23/09/2015
School Business
C'est un livre dont on comprend vite que la lecture est salutaire. Salutaire, mais douloureux, pénible, écorchant. L'auteur nous dit des choses que l'on sait. Un peu. Que l'on devine, souvent. Que l'on pressent, mais par bribes, par fragments diffus. Voir toute cette réalité effrayante rassemblée dans une enquête compacte à de quoi nous alarmer, pour le coup.
L'auteur, prof dans un des lycées les plus huppés de la capitale a pu constater l'inégalité grandissante à l'oeuvre. Pas l'inégalité de capital culturel si bien décrite par Bourdieu, depuis la "Reproduction" jusque dans "La distinction", ces jugements, codes et sélections si françaises qu'elles profitent au biens nés. Non, car cette sélection profitent encore beaucoup aux enfants de profs, de classes moyennes économiquement et supérieures intellectuellement. Là, ce qui est à l'oeuvre, c'est une américanisation d'un système scolaire qui n'est pas conçu comme cela. Explosion des frais de scolarité dans des écoles, mises en avant d'école contournant les grandes écoles de commerce et d'ingénieur mais tenant de prétendre au même niveau (sans la sélection par les prépas, qu'on l'aime ou non il est spécieux de considérer que cela n'influe en rien sur le niveau des élèves qui bûchent sacrément pendant ces deux années). Ca c'est connu. Plus dérangeant, la marchandisation de tas de disciplines telles que la médecine, les dentistes, mais aussi les pilotes de ligne et même le droit... Des petits margoulins se glissent dans les méandres du droit européen pour gaver les petits français de diplômes reconnus "partout en Europe" mais au niveau incertain moyennant beaucoup beaucoup beaucoup d'argent...
Les sommes dépensés par les parents, voir par les étudiants eux mêmes se saignant, donnent la berlue. L'autre point terrible dans cette enquête c'est la précocité galopante de ces dépenses : dès la maternelle avec des nounous, bilingues, trilingues. Des renforcements et cours privés dès le primaire, dès la première baisse d'un point dans une matière.... Et même des coachs privés pour aider à passer les examens, aider les jeunes à savoir s'orienter ou encore, moyennant 200 euros de l'heure, apprendre à poser sa voix... Pauvres mômes...
Ce système à montré sa faillite aux Etats-Unis avec une dette étudiante qui rattrapera bientôt le total de la dette française. Avec des endettés américains de 40, voir 50 ans, obligés de bosser pour le plus cher possible. Obligés, du coup, comme des bizuts imbéciles, de faire peser sur d'autre ce fardeau initial et injuste. Ainsi des dentistes qui reportent sur la douloureuse le coût de leurs études... C'est absurde, ça arrive chez nous et on peut encore l'empêcher. Merci à Arnaud Parienty d'avoir joué les lanceurs d'alerte.
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15/09/2015
Une gauche raisonnable dans une époque qui ne l'est pas
Les éditorialistes n'ont pas profité de leurs vacances d'été pour changer de vision du monde. La crise boursière en Chine, la récession au Japon et au Brésil, la croissance américaine qui ne crée pas d'emplois, tout cela ne les a pas détourné de leur obsession : il faut réduire les déficits publics pour relancer la croissance. Et donc, mobiliser en cela des partis "réalistes", des gauches "raisonnables", des gauches de droite, quoi.
Nos amis publicistes, de Leparmentier à Beytout, clament que toute voix dissonante à la BCE, toute voix à gauche de Junker ou de Macron, n'est pas réaliste. Depuis deux ans, les électeurs les détrompent à chaque fois, avec Podemos, Syriza, le SNP, et désormais Corbyn. A chaque fois, le verdict est le même : pauvres électeurs, ils ne comprennent pas l'erreur qu'ils viennent de commettre. Ils ont voté pour le pire. Jamais nos amis libellistes ne se posent la question des racines de ces votes. Peut être que les jobs à 0 heures au Royaume Uni, à 1 euro en Allemagne, la loi Macron chez nous, tous détricotages de notre modèle social, de nos conceptions de l'Etat social, toutes mesures absolument inassociables à autre chose qu'à Reagan, toutes ces mesures ont fini par désespérer la gauche. Qui veut tourner le dos et tuer la social libéralisme, cet oxymore abscon politiquement et pourtant toujours fièrement arboré.
