques .
Écrit par : J Mentor | 26/06/2018
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Barbara et Mentor , Bretons éclairés , connaissent la musique ...
Le thème des " territoires abandonnés " fait fureur en ce moment ; prétexte , pour les élus locaux à réclamer toujours plus subventions .
Quand il sait s'y prendre , le moindre hippy ( ça existe encore ici et là ) réussit à se faire offrir , clés en mains , une épicerie ou une boulangerie ."de proximité" qui ne subsistera qu'aux frais de la commune et dont se gausseront les clients ...
Écrit par : Jacques Aubin | 27/06/2018
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Plus DE subventions , svp cher Jacques .
Le commerce " de proximité " est désormais plus gratifiant que le rond-point fleuri et le ralentisseur qui ont enrichi les petits malins et fortement grevé le budget des communes .
Écrit par : Pépé Castor | 27/06/2018
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Deux innovations qui ont fortement contribué à la désertfication des " territoires" ;
- l'achat ( à crédit) d'équipements agricoles surdimensionnés ( le paysan sur roues se substituant au cultivateur traditionnel ) .
-la généralisation de l'automobile ( achetée à crédit) qui a poussé les habitants des villages et des petites ville à aller effectuer leurs achats ailleurs .
Écrit par : Barbara | 27/06/2018
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Les ruraux sur roues : à l'occasion d'un récent voyage dans ma commune d'origine , j'ai constaté que mes compatriotes ne marchaient plus guère ; seuls quelques vieux continuaient à se déplacer à pied , souvent au péril de leur vie .
Le nouveau plan d'urbanisme , préparé et mis en oeuvre à grands frais, privilégie la circulation et le stationnement des voitures au détriment de l'espace réservé aux piétons .
Écrit par : J Mentor | 27/06/2018
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Les inégalités entre territoires : pour les "sociologues " qui en dissertent savamment , comme pour Castor qui adhère à ce discours , toute différence est un facteur d'inégalité et de discrimination .
Le thèmes des " quartiers" ne faisant plus guère recette , on lui a substitué celui de la " fracture territoriale" qui est plus porteur en ce moment .
Écrit par : Johanna | 27/06/2018
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" Les Français ignorent la géographie " ; l'histoire aussi , d'ailleurs .
Écrit par : Léo | 27/06/2018
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La monumentale Histoire de France de Lavisse , aujourd'hui très décriée , s'ouvrait par un gros volume , assorti de cartes , consacré à la Géographie de la France
On y découvrait notamment que la France était constituée d'une multitude de " pays" qui se complétaient assez harmonieusement ( le terme "pays" est encore utilisé pour qualifier une entité administrative qui n'a souvent pas de rapport avec les
" pays" naturels )
Écrit par : JC Jaurras | 27/06/2018
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Le lien histoire- géographie : un thème cher à Michelet , que l'on ne peut qualifier de " réactionnaire" .
Pour lui , la géographie était,non une fatalité mais un facteur explicatif dont on ne pouvait faire fi .
Lien que souligne aussi Jacques Bainviile , lui royaliste et "réactionnaire" dans les premières pages de son Histoire de France .
Écrit par : Saint -Thèse | 27/06/2018
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A propos des inégalités et de la solidarité : j'ai pris des notes au cours de notre prof de philo sur "Liberté,,égalité , fraternité "
Selon lui , la liberté mal comprise ( libéralisme sauvage) aggrave les inégalités .
l'obsession de l'égalité à tout prix conduit à la négation de la liberté ( régimes communistes )
La fraternité qui s'incarne dans une solidarité concrète permet de prévenir et de corriger les dérives de la liberté sauvage et de l'égalité mal comprise .
Il ajoutait que la devise de la République tien la route , pour peu qu'on la comprenne bien .
Écrit par : Ado-Nice | 27/06/2018
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Vous avez , cher Ado-Nice , eu de la chance d'avoir un tel professeur .
Je me permets d'ajouter ceci à cette réflexion pleine de bon sens : la devise de la République , pour bien tenir la route , a besoin de s'appuyer sur un état vigoureux ( et , j'ose dire, centralisé ) et sur un civisme bien vivant .
Écrit par : Jacques Aubin | 27/06/2018
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Les inégalités économiques selon deux grands révolutionnaires :
ROBESPIERRE (avril 1791) :"Une excessive inégalité économique est la source de l’inégalité politique et de la destruction de la liberté. Vous n’avez rien fait pour la liberté si nos lois ne tendent pas à réduire graduellement l’extrême inégalité des fortunes".
JACQUE ROUX ( 1793) : "La liberté est une illusion si une classe d’hommes peut impunément en affamer une autre ; l’égalité est un leurre aussi longtemps que les riches... exercent le droit de vie et de mort sur leurs concitoyens. La République est un fantôme si... les trois quarts des citoyens ne peuvent payer les denrées sans verser des larmes"
Écrit par : Ravachol | 27/06/2018
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ça s'est mal terminé pour eux : Robespierre la guillotine, Jacques Roux le suicide pour y échapper .
