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27/01/2019

Représentation, piège à cons ?

Cette semaine, nous avons franchi un cap dans l'incapacité à nous parler en France. Notre Président revisite Dustin Hoffman en mélangeant Marathon Man et le Voyage d'un Commis Voyageur pour parler aux six coins de l'hexagone. Hélas pour les maires et ceux des gilets jaunes pensant voir leurs doléances avancer et être sincèrement débattues, Macron fait preuve du sens de l'écoute de Rain Man et monologue avec contentement. Il en ressort qu'à peine débuté, et comme c'était prévisible, le grand barnum tient plus de la campagne bis avec simulacre de démocratie participative (comme au cours de l'hilarante "grande marche" de 2016) plus qu'une attitude unanimement attendue d'horizontalité temporaire. Pour espérer sortir des avancées constructives de ce grand débat là, il faut une forme de crédulité qu'on ne retrouve guère que dans la foi.

Cette même semaine, une figure médiatisée du mouvement des gilets jaunes a décrété que sa balbutiante notoriété lui donnait les ailes qui manquait à sa vie d'avant, avant d'enfiler son costume de super gilet jaunes avec comme super pouvoir le fait de devenir tête de liste aux européennes avec des sondages flatteurs. Dans la foulée de cette annonce, quelques soutiens, des encouragements d'autres gilets jaunes et beaucoup d'éditorialistes qui récupèrent une invitée fraîche et pimpante. Bonne cliente, télégénique (elle avait d'ailleurs été approchée par BFM pour devenir chroniqueuse, avant de recevoir des menaces de morts) Ingrid Levavasseur a tout pour représenter les gilets jaunes : mère célibataire, elle ne s'en sort pas en dépit de son travail d'aide-soignante. Elle incarne à la fois l'escroquerie de la méritocratie (si tu te donnes de la peine, si tu as le sens de l'effort, tu t'en sors) et le fait que notre système économique repose sur des calculs sans accident : revenus réguliers du couple pour rembourser l'emprunt ou payer le loyer et le reste. Or, dans un monde où la stabilité de l'emploi comme du couple s'effiloche, les accrocs au modèle parfait se multiplient. Quand on lit les portraits de gilets jaunes, la proportion de mère célibataire y est délirante. 

Et donc, avec toutes ces caractéristiques en faisant l'étendard parfait de la contestation sociale, ne se revendiquant d'aucuns courants, les griefs pleuvent déjà : "vendue, venue chercher son petit poste, création de la macronie, et des médias qui bien souvent sont les mêmes....". Sans même discuter le bien fondé de ces assertions, la célérité avec laquelle les gilets jaunes refusent toute forme de représentativité nous pousse à une abîme. Dans les deux cas (débat et liste) on s'étonne du manque de contre propositions : disrupter le grand débat national, faire du happening chez Hanouna, investir les mairies plus largement, faire imploser le site internet du grand débat, bref, prouver qu'ils ne sont pas dupes de l'opération d'enfumage élyséenne, mais réitérer le fait qu'ils ont d'autres revendications claires que "dégage" "RIC" (ce qui veut tout et rien dire) et "Macron et Castaner démission". Une grande enquête du Monde pointait hier le fait que les gilets jaunes sont plus précaires que la moyenne des français, votent moins et sont très sensibles aux services publics, à la lutte contre les inégalités et au rétablissement de l'ISF. Il est peu surprenant que vingt ou trente années de désengagement de la puissance publique créent un boulevard aux idées de gauche. Mais cette revendication sociale ne peut pas trouver une concrétisation au niveau élyséen. Remplacer "Macron le banquier" par "le peuple" ne peut marcher car, par essence, l'Elysée n'est pas fait pour représenter le peuple.

