27/04/2019
Mouvement à perpétuité, tous SDF ?
Comme le démontre magistralement le philosophe Zygmunt Bauman dans l'éthique a-t-elle une chance dans un monde de consommateurs ?, le propre du capitalisme, c'est le mouvement. D'où le fait qu'il faille "impérativement" lancer un Iphone XI même quand tout le monde trouve le X trop cher et peu pratique, ou investir la 1/2 du PIB du Botswana pour avoir un téléphone portable pliable, dont la sortie a été repoussé car les écrans sont tous cassés en moins de 48h....
Le mouvement, c'est celui des marchandises, dont on s'assure avec une bourse des matières premières qu'elles enrichissent plus les investisseurs agricoles que les paysans pour faire en sorte que des aliments restent hyper abordables y compris après avoir parcouru des milliers de kilomètres et surtout bien moins chers que ceux élevés dans de bonnes conditions à la ferme d'à côté. Surtout, ne pas mettre de barrière à cela, ne pas enfreindre le mouvement.
Pour le mouvement des humains, barrières partout s'il s'agit de migrants, sauf ceux à fort pouvoir d'achats. On parle alors d'expatriés ou si ça n'est que pour quelques jours passés à dépenser, de touristes. Le tourisme n'existait pas en tant qu'industrie polluante, il y a encore quarante ans. Il représente désormais 8% des émissions de CO2 dans le monde. Si on peut se réjouir que la vague de honte aérienne des suédois ait eu un impact (-6% du trafic aérien), cela ne remet en rien des perspectives de doublement du trafic à horizon 20 ans car les indiens, les chinois, les nigérians, accèdent en masse au tourisme. Et là aussi, surtout pas de barrière en prévision, au contraire, les lignes low cost sont en train de gagner les longs courriers avec des Paris New York à 300 euros à peine.
Si tout va bien du côté du mouvement, la sédentarité est à la peine, elle. A cause de la spéculation sur les emplacements privilégiés finement radiographiée par Saskia Sassen dans "expulsions" essai où elle montre la brutalité du capitalisme pour s'accaparer les terres qu'il veut et en déloger les moins productifs et riches des habitants. Le sociologue Vincent de Gaulejac appelle ça "la lutte des places" et à Paris où le prix du m2 à l'achat dépasse les 10 000 euros et les 30 euros du m2, si vous n'avez pas hérité un appartement ou pu l'acheter ou il y a 30 ans et si vous n'êtes pas en HLM, Paris est une no go zone pour des raisons qui n'ont rien de sécuritaire... Et Paris n'est pas isolé, dans ce cas. A Bordeaux, l'arrivée du TGV a multiplié les prix par 2, à Nantes aussi, à Lille. Chaque fois, les centres villes étriqués ne peuvent accueillir les dizaines de milliers de nouveaux habitants qui se massent dans des banlieues toujours plus lointaines et plus mal desservies en transports en commun quand les centres villes sont de moins en moins garables. Vous la sentez la quadrature du cercle vicieux ?
Les optimistes observeront des initiatives (souvent publiques, d'ailleurs) où des employeurs tentent de lutter contre cela par nécessité : à San Francisco, certaines écoles offrent des logements aux profs qu'elles embauchent car ces derniers ne peuvent se loger dans la ville ; la mairie de Paris mène aussi des expérimentations de télétravail pour des fonctionnaires qui ont 100% de leurs tâches administratives et dont le niveau de rémunération les contraint à 4h de transport quotidien s'ils veulent venir dans la capitale. Tant mieux pour eux, mais ça ne suffira pas à endiguer la vague en faveur du mouvement et le peu de soutien à la sédentarité.
Chaque année, en discutant avec mes étudiants, je vois que leur budget serrés de jeunes alternants (autour du SMIC, donc) les repousse de plus en plus loin de Paris et les maintient de plus en plus chez leurs parents sans perspective de pouvoir se prendre un logement seul avant la trentaine. En revanche, je note qu'il leur est de plus en plus aisé d'aller passer des week-end partout en Europe et même des voyages exotiques avec le même budget.
Le mouvement perpétuel, c'est le marathon mortifère de on achève bien les chevaux, pas précisément un projet de société emballant. En somme, le mouvement ça fait du bien quand ça s'arrête avant qu'on soit tous morts et mis hors jeu.
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