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11/04/2017

Les Marcheurs, ces nouveaux Footix

footix-600x356.pngLa France compte 65 millions de sélectionneurs de l'équipe de France de foot et 65 millions de commentateurs politiques. Truffaut ajoutait que tous les français avaient deux métiers - le leur et critique de ciné-, mais cette époque est révolue, sic transit Netflix mundi. C'est ainsi dans notre histoire, aux tables des cafés on refait le monde, les matchs et les élections depuis des lustres. L'expérience démocratique est dans le débat et de ce point de vue, nous sommes un peuple politique. Il n'y a pas de hiérarchie, mais des avis plus instruits que d'autres. Non pas qu'ils l'emportent, tout le monde se plantera dans les pronostics (la glorieuse incertitude du sport n'est pas sans rappeler celle des élections et d'ailleurs à la fin, c'est l'Allemagne qui gagne), mais on écoute les sages.

Ainsi en foot, on écoute les experts nous expliquer doctement pourquoi la France va perdre avec thèse antithèse prothèse et autres arguments statistiques. Après le match, les mêmes nous détaillent avec une mauvaise foi confondante pourquoi il est logique que la France ait gagné (ou vice-versa). Les experts ne demandent pas de privilège, juste un surcroît de temps parole pour gloser sur la glorieuse incertitude du sport. Ledit surcroît est légitimé par leurs connaissances des règles, des évolutions techniques et tactiques... Et tout va bien. Sauf que le marketing forcené du foot et l'événementialisation à outrance des grands événements à amené des nouveaux supporters qui perturbent ce bel ordonnancement : les Footix. Comme la mascotte du mondial, les Footix sont des supporters inventés pour les grands messes, sortis de nulle part et marketés. Dotés d'un bon pouvoir d'achat, ils achètent la panoplie (maillot de l'équipe de France, vuvuzela, maquillage tricolore) et répandent sur les réseaux sociaux leur vibrante méconnaissance "ce soir on met 4/0 au Portugal" avant de transporter cette inculture footballistique crasse dans les salons où l'on regarde le match en hurlant "pénalty" pour une faute commise en dehors de la surface... Les Footix sont les orties du jardin footballistique, un truc inutile et qui gratte. Ca fait une délicieuse soupe, aussi.

Et bien les supporters d'En Marche sont les Footix de la politique. Nés à la politique avec le numérique, ils ont reçu une invitation facebook à liker une page, partager des événements et retweeter des punchlines de leur messie. Ca les amuse beaucoup, alors ils y consacrent beaucoup de temps. Comme les supporters, ils achètent la panoplie avec livre programme, fanion, maquillage, perche à selfie et T-Shirt En Marche ! Comme les supporters ils vont au match/meetings pour être ensemble, chanter et espérer une victoire. D'ailleurs ils applaudissent à n'importe quoi, n'importe quand. Comme les Footix, ils t'expliquent la vie en ignorant les règles, l'histoire du jeu, le poids des traditions et te hurlent dessus dès que tu fais un rappel au règlement. Les macronistes ne sont pas des orties, attentions, ils ne sont pas inutiles puisqu'ils aident leur champion à gagner. On voit donc que la comparaison n'est pas complète. Encore que, on fait une délicieuse soupe avec les orties. Avec les discours de Macron aussi. 

09/04/2017

Une fin de campagne irréelle

"Je voulais vraiment voter Hamon, mais comme il s'effondre dans les sondages, je pensais voter Mélenchon pour faire entendre la vraie gauche. Mais maintenant que Mélenchon est presque au 2ème tour, j'ai peur qu'il perde contre Marine le Pen alors du coup je vais voter Macron au 1er tour. Ce qui m'ennuie quand même un peu parce que j'aime pas du tout Macron, mais bon il nous protège mieux de le Pen que Mélenchon. Ou que Fillon". Ces propos n'ont rien de fictif, ils sont un des scenarii entendus en terrasse de café illustrant au mieux ce que les commentateurs ont appelés "électeurs stratèges" façon un brin pompeuse d'appeler des électeurs déboussolés. Que l'on change d'intention de vote une fois, bien sûr, c'est le propre des campagnes, mais trois, quatre, cinq fois, en vue de putatifs second tour... 