Un délégué du personnel ou de classe représente le personnel ou sa classe car il tire sa légitimité d'une élection où tout le monde le connaît, où il est forcé de prendre en compte leurs aspirations et revendications faute de quoi il sera vite renversé. Et c'est tant mieux. Car faute de représentation, nous devenons chèvre. Le mythe solutioniste de la Valley disant qu'on va réparer la démocratie grâce à internet est une fable. Les irakiens ont fait la queue des heures pour voter au péril de leur vie car ils voyaient dans leurs premières élections une vraie possibilité de changement. Notre scrutin européen de dans 4 mois sera boudé par une majorité de français qui n'ont pourtant que dix minutes à prendre, mais ils pensent que c'est toujours trop pour un vote inutile. Un vote en ligne ne changerait rien... Rosenvallon disait il y a peu que la démocratie c'est effectivement l'élaboration d'une décision par consensus mais aussi sa mise en application, raison pour laquelle on ne peut voter 3 000 fois par jour, sur tous les sujets, quand bien même on peut, techniquement, le faire. 

La représentativité ne viendra pas d'internet. Elle ne viendra pas d'en haut non plus, ni de la colère et du dégagisme. A Commercy, un groupe de gilets jaunes se revendiquant du municipalisme libertaire s'inscrit d'ailleurs à 100% dans cette filiation. Celle d'une remontada démocrate par la base. Ça peut paraître frustrant, trop lent, pas à la hauteur des enjeux. C'est pourtant la seule voie viable. "Il ne faut pas ériger son impatience en dogme" écrivait avec sagesse Lénine. Puisse le grand Vladimir inspirer ceux qui s'en réclament aujourd'hui et confondent l'urgence de l'âge de leurs artères avec l'urgence d'une révolution de palais. La représentation n'est pas, forcément, un piège à cons. 

 

19/01/2019

Le problématique succès de Brut avec les Gilets Jaunes

Face au succès colossal du média en ligne Brut, le rival Konbini s'est mis à couvrir les manifestations des samedis en jaune. La tâche s'annonce ardue pour égaler en popularité Rémy Buisine, journaliste de Brut et demi-Dieu parmi les gilets jaunes qui l'applaudissent à chaque fois qu'ils le voient, le félicitent, disent qu'il est magique et ainsi de suite. Et ce succès avéré (celui de Brut) est un vrai problème, si on y réfléchit un peu.

La popularité de Buisine s'explique, selon les soutiens des gilets par plusieurs qualités que les autres médias n'auraient pas : "il n'est pas planqué", "il dit la vérité sans montage". Fort de cette pureté originelle, Buisine déambule dans les cortèges où tous les gilets jaunes le reconnaissent, l'encouragent, et lui crient leur amour avant même qu'il ne tende son micro. Tant mieux pour lui, mais la liberté de la presse n'est pas grandie pour autant. Au contraire.

"Il n'est pas planqué", disent-ils. Mais, à chaque manifestation, de nombreux journalistes sont insultés, bousculés, tabassés, un certain nombre doivent recourir à des services de protection, sont menacés au seul titre qu'ils appartiennent à tel ou tel titre de presse avec des raccourcis grossiers sur "les médias" ou "les grands médias". Par essence, tous ces journalistes ne sont donc évidemment pas planqués non plus, ils n'ont juste pas la chance d'être Rémy Buisine et n'ont même pas le temps de poser une question ou de filmer quoi que ce soit que leurs logos ont eu sur les manifestants l'effet d'un foulard rouge sur un taureau. 

"Il dit la vérité sans montage", avancent-ils et là on se pince. Comme si filmer en direct, sans commentaire, était l'essence du journaliste. C'est bien évidemment l'inverse. On remet les choses dans un contexte, on pèse, on soupèse on va voir le camp d'en face. Or, Buisine, semaine après semaine ne contredit jamais ses interlocuteurs. Jamais. La semaine dernière, il donnait la parole à Fly Rider, Maxime Nicolle, porte-parole complotiste qui expliquait sa présence par "le fait qu'il y a trop de zones grises dans l'affaire Benalla, dont l'impunité est sans doute liée au fait qu'il est l'amant de Macron" (sic). Buisine ne rebondit pas, il enchaîne. Il n'a pas acquiescé, certes, mais il n'a pas contredit des propos grotesques, comme ceux qui suivirent sur l'immigration. Aujourd'hui, il a donné la parole à des manifestants qui disaient à nouveau littéralement n'importe quoi comme une femme disant "moi, je me bats pour le RIC ce qui implique de sortir de l'Europe car avoir des débats dans son pays implique de quitter l'Europe, malheureusement". Des faux grossiers tout droit sortis d'un tract d'Asselineau. Parlez en aux italiens qui ont le RIC (et un gouvernement de facho) et sont toujours dans l'Europe... Des exemples comme ça, j'en entends 10 par heure. Sur des manifestants qui pestent contre "les députés qui sont à 20 000 euros par mois", et autres âneries poujadistes sur un fantasmé train de vie de l'Etat, fantasme sur les collusions entre pouvoir politique et médias, pouvoir politique et judiciaire... Toutes choses qui ne sont pas des opinions, mais des faux grossiers. Buisine les valide gentiment. Ca interpelle, pour employer une litote.