Ce qui est intéressant, dans l'opposition rhétorique des Chiens de Garde, c'est qu'ils anglent tous leurs attaques sur les questions identitaires. Forcément, leur doctrine économique et sociale est si émolliente, si évanescente, qu'ils n'ont rien à opposer fors un chimérique "pas réaliste" qui passe de moins en moins dans l'opinion publique. Alors, on exhibe un tweet antisémite d'un conseiller de Podemos, un ami peu fréquentable de Tsipras et désormais des soutiens trop ouvertement pro palestiniens de Corbyn. Comprenez par là, des amis pareils sont forcément symboliques d'une décadence morale et donc politique de ces partis. Personnellement, je ne connais pas lesdits conseillers, lesdits soutiens, mais je m'amuse de les voir exhumer à chaque fois par des chroniqueurs tout à coup pugnace. Que ne mettent-ils cette énergie investigatrice à disserter sur les raisons d'un désamour profond et durable entre les électeurs européens et les "progressistes", ce faux nez d'une droite honteuse. Well done Corbyn, quand on voit l'indécence de la City, on comprend que c'est ton heure. D'ailleurs, il ne s'est même pas présenté mais a été poussé par ses camarades qui ont estimé que son programme de lutte contre l'hyperprofit incarne l'époque. Espérons que cette lucidité se répandra bientôt dans la presse.
07:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
13/09/2015
Les votes de fatigue ne remettent pas en forme
Nous savons que nous traversons, politiquement, une période d'entre deux, mais bien malin qui peut dire combien de temps elle durera et ce qui en ressortira. Dans son livre sur "le bon gouvernement", Rosenvallon rappelle que l'acmé de l'antiparlementarisme avait ravivé les fantasmes d'un gouvernement technocratique, (revenu récemment en l'Italie et en Grèce), avant d'être balayé par la première guerre mondiale. L'actuelle crise ravive les mêmes fantasmes, mais pas seulement. Car la technocratie est trop étroitement associée au modèle qui se casse la gueule. Le capitalisme libéral, sans entrave et sans contrôle est une faillite. La croissance mondiale ne reviendra pas et l'accroissement des inégalités finira dans le sang si elle n'est pas combattue dans les parlements... Et encore faudrait-il que la planète tienne, en attendant ; chose impossible avec notre consommation actuelle.
A l'évidence, il y a quelque chose de pourri dans les royaumes occidentaux. La question est : combien de temps pour s'en rendre compte ? Combien de temps avant que les tenants et les acteurs des dérégulations actuelles ne rendent les armes et acceptent de passer au partage. Au sein de peuples, la colère finit enfin par se traduire dans les urnes. Syriza, d'abord, puis Podemos qui s'empare des grandes villes. Si la France reste étrangement hermétique à cela, les anglo-saxons bougent. L'élection de Corbyn hier, à la tête du Labour doit d'ailleurs être lue comme cela. Comme celui qui s'attaquera le plus violemment à la City, pas pour son programme. Aux Etats-Unis, sans moyens mais pas sans convictions, Bernie Sanders mort les mollets d'Hillary Clinton. Dans les deux cas, on parle de politiciens de carrière, là depuis 30 ans. Ce n'est pas leur discours qui a changé, mais les attentes des électeurs qui se sont lassés de fausses alternances progressistes, avec Blair ou Obama. L'exigence de radicalité monte, mais se heurte pour l'heure à la modestie des moyens dont dispose ceux qui l'incarnent. Ni la Grèce ni l'Espagne ne peuvent mettre en place ce qu'ils voudraient, ayant contracté trop de dettes dans un système qui n'est pas le leur. Il faudrait que des plus grands leur face la courte échelle politique, mais ni la France, ni l'Allemagne ou l'Angleterre n'ont bouger. Du coup, la désillusion se répand sur croyance dans une radicalité possible. Pour raviver la flamme de l'espérance, il faudrait donc qu'un très gros changement s'opère. Pour faire en sorte que les votes de fatigue ne se muent pas en fatigue générale.
14:07 | Lien permanent | Commentaires (2)