15/05/2017
Docteur Edouard ou Mister Philippe à Matignon ?
La bonne nouvelle c'est que la France a un premier ministre, la mauvaise c'est que l'on ne sait pas qui. S'agit-il du flamboyant maire du Havre qui ouvre les débats du Positive Economy Forum (crée avec Jacques Attali) avec de vibrants appels à l'accueil des réfugiés lors de la crise syrienne ? Celui qui insiste sur l'importance cardinale de la culture pour émanciper les individus, décloisonner les rapports sociaux, donner confiance en eux aux personnes moins favorisées, relier tous les quartiers d'une ville entre eux et recréer de l'emploi ? Un humaniste new look en somme, qui inspirait à une ancienne ministre du gouvernement Ayrault : "il est tout de même beaucoup plus à gauche que Valls"... ? Lui, cet homme qui prend ses distances publiques avec la droite "gros rouge qui tâche" qui conchie les racistes avides de fermetures de frontières et de stigmatisations des musulmans ; lui qui tient des propos aux antipodes de Sens Commun sur le libre choix à chacun de vivre sa foi ou sa sexualité. Si c'est lui, alors ça n'est pas encore le progressisme en avant, mais effectivement, c'est bien mieux que Valls, moins dogmatique, plus rond ; plus soucieux du liant, aussi.
Petit problème, le même homme et sur la même période a eu un autre visage. Parle-t-on de celui qui s'est abstenu sur le mariage pour tous ? De celui qui a voté contre la loi de transparence de la vie publique ? Qui a grogné comme un fou contre le cumul des mandats pour conserver les deniers et avantages de la mairie du Havre et de la députation locale ? Pour toutes ces décisions, sa parade est toute trouvée et, à l'aune du fonctionnement de la vie politique française, difficile de poursuivre davantage le procès : il a voté avec son camp. Alors voilà, il a été séduit par Macron, par le renouvellement générationnel, bla bla bla et là, promis, il ne sera plus l'homme d'un camp. Pourquoi pas ? Mais ça n'a rien d'évident.
Philippe, comme Macron est un produit de l'élite scolaire classique pour ses postes (sciences po, ENA) aux idées tempérées sur l'Europe, le rôle de l'Etat et autres. Au jeu des 7 différences, on pourrait sans doute creuser (un tropisme écologique plus fort, le fait de diriger une ville portuaire vous ouvre d'autres perspectives) mais tout cela ressemble quand même à s'y méprendre à du Prodi/Renzi/Schröder/Merkel. Le cercle de la raison en action, en somme. La différence entre les deux duos est que les allemands donnent le ton, en Europe, quand les italiens suivent le tempo. La loi Macron est sur ce mode : l'homme Macron se voulait "libre des corporatismes" le ministre a rédigé à l'alinéa près ce qu'attendait la Commission en termes de libéralisation du travail. L'homme Philippe nous dira qu'il a rencontré la possibilité de s'affranchir des dogmes et d'agir en homme libre. Je ne veux pas insulter l'avenir, mais je me dis qu'un type qui s'est comporté comme un bon soldat pendant 20 ans aura du mal à devenir un mutin.
18:26 | Lien permanent | Commentaires (11)
Macron, accélérateur de dégagisme
Il faut bien faire contre mauvaise fortune bon coeur et lui reconnaître cela, l'élection de Macron a tranfsormé les poids lourds de la politique en poids morts. Avant cela, certains s'étaient enfin rendus compte de ce que leur attitude d'acharnement électoral avait de délétère : c'est Ayrault, Bartolone, Mandon et d'autres qui ne se sont pas représentés.
08:54 | Lien permanent | Commentaires (6)
08/05/2017
La France ne sait pas ce qu'elle veut, mais sait ce qu'elle ne veut pas.