On pourrait avancer que c'est la démocratie en continue, de la fluidité, la chance de ne plus être tenu par des consignes de vote ou des appartenances partisanes. Argument joyeux littéralement torpillé par les études qualitatives qui font toutes ressortir que les stratégies de vote sont mues par le dépit : le vote de conviction est tripal, dès qu'on se fie aux sondages, c'est le fruit de compromissions. Et cette emprise sondagière, qui a toujours existé est rendue plus forte par les chaînes d'info en continu et les réseaux sociaux, double caisse de résonance. 

Encore une fois, comme pour les primaires, on colle aux moeurs américaines qui ne peuvent nous convenir et ce pour deux raisons. D'abord, parce que là où la logique bipartisane américaine tend surtout à observer des dynamiques particulières : dans les swing states, les votes par catégories (latinos, noirs, LGBT, femmes, hommes blancs, diplômés/non....) et le degré d'abstention, notre représentation à onze candidats biaise le jugement de l'électeur militant pour aller vers le turfiste amateur de quinté +. Ainsi, l'électeur de Clinton pouvait juste se dire qu'il fallait davantage mobiliser et celui de Trump passait d'une certaine apathie à la croyance dans une possible victoire. Mais ce, sans jamais changer leur bulletin de vote en fonction de cela. Notre multipartisme pousse à des résultats différents. On le voit avec les électeurs de Hamon : quand les sondages le donnait très haut, ils exigeaient le retrait de Mélenchon pour une candidature unique ; quand les courbes se sont rapprochées, ils voulaient une discussion pour envisager lequel des deux devait se maintenir et depuis vendredi où le candidat Insoumis est crédité de plus du double de Hamon, on ne les entend plus guère évoquer le sujet. Et, il y a fort à penser que les deux dernières semaines de la campagne vont aller dans le même sens : les plus à gauche voteront Mélenchon pour propulser "une vraie gauche" au deuxième tour, les plus réformistes voteront Macron pour contenir une insoumission trop radicale à leurs yeux...  

On peut faire le décalque à droite. On voit bien que Fillon a cessé de perdre car nombre d'électeurs trop énervés par cette défaite impossible de la droite française se résignent à voter pour lui malgré les affaires, à cause de sondages le donnant perdant au premier tour. Camouflet impensable D'autres iront voter Dupont Aignan pour marquer leur désapprobation morale, mais sans mettre le Pen trop haut. Des électeurs de le Pen se rabattront Fillon pour éviter que Macron ne soit élu... Ad nauseam.

Et donc, autre étage de la fusée sondagière, l'élection à deux tours qui n'existe pas aux Etats-Unis. Depuis quelques temps, une petite musique a décrété que "Macron est le plus à même de battre le Pen, 60/40, c'est sûr et certain, signez ici ma bonne dame". Je ne dis pas que c'est faux, personne ne peux affirmer ni infirmer, je dis que c'est exactement, au mot près, les arguments employés par le staff de Clinton pour décrédibiliser Sanders. "On adore Bernie, il a un super programme, mais là, on parle de la Maison Blanche, il ne faut plus être sympathique mais capable de gouverner". Ad nauseam. On connaît la suite. La suite, c'est que les peuples d'un nombre croissant de pays ne veulent plus se faire dicter leurs votes par une doxa et des sondages outrancière à sa façon. Incapables de se remettre en cause, rappelant aux candidats comment il faut se vêtir ou se comporter sur un plateau télé, voilà que les éditocrates veulent nous pourrir nos envies de vote quand ils devraient nous féliciter de participer à cette mascarade qui a réussi à écoeurer 1/3 des français. A cause de tout cela, cette fin de campagne est irréelle et il y a autant de rationalité à parier sur l'un des quatre candidats en tête qu'à miser à la roulette... 

06/04/2017

Chassez l'establishment, il revient au galop

chasseur-le-clos-du-poste.jpgRien ne se passe comme prévu dans cette élection, mais tout se commente comme d'habitude. Le décalage est patent entre un fond de la campagne plus que frénétique et le récit bonhomme, patelin, qui en est tiré. Jamais une campagne n'a été autant couverte, autant suivie, mais on ne peut pas dire que la qualité soit au rendez-vous de cette emprise totale. D'abord, l'abstention mesurée (la seule abstention qui comptera sera celle vraiment observée les 23 avril et 7 mai) semble dépasser des records historiques et force est de constater que ça n'est tout bonnement pas un sujet. 