Écrit par : Pol Lux | 28/06/2018
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Je me demande si la fracture la plus importante n'est pas celle qui existe entre d'une part la très grande majorité de la population, quelles que soient les catégories sociales et les sensibilités politiques et d'autre part les élites intellectuelles ( ou dit telles) et autres marchands de vent ( pub , com' , diverses professions parasitaires ) qui " savent " et " "pensent" juste et s'estiment donc fondés à faire le bien des autres .
Ainsi : les " populistes " russes de la fin du 19 ème siècle qui s'efforçaient d'éduquer le peuple malgré lui .
Plus loin de nous: les philosophes des lumières au 18 ème siècle
Écrit par : Euphémie | 28/06/2018
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" Elites", " marchands de vent " , " professions parasitaires" : ceux que Mentor et autres appellent les " petits marquis" .
Ceux de " gauche " et ceux de " droite" se ressemblent beaucoup, sans qu'ils s'en rendent compte ; pour éviter de parler de cette fracture qui existe entre eux et le peuple, ils en mettent une autre en avant , en fonction de la mode du moment ( sociale, territoriale ...)
Écrit par : Sidonie | 28/06/2018
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Si Castor tient parfois des propos qui l'apparentent aux "petits marquis ( nul n'est parfait) ) reconnaissons qu'il n'est pas un : il n'exerce pas une profession "parasitaire " et son " populisme" ne se réduit pas à une mode , il s'en faut de beaucoup.
Ses textes , aussi irritants qu'ils puisent être parfois , donnent toujours à penser ; il semble d'ailleurs en net progrès , qu'il s'agisse du fond ou de la forme .
Écrit par : J Mentor | 28/06/2018
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Castor en progrès : oui , incontestablement , tel ce sous-préfet nommé préfet de la Lozère , félicité et encouragé par son ministre en ces termes " Votre avenir est devant vous "
Ce fonctionnaire finit préfet de la région capitale après avoir administré nombre de département " crottés "
( terme utilisé , sous l' ancien régime pour qualifier les évêchés les plus pauvres , tel celui de Limoges )
Écrit par : Jacques Aubin | 28/06/2018
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Po-si-ti-vons ! ça ne peut que faire du bien à Castor , comme à nous tous d'ailleurs .
Par bonheur , il fait beau à Paris
Écrit par : Anna-Lisa | 29/06/2018
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Ce n'est pas drôle d'être un jeune quadra en ce moment .
Plus assez juvénile pour être insouciant , pas encore assez âgé pour avoir accédé à la sagesse .
Et Castor est particulièrement vulnérable parce qu'il s'efforce de comprendre ce qui se passe , effort que ne font pas la plupart des ceux de sa génération et des autres dont la mienne .
Écrit par : Mémé Octogénie | 29/06/2018
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" po-si-ti-vons !" , comme nous y invite Anna-Lisa .
Hier après-midi au Jardin , un vieil homme aussi déglingué que son accordéon , jouait du ...Piaf ,
Mon vénérable ami l'Académicien et moi nous lui avons donné 10 euro , 5 en souvenir d'Edith , 5 pour l'aider à s'offrir un instrument en meilleur état.
Écrit par : Rosa du Luxembourg | 29/06/2018
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J'espère que votre vieux musiciens achètera un accordéon d'occasion plutôt que neuf ; les instruments "modernes" produisent un son un peu métallique , comme les CD auxquels manque la patine des bons vieux disques 33 , 45 ou mieux 78 tours .
Écrit par : Sidonie | 29/06/2018
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Les airs des chansons de Piaf et de Ferré passent bien à l'accordéon ; celles de Brassens ( médiocre guitariste d'ailleurs ) moins.
Écrit par : Euphémie | 29/06/2018
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Sujet moins ludique : que vous inspire , chère Barbara et cher Mentor , la plaisanterie de Macron sur la " mafia bretonne" ?
Écrit par : Jacques Aubin | 29/06/2018
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Racisme mondain ! et il était inopportun d'évoquer une mafia , en présence du Saint-Père, lui à qui celle d'Italie donne du fil à retordre au Vatican et au-delà .
Écrit par : Barbara | 29/06/2018
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Il y a effectivement beaucoup de Bretons à Rome, des prêtres , des séminaristes et des religieuses en formation continue , dans divers instituts et couvents .
De là à parler de " mafia" ...C'est aussi débile que malveillant .
Si mafia il y a , elle est moins nocive que celle des petits courtisans de Macron qui peuplent l'Elysée et les cabinets ministériels .
Écrit par : J Mentor | 29/06/2018
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"Si mafia il y a , elle est moins nocive que celle des petits courtisans de Macron qui peuplent l'Elysée et les cabinets ministériels ."
Vous prenez soin , cher Mentor , de ne pas épingler les énarques , bien connus de vous pourtant...
Écrit par : Léo | 29/06/2018
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Mafia dont on surestime l'influence , cher Léo .
Macron ne s'entoure que d'énarques de top niveau et n'a que mépris pour les fantassins , dont je suis .
Écrit par : J Mentor | 29/06/2018
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Les " fantassins" se tapent le boulot , pour la plus grande gloire des " top niveau" .
Et on leur supprime ou rogne les rares avantages dont ils bénéficient .
Écrit par : Rond de cuir | 30/06/2018
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