Quel étrange sentiment ce matin. Le président avec la base d'adhésion la plus faible de la Vè essaye de nous faire le coup du plébiscite giscardien du 2 français sur 3. Au lieu de la jouer profil bas, Bayrou, Griveaux, Ferrand et autres spadassins de la Grande Marche bombent le torse et tentent un rapt de l'opinion. Pas sérieux... Déjà, au premier tour près d'un électeur sur deux de Macron n'avait pas voté pour lui, mais uniquement pour éviter Fillon / Le Pen. 45% avouent avoir voté uniquement utile et pas par adhésion. Au second tour, toutes les voix s'ajoutèrent à contre coeur sur Macron, pour s'éviter le cauchemar le Pen. Et encore, fait unique dans l'histoire électorale, 16 millions d'électeurs n'ont pas choisi entre les deux, s'abstenant ou votant blanc. 16 millions, 50% de plus que le Pen... Ca eut mérité quelques mots. Mais non, Macron a confondu sa base adhésive, objective (10/12%) avec le résultat final. Ca ressemble à s'y méprendre à la fable de la grenouille qui voulait se faire grosse comme le boeuf... A quand l'éclatement ?
Un enseignement paradoxal de cette campagne, tout de même : le triomphe du débat et la mort des idées. Toutes les études donnaient une légère érosion de Macron à 60% et un peu en dessous, jusqu'au débat. Alors, les sondages décollèrent de 3 points au minimum pour finir hier à 66%. Macron a amplifié son score sur la seule base de ce débat où le Pen est apparue sans solution, sans idées, sans autre chose que des invectives. Ca a réveillé nombre de démocrates qui se sont dit qu'il ne fallait pas qu'elle arrive à l'Elysée. La France sait ce qu'elle ne veut pas. Mais sait-elle ce qu'elle veut ? Sans remonter en 81 et la 5ème semaine, les nationalisations et autres promesses de Mitterrand, Jospin remporta les législatives de 1997 sur les 35 heures et la CMU, Sarkozy l'emporta en 2007 sur la revalorisation du travail avec les heures supplémentaires défiscalisées, le bouclier fiscal et autres. Même Hollande, en 2012, l'emporte avec ses 60 000 professeurs en renforts, sa grande réforme fiscale. Mais Macron ? Rien.
Les idées innovantes dans cette campagne furent chez Hamon (taxe robots, revenu universel, lutte contre les perturbateurs endocriniens, 49/3 citoyen) et Mélenchon (révolution agricole et énergétique, Constituante). Les idées de Fillon étaient plus réactionnaires -retour sur le mariage pour tous, 500 000 fonctionnaires au moins- et celles de le Pen plus folles, mais au moins, elles surplombaient. Chez Macron, rien. Et d'ailleurs, ça convient parfaitement à sa base : 16% seulement de ses électeurs ont voté pour son programme. 16%. Reprenant la logorhée et la dialectique de l'entreprise, j'ai rencontré nombre de soutiens de Macron m'affirmant avec un naturel confondant qu'ils se "foutaient du programme". Arguant qu'on ne sait pas de quoi l'avenir sera fait, ils font donc de la gestion prévisionnelle par trimestre pour satisfaire le cours de bourse...
Si la Corée du Sud s'est développée malgré des atouts naturels faibles, si les pays scandinaves sont devenus ce qu'ils sont, si l'Equateur est sorti de la pauvreté, ça n'est pas avec de la gestion prévisionnelle mais avec un projet de société. Une ampleur programmatique qui engageaient les générations suivantes. Un investissement sans équivalent dans l'éducation et l'économie de la connaissance, souvent, de grands travaux pour aider les plus démunis dans l'immédiat, souvent, et une manière de repenser la protection sociale. Macron a beaucoup employé le mot de protection, hier. Mais c'est un appel powerpoint, un mot sans substance. Ses sbires appellent à "débloquer le pays" visant très explicitement les syndicats. La priorité de Macron président va être d'amplifier ce qu'il ne put faire comme ministre : la dérégulation du code du travail. Cela mérite-t-il vraiment que l'on accorde un état de grâce à l'élu hier au nom "qu'un peu d'optimisme ferait du bien à la France" ? Au fond, c'est ça Macron, c'est Sisyphe heureux, tout content de continuer à rouler son rocher. Et nous avec...
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