10/01/2021
Confier la réforme des retraites à une Assemblée tirée au sort
Au fond, soumettre un dossier aussi technique, épineux, scientifique, que la vaccination à une assemblée tirée au sort, c'était sans doute la meilleure manière de discréditer une idée si puissante et neuve qu'elle dérange le pouvoir. Le niveau de technicité scientifique minimum nécéssaire pour se positionner sur une question pareille exclut de facto qu'une assemblée tirée au sort, donc sans qualification préalable, puisse répondre de façon intelligente en temps réel. Nombre de personnes associeront mécaniquement ce fiasco à celui de la Convention citoyenne pour le climat, pourtant illustration la plus éclatante des mérites du dispositif.
En formant au préalable les 150 citoyen.nes tiré.es au sort et en leur donnant le temps d'une délibération éclairée, on voit bien que tout à chacun peut produire des propositions largement aussi fortes que les professionnel.les de l'Assemblée Nationale. Moratoire sur la 5G, taxe sur les dividendes, arrêts de liaisons aériennes, limitations à 110km/h sur les autoroutes, les 150 avaient formulé des idées fortes et efficaces, c'est le pouvoir qui les a mis à la poubelle et ne propose qu'un très vague ersatz de leurs idées dans la loi climat votée actuellement. Pour autant, il faut prendre le tirage au sort au sérieux.
C'est ce que fait la chercheuse à Yale et autrice de "Open democracy" Hélène Landemore. Elle rappelle que ce processus, outre la réécriture de la Constitution par les islandai.ses est à l'origine de la loi en faveur de l'avortement et du mariage gay en Irlande. En Irlande, putain. La conservatrice ultra catholique ultra réac Irlande a fait passer le mariage pour tous et l'avortement sans heurts, sans manif monstres, sans coup de pression. Ce, après avoir mis des citoyen.nes lambda autour d'une table, que chacun.e puisse écouter l'autre et, en l'espèce, convenir de la nullité des arguments visant à prendre des décisions pour les femmes à leur place ou à limiter le mariage aux seuls hétéros. Ça marche.
En entendant Bruno Le Maire comme Le Medef vouloir remettre leur réforme des retraites à l'étude, je me dis qu'il serait vraiment urgent de confier ce projet de texte à une assemblée tirée au sort. Au fond, depuis la réforme de 1982 où l'on avait décidé que 60 ans constituait un horizon de vie acceptable pour entrer dans l'âge de la retraite, toutes les réformes qui se sont succédées sont si prévisibles qu'un algo aurait fait gagner beaucoup de temps. Toutes, toutes, toutes, prennent comme point d'entrée : il faut travailler et cotiser plus longtemps. Toutes. Quand bien même l'espérance de vie en bonne santé stagne voire régresse dans certaines catégories sociales, que les inégalités de santé ont explosé en fonction des milieux et que la pénibilité a pris des tas de nouvelles formes. Jamais ces points nodaux et centraux ne sont mis au coeur du dispositif, au coeur de la grande réforme qui proposerait des retraites différentes.
Et au fond qu'ielles soient de gauche ou de droite, toutes et tous les élu.es de l'Assemblée, toutes et tous les ministres et conseiller.es qui planchent sur ces questions ont un dénominateur commun : aucune envie d'arrêter de bosser à 60 ans. J'ai croisé tant de dirigeant.es politiques, d'entreprises et aussi associatifs, tétanisé.es à l'idée de cesser leur activité. Sur la dernière, Jean-Paul Delevoye cumulait encore 6 activités à 72 ans... Pas le mieux placé pour comprendre ce qu'est la pénibilité au travail. Et il ne faut pas "comprendre" au sens intellectuel ce qu'est cette pénibilité, il faut le vivre dans sa chair et son esprit pour mieux en parler. Ce qui ne sera jamais le cas des élu.es. Il faut juste avoir l'humilité de reconnaître le fossé entre les commentateurs et les acteurs de la pénibilité au travail. Personnellement, j'adore ce que je fais et si je reste dans la forme étincelante qui est la mienne, j'espère continuer très longtemps, sans m'accrocher comme un Elkabbach momifié, mais sans prêter plus d'attention que cela à ce que dit ma date de naissance. Mais je me garde bien de faire de mon cas une généralité. Or, dans nombre de cénacles patronaux, on combat le nom même de "pénibilité", en arguant que le travail est une joie et une libération. On voit bien que celles et ceux qui disent cela n'ont jamais bossé une matinée en entrepôt Amazon, en EHPAD, en soins à domicile, en usine, en call centers, ad tristitude...
Dans "le salaire de la peine" la psychopraticienne et consultante en entreprise Sylvaine Perragin raconte son quotidien où elle voit la souffrance au travail exploser. Elle montre comment le secteur tertiaire, naguère préservé, est désormais rempli d'employé.es à qui il faut impérativement permettre de partir en avance. Ce qui permettra aussi de faire rentrer plus de jeunes sur le marché du travail où d'autres séniors, puisque la France continue à avoir un taux d'emplois des plus de 55 ans très bas. Jamais ces décisions ne viendront d'une Assemblée professionnelle. Lors du dernier examen, stoppé par le Covid, on avait plutôt proposer de façon vomitive et à l'évidence non démocratique, de sortir celles et ceux qui gagnent plus de 10 000 euros par mois de la contribution universelle au régime. Une petite mesure bien spécifique au à peine 1% que jamais ô grand jamais une assemblée tirée au sort à la proportionnelle n'aurait votée. Qu'un.e cadre supérieur de chez Danone ou BNP ait tenté de plaider sa cause, soit, mais ça ne serait jamais passé. Des mesures impliquant des âges de départ vraiment différent en fonction de la pénibilité, des parcours permettant vraiment des temps partiels dès 55 ans avec possibilité de mentorat, des choses qui sont en germes, mais jamais universalisées, tout cela passerait crème si on les laissait les premier.es concerné.es plaider leur cause. Chiche ?
16:38 | Lien permanent | Commentaires (0)
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