Par ailleurs, sa caméra colle aux manifestants, il ne demande jamais aux riverains, aux travailleurs du week-end, aux forces de l'ordre, aux passants pas en jaune, ce qu'ils pensent de tout cela. En termes d'objectivité, ça rappelle les films de Leni Riefenstahl sur Hitler. Je ne dis pas que c'est du mauvais ciné, mais il faut reconnaître que c'est orienté et peu hostile au führer.

Le succès de Brut dans les manifs de gilets jaunes est problématique car il ne dit pas absolument pas la vérité, mais reprend mot pour mot ce que les manifestants veulent entendre. Le succès d'audience souligne d'autant plus le fait de boucles de communication fermées ce qui, par principe, n'augure pas d'une reprise des discussions. 

 

 

12/01/2019

Ethique et responsabilité : les folles inégalités public / privé

Neuf samedis de colère, neuf marches dans toute la France et notamment sur Paris, mais une seule et même cible : Emmanuel Macron. Au-delà figure du président, un nombre croissant de responsables publics sont visés : des préfets, députés, maires, tous accusés d’être « pourris », « corrompus », se « gavant » et étant « déconnectés ». A lire les revendications et les pancartes florissant en manifestation, l'alpha et l'omega de nos malheurs collectifs seraient dus aux responsables publics. 

Évidemment, dans un contexte de colère sociale très forte, le fait que celle qui doit conduire le grand débat national, Chantal Jouanno, refuse de le faire parce que sa rémunération cause problème et qu’elle craint d’énerver les participants, c’est remettre une pièce dans le bastringue. Surtout quand elle refuse de démissionner et qu’elle garde ses 15 000 euros par mois. Incompréhensible et dangereux. Comme la récente promotion d’Agnès Saal, pourtant reconnue coupable d’utilisation immodérée du taxi remboursé par fonds publics, pour elle et ses enfants. Le recasage de tel ou tel, les copinages et les renvois d’ascenseur, tout ceci est insane, malsain. Dans le contexte actuel, chaque révélation comme celle-ci, c’est un jerricane d’essence de plus sur le brasero social. Il faudra bien, un jour, que des responsables publics s’attaquent à cette impunité et fassent vraiment accepter une justice de bon sens pour mettre fin au deux poids, deux mesures : impossible d’être légitime pour sanctionner les automobilistes un peu pressés quand on s’absout soi même de pêchés bien plus graves. Evidemment, évidemment, 1000 fois évidemment, il y a toujours trop de passe-droits, de parachutes ouatés, de facilités pour quelques uns.  

Mais quid de la responsabilité des acteurs privés et de leur éthique ? Pourquoi ne sont-ils pas plus présents et visibles dans les manifestations de colère ? Dans les années 60 et 70, les élus publics abusaient bien plus qu’aujourd’hui des avantages (chauffeurs, appartements de fonction pour eux et leurs proches et moins proches, frais de bouche, d'essence...) et des largesses d’une comptabilité fluctuante (les valises de cash) et n’étaient pas menacés. Les grandes fortunes, si. Dans une logique de lutte des classes vive et de rapport de force permanent, les écarts de richesses 1 à 10 entre ouvriers et patrons paraissaient inacceptable et donnèrent lieu à des violences atroces. L’enlèvement du baron Empain, le plus réussi au milieu de nombreuses tentatives de racket de riches et l’assassinant du patron de Renault, Georges Besse. Alors, les patrons étaient vus comme des privilégiés déconnectés insupportables qu’on pouvait appeler à pendre (Serge July, Alain Geismar et moult autres en mai 68) sans créer trop d’émotion.

