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16/04/2020

Et l'info publique, quoi qu'il en coûte ?

Comme l'écrivait l'historien américain Timothy Snyder dans "de la tyrannie" : "Nous jugeons naturel de payer un plombier ou un mécanicien, mais nous réclamons la gratuité de l'information. Pourquoi former notre jugement politique sur la base d'un investissement zéro ? Nous recevons ce que nous payons".

Cette maxime essentielle est trop peu partagée et nous en payons collectivement le prix avec l'élection des favoris de Fox News, ou de BFM. L'info offerte par des pubs pour les SUV, les téléphones portables, les voyagistes et les chips au paprika vaut ce que valent ces produits...

Les propriétaires de Fox News et BFM (Rupert Murdoch et Patrick Drahi) placent leurs hommes de confiance à la tête des rédactions et rares sont les journalistes qui peuvent y produire de la qualité et de la critique. Ces chaînes sont conçues pour matraquer une ligne et pas donner de l'info. Dans l'excellente série "The loudest voice" on voit comment Roger Hailes, ex conseiller de Nixon, Reagan et Bush père, fera de Fox News une machine de guerre, d'abord anti-Obama puis pro-Trump. Les voix modérées, tentant de lutter à l'intérieur, sont balayées, virées. Les médias financés par la pub sont hélas ultra dominants et le marché du journalisme ayant depuis des années beaucoup plus de demandes que d'offres, vous avez nécessairement des journalistes de qualité dans ces chaînes, mais pas tout en haut. Et le fonctionnement pyramidal de ces médias implique qu'ils et elles ne pèsent pas sur la ligne. 

Tout le monde ne peut pas payer pour de l'info de qualité, c'est vrai. Mais il y a aussi une hiérarchie des besoins. Je connais nombre de foyers où l'on combine l'abonnement à Netflix et Canal, mais rechigne à verser le moindre écot à des entreprises de presse. Nombre de ces bonnes âmes qui m'envoient des messages privés pour me demander de leur copier/coller des articles de Médiapart ou du Monde qui, bizarrement, suscitent plus d'intérêt que les télés citées précédemment où les tribunes du Huff Post... Le débat sur le coût de l'information est trop biaisé, comme pour l'alimentation. Ça n'est pas un "luxe de bobo" mais une exigence vis à vis de soi qu'on ne met pas dans des babioles et gadgets dont tout le monde se passe totalement depuis un mois et pourtant le monde tourne. La qualité, ça se paye. Soit directement, avec l'abonnement, soit collectivement avec une redevance pour offrir à ceux qui ne le peuvent pas, une info de qualité.

Ce matin, France Inter a vécu un gros moment de dissonance cognitive : à 7h15, un billet rappelait qu'aux US, le biais financier vis à vis de l'info crée des inégalités gigantesques. Les médias payants donnent accès à de longues enquêtes, du décryptage, la parole aux médecins et scientifiques. Les médias gratuits répandent des fake news grossières (le coronavrius est une invention des lobbys xxx) ou de fake news socialement acceptables (les propos de Trump différents à 180° de la veille à chaque fois). Les États-Unis ont un pôle de média public famélique en poids même si de grande qualité (NPR), l'avis de nombre d'américains sur la gestion de la crise est donc conditionné par l'argent qu'ils investissent pour s'informer. Peu rassurant...

A contrario, nous avons en France la chance d'avoir un pôle public conséquent, puissant, couvrant tous les domaines avec des rédactions importantes. L'information de qualité à un coût et notamment un coût humain. Les petites rédactions, aussi talentueuses soient-elles, informent moins globalement. Mediapart excelle dans l'investigation, a d'excellentes analyses sociales et économiques, mais ses pages internationales sont plus que minimales, comme les pages société. Il faut du peuple pour parler aux foules et vice versa. On a tout ça, chez Radio France. Et le public suit, les audiences sont au zénith et en pleine crise, les antennes se mobilisent pour continuer à démultiplier les formats plus longs en donnant beaucoup (trop... mais personne n'est parfait) la parole aux auditeurs pour calmer les angoisses, souvent liées à des infos non vérifiées lues ailleurs.

A 8h20, Nicolas Demorand recevait un ficus au sujet duquel on me glisse dans l'oreillette qu'il serait aussi ministre de la Culture et de la communication. Vérification faite, et aussi étonnant que ça soit, il semblerait bien que ce Franck Riester est bien la personne en charge de mener la réforme de l'audiovisuel public. Et alors même que Demorand avait tous les arguments dans les mains à 7h15 pour dire l'absolue supériorité d'un modèle français permettant à ceux qui ne payent pas d'infos d'être bien informés et d'échapper aux avalanches de conneries, il ne le dit pas. Il ne dit pas qu'on ne peut pas faire plus avec moins. Qu'on ne fera pas aussi bien avec 300 postes en moins. Et que le "quoi qu'il en coûte" de Macron vaut aussi, évidemment, pour l'info publique de qualité.

 

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