Un tiers d'abstentionnistes déclarés n'empêchent pas nos éditorialistes et autres de finir leurs analyses sans en tenir compte autrement que "on note un gros niveau d'abstention, on la redoute, reste à savoir à qui elle va profiter". Et là, les bras vous en tombent. Admettons que l'on atteigne ce score de 35% d'abstention, plus du double de ce que l'on a eu en 2007, 15% de plus qu'en 2012, cela mériterait tout de même un traitement particulier. Pourquoi pas adapter les règles d'égalité du temps de parole avec l'abstention en organisant des grandes soirées électorales pour donner la parole à ceux qui ont décidé de s'abstenir, qui revendiquent un vote blanc, une abstention militante. Après tout, il y a de grandes chances que l'abstention finisse premier parti de France, il n'y aurait rien de choquant à ce que l'on consacre plusieurs grandes soirées électorales aux raisons du doublement de non mobilisation partisane alors même que l'offre est pléthorique. 11 candidats et autant de français qui se sentent non concernés, ça mériterait bien que l'on se prive d'Emmanuel et Brigitte Macron en couverture de quelques hebdomadaires, de quelques éditoriaux sur les ralliements de tels et tels du PS à un candidat ou d'émissions vibrantes d'ennui sur "que vont faire les sarkozystes ?". Le dégoût des partis traditionnels et des solutions néoclassiques n'interroge juste personne dans les grands médias. C'est hallucinant. L'indécision électorale, ça oui, ad nauseam parce que ça les affole le fait que la course de petits chevaux soit plus animée que d'habitude et ça occupe "vers qui se reporte les défections d'Hamon ?", "à qui profite le Pénelopgate" bla bla bla.... On adore commenter ces mouvements dans les marges, mais le ras de marée abstentionniste, que dalle. Malsain. 

Ensuite, le niveau inouï de suspicion à l'encontre de deux candidats avec des affaires ne fait plus débat depuis environ un mois. Bien sûr, il est pénible de ne parler que des enquêtes en cours plutôt que de leurs programmes, m'enfin la responsabilité en revient à ceux qui se présentent malgré le tombereau de faits accablants qui arrivent chaque jour. Ce matin sur France Inter, Fillon expliquait tranquillement qu'il y avait nombre de questions auxquelles il ne souhaitait pas répondre. Sur ses économies, son patrimoine, son train de vie. Voilà un homme qui a gagné 24 000 euros par mois depuis 5 ans et qui n'a pas un euro de côté sur sa déclaration publique. Ca peut à minima intriguer. Ajoutez à cela qu'une part importante de ces subsides sont issus de conférences données pour des ploutocrates russes, ça mérite qu'on en cause. Que Fillon ne souhaite pas commenter ces révélations, on le comprend, que Patrick Cohen ce matin, comme Namias hier et sans doute Pujadas une autre fois, ne relancent pas à la manière de certains journalistes anglo saxons, ça n'est tout bonnement pas audible. Suite à l'algarade bien légitime de Philippe Poutou, nombre de commentateurs (tous ceux de C dans l'Air, Anna Cabana sur BFM et d'autres) ont trouvé le candidat ouvrier grossier. On se pince devant cette inversion de la réalité. Mais prière de ne pas déranger pendant la campagne, Fillon c'est la droite républicaine et donc on commente jusqu'au bout son programme et on ne parle plus de Pénélope et des enfants... 

De même, les responsables du FN n'ont généralement qu'à balayer mollement d'un revers de main les questions concernant le détournement manifeste de fonds européens. Une question et puis s'en va... Pire, les commentateurs avancent, résignés, que "cela ne décourage pas les électeurs FN". Et alors ? Les dernières révélations du Canard montrant que David Rachline, directeur de campagne de le Pen, a touché des revenus de la Région Hauts de France alors même qu'il est maire de Fréjus, ça vaut bien quelques relances. Essayer au moins ! Mais non, abandon en rase campagne pour poser des questions sur le nombre de fonctionnaires ou le niveau de vie après la sortie de l'euro... Hors affaires, il y a d'autres questions à poser aux responsables FN : 76% des français sont opposés à la préférence nationale, proportion en hausse constante et là encore, avez vous entendu des questions là dessus ? Inouï... Inouï est d'ailleurs sans doute le terme qui désigne le mieux ce décalage entre la campagne à laquelle nous assistons tous et la glose qui nous est servie. Celle-ci nous dit juste, au fond, qu'alors même qu'ils sont idéologiquement et politiquement conspués de toutes parts, les membres de l'establishment sont tout bonnement incapables de l'admettre et d'en tirer des leçons. Navrant...