Dans les années 80, le récit a changé. Alors, on a fait des grands patrons les « conquérants », les « aventuriers », les « créateurs de richesses » et dans le même temps on célébrait le capitalisme artiste et l’explosion des rémunérations des stars. En trente ans, les écarts de salaire entre ouvriers et patrons du CAC 40 est passé de 1 à 30 à 1 à 400. 400 ! 1 à 132 pour le SBF 120, une large part du privé a vu ses émoluments exploser. Comme pour les cachets de star, de comiques aux youtubeurs, de joueurs de foot aux influenceurs. Je ne défends pas Jouanno, mais sa rémunération même très forte reste largement inférieure à ce que Mbappé doit au fisc puisqu’il gruge largement les impôts français comme l’ont montré dans un silence assourdissant, les footleaks. Sans parler des funérailles nationales, de la pompe jusqu'à la quasi dévotion à la mort de Johnny ou Charles Aznavour, lesquels ont beaucoup plus pillé le bien commun que les élus républicains... Tous ces furoncles du bien commun sont applaudis sans cesse et même plus, défendus. Défendus et toujours soutenus. Passez devant les salariés grévistes de Mc Do ou de Starbucks qui réclament des augmentations alors que les groupes font des profits gigantesques cachés dans des paradis fiscaux. Aucun soutien, plutôt de l'énervement de ne pas trouver son échoppe ouverte. Macron n'a qu'à faire payer à Mc Do et Starbucks ce qu'ils doivent. Encore et toujours, le roi thaumaturge responsable de l'alpha et l'omega de nos maux. 

 

Il y a quelque chose de follement anachronique dans la colère contre les responsables publics, aujourd’hui. Ça n’est pas et plus le sujet. Ca n'est plus le sujet général, ce qui n'excuse pas le cas particulier de Chantal Jouanno. Ce poujadisme perpétuel sur les responsables publics a une connaissance inévitable : l’abaissement de leur niveau. De plus en plus de travail et de pression d’une part, contre de moins en moins de prestige, de plus en plus de coups à prendre, moins de moyens et moins de faste, quel fou accepterait cette équation perdante sur toute la ligne ? Les responsables privés travaillent sans doute plus, certes, mais avec une explosion de leurs rémunérations pour le tout petit bout du haut, un pouvoir grisant lié à la taille des nouveaux groupes et une irresponsabilité juridique étale.

 

Je ne crois pas à la thèse de la disparition des « serviteurs de l’Etat ». Ils se sont juste déplacé. Naguère, ces serviteurs étaient issus des grands corps et grandes écoles et choisissaient le service de l’Etat plutôt que celui de l’entreprise. Les écarts de revenus et de conditions de travail sont devenus tels que pour la noblesse d’Etat, les allers/retours sont devenus la norme et une évidence : servir pour se servir. Deux ans conseiller économique public puis 10 ans dans une banque avec salaire décuplé. Certes, mais les médecins qui choisissent l’hôpital public plutôt que les cliniques privées sont des serviteurs de l’Etat, les profs qui restent dans les établissements plus compliqués aussi. Et ainsi de suite. Eux devraient être révérés, revalorisés, mis en avant. Ça n’est pas le cas. Ça nous aiderait à nous réconcilier avec ce service public sur lequel on tape si fort.  

Quant aux responsables à fustiger, il serait bon que cela soit désormais plus représentatif des ordres de grandeur. A quand, à côtés des pancartes « Jouanno rends l’argent » et « Macron démission », des centaines de pancartes « starbucks, le fisc veut pas deux cafés, il veut l’addition ! », « Mc Do, stop à la malfiscalité », « Carlos Goshn, rends TOUT l’argent », etc etc…  Le mantra de l'oncle Ben de Spiderman encore et toujours : with great power comes great responsabilities. Ceux qui font le plus défaut aujourd'hui ne sont pas ceux que nous vilipendons.