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01/05/2019

Mesurer le progrès à l'aune d'Amazon

Aujourd'hui, on va sans doute causer violences, qu'elles soient des noirs blocks jaunes énervés ou bleus flics sur les nerfs. Le 1er mai et ses revendications de progrès des travailleurs passeront au second plan. Pourtant il y aurait matière à en parler en s'interrogeant sur l'entreprise qui symbolise au mieux la régression généralisée du sort des travailleurs : Amazon. Les derniers chiffres d'Amazon sont une bénédiction pour profs d'économies : 11,2 milliards de profits aux US, 0 dollars d'impôts fédéraux. Relisez calmement les chiffres. Cette bizarrerie, cette folie, cette inhumanité est liée à des coupes fiscales folles et à des cadeaux de toutes parts. Les villes se sont prosternées pour accueillir les locaux d'Amazon faisant des ristournes comme personne pour une entreprise peu solidaire de ces voisins : les amazoniens mangent dans les restaurants d'entreprises pour ne pas perdre de temps à sortir et le soir rentrent dans leurs pavillons hors ville. Leurs courses et achats divers, ils les achètent en ligne sans passer par les magasins. Ville morte et sans recette fiscale, un bien beau calcul. 

Le maire de Chartres a récemment refusé de signe l'implantation d'un entrepôt pour Amazon pour ces raisons. Il savait qu'il s'agissait d'un cadeau empoisonné, d'un cancer social à venir. Il a préféré le calme actuel plutôt qu'une déréliction certaine. Alexandria Ocasio Cortez a mené la fronde pour qu'Amazon ne s'implante dans le Queens pour éviter les mêmes conséquences néfastes. Gentrification pour trois cents cadres et le reste, pas d'impôt, mort des commerces avoisinants. Amazon, c'est le glyphosate du travail. 

Sur l'emploi, la firme néo Germinal dira qu'elle propose 15$ minimum pour ses salariés US voulant ainsi mettre en avant ses efforts sociaux. Occultant, ce qui n'est pas tout à fait un détail, que l'immense majorité des travailleurs d'Amazon ne sont pas des salariés. Trois livres montrent le caractère infâme et le retour en arrière sans précédent du travail version Amazon : "voyage en Amazonie" de Jean-Baptiste Malet relate son expérience personnelle en entrepôt et montre le flicage permanent, l'isolation de tous les travailleurs qui oeuvrent dans des conditions physiques et mentales extrêmes pour une paye de misère. Désormais, quand ils sont insuffisamment productifs, un algorithme interne informe ses travailleurs de leurs licenciement. Zola ne l'aurait pas osé. "Nomadland" de Jessica Bruder rappelle un autre point essentiel : le nomadisme d'Amazon qui propose des missions précaires, ponctuelles, flottantes, avec des grappes de travailleurs qui se meuvent comme des essaims d'abeilles et vont butiner là où les appellent. Pas exactement le genre de mission qui aide à se fixer, d'ailleurs Bruder montre que l'écrasante majorité de ses travailleurs sont SDF ou vivant en mobile homes pour les plus fortunés. Youpi. Enfin les travaux d'Antonio Casili sur le digital labor montrent l'armée des morts d'Amazon, des tâcherons du clic qui remplacent les machines car elles coûtent moins cher qu'elles... 

En vingt ans, Amazon a contribué a grandement dérégulé l'emploi et les lois comme celle de l'auto-entrepeneur en France on accompagné cette pente de repli social inouï. Pour autant, ce modèle ne fait pas que des perdants. En vingt ans, la fortune de Jeff Bezos a dépassé les 100 milliards d'euros. 100 milliards d'euros. L'équivalent du PNB d'un pays comme la Serbie, avec 9 millions d'habitants ou du Ghana avec 30 millions d'habitants plus pauvres. L'épouse de Jeff Bezos, actionnaire importante d'Amazon va obtenir entre 30 et 40 milliards de son divorce quand les licenciés de l'entreprise en un clic n'ont que leurs yeux pour pleurer. 

Orwell écrivait "quand on me présente quelque chose comme un progrès, je me demande avant tout s'il nous rend plus humains ou moins humains". Il faut mesurer le progrès à l'aune du modèle Amazon et la réponse à l'interrogation d'Orwell ne fait pas de doute : on avance, certes, mais pas dans la bonne direction.