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24/06/2017

"Préférence française pour le chômage", un moindre mal tant que l'emploi digne n'est pas à l'ordre du jour

Quand, en 1994, Denis Olivennes publiait sa fameuse note sur la "préférence française pour le chômage" pour le compte de la très macroniste avant l'heure Fondation Saint-Simon, la France croyait avoir fait son coming out libéral. Plongée dans la Balladurmania (on l'a trop vite oublié) nombre d'éditorialistes français s'accordaient avec Olivennes pour dire que mieux valait un sous-job que le chômage. C'était l'époque où Matignon tentat un audacieux SMIC jeune, mort né, et évoquait nombre d'autres sous-contrats. On testait notre acceptation à fracasser le contrat de travail, en vain. Le peuple français refusait de se couper un bras et les commentateurs en déduisaient qu'Olivennes avait vu juste... Depuis, la formule ressort à chaque "réforme" du code du travail. Avec, toujours, le même argument : nous avons un taux de chômage plus élevé que nos voisins donc regardons les solutions qui fonctionnent chez eux. Le problème est que nous ne sommes jamais allé au-delà de l'observation du taux de chômage pour estimer la fonctionnalité des solutions...

Or, comme le prophétisait l'économiste et ministre de Churchill Charles Goodhart "lorsqu'une mesure devient une cible, elle cesse d'être une bonne mesure". Baisser le taux de chômage sans regarder la qualité des emplois crées n'a aucun intérêt (ou presque). Ca n'a d'intérêt que pour les créanciers de la dette française (et encore) et ceux qui cotisent pour notre système d'assurance chômage. Eux se plaignent du fardeau de ce régime déficitaire et nous expliquent que dans les pays au plein emploi, tout va pour le mieux. Vraiment ?  

Aux Etats-Unis, la déflagration de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un contrat a fait voler en éclats l'emploi: les américains travaillent en moyenne 32 heures par semaine contre 39 pour les français. Les malheureux qui sortent des statistiques du chômage ne trouvent que des emplois de misère, chauffeur 10 heures par semaine, gardien de musée de la nuit, quand ça n'est pas forçat du clic pour Amazon mechanical Turk pour quelques dizaines de $ par semaine... Si vraiment la prospérité amenait la sérénité politique, comment expliquer qu'après huit années de baisse du chômage sous Obama, les américains les plus pauvres aient préféré Trump ? 

En Allemagne, le succès sans égal des "jobs à 1 euro" cher à Peter Hartz, ex DRH de Wolkswagen est l'astuce locale pour maintenir le taux de chômage à 4%. L'état verse une obole mensuelle pour éviter la grande misère et l'entreprise complète à raison de 1 euros de l'heure pour le travailleur qui, à temps plein, peut ainsi escompter un rondelet 200 euros par mois. Deutsch qualitat détient ainsi le record d'Europe du nombre de pauvres. Sous vos applaudissements.

En Angleterre, les "contrats zéro heure" sont tout droit sortis de Black Mirror ou autre dystopie. Chaque jour, les membres du lumpeprolétariat guettent fébrilement leur téléphone portable (quand ils ont pu en recharger les crédits car, trappe à pauvreté, ils n'ont plus les moyens d'avoir un abonnement et payent plus cher des cartes) en espérant, ô miracle de l'employeur, qu'une mission de 12 heures dans la semaine à raison de 3 heures par jour et à seulement 80 kilomètres de chez lui, pourrait se profiler. Sans voiture et avec les transports trop onéreux, le lumpen serait bien avisé d'y aller en vélo, ce qui lui permettra d'être svelte, ce qui est toujours un plus pour trouver de l'emploi. Lors de la dernière grève des raffineurs en France, Christine Lagarde avait d'ailleurs textuellement dit aux automobilistes mécontents de prendre leur vélo. Avec ses recettes miraculeuses, l'Angleterre n'a que 4% de chômage ! Ca marche! Alors d'accord, les 1000 britanniques les plus riches concentrent autant de richesses que les 40% les plus pauvres, un chiffre de pays du tiers monde pour la 6ème économie mondiale, mais c'est un détail. 

En Italie, où la gémellité programmatique est la plus évidente (Renzi a, pour son retour vers le pouvoir, lancé le mouvement "in camino" dont la parenté ne requiert pas de test ADN...), la logique de charité dégoulinante aboutit à la création de "vouchers" que les entreprises peuvent utiliser à discrétion. Sur la logique des bons cadeaux et autres coupons qui explosent dans le domaine de la consommation, le MEDEF italien peut désormais s'offrir des heures de travailleurs flexibles. Milton Friedman and Ayn Rand likes this... People don't. 

Voilà en gros où nous mènent la logique d'ultra flexibilité : nulle part. Les pays en questions ont tous réduit drastiquement leur taux de chômage (laissons le temps à l'Italie d'aller au bout de la logique) pour aucune amélioration collective, fors pour les 0,1%. L'espérance de vie diminue aux USA et celle en bonne santé baisse pour la première fois en Allemagne et en Angleterre. Tous ces pays ayant accompagné leur réformes sociales de baisses d'impôts et de cotisations massives (avec une mention spéciale pour Trump, qui vient de passer l'impôt sur les sociétés de 35% à 15% en une seule fois, une folie que même Reagan n'aurait jamais osé), les pays sont toujours aussi endettés. L'argument de "bonne gestion" ne vaut pas, si ça n'est pour l'Allemagne, mais le pays n'a guère le choix, le vieillissement accéléré du pays et le manque d'enfants fait qu'ils sont obligés d'être beaucoup plus prévoyants.

Si on résume : des pauvres beaucoup plus pauvres, sans garanties, sans possibilités d'évolutions professionnelles, des riches beaucoup plus riches et un pays toujours aussi fauché. C'est ça, "le modèle" ? Non merci. Alors oui, face à ça, on peut affirmer, non comme un idéal, évidemment, mais comme une base de bras de fer, une "préférence pour le chômage". Bien sûr, avec les débats à venir sur la réforme du code du travail, la démagogie macroniste va faire mouche, de prime abord : "Si l'emploi ne crée pas tout, le chômage, lui, détruit tout". la formule efficace d'En Marche ! pour vanter cette flexibilité accrue du marché du travail frappe le bon sens. Reprenons déjà un boulot, on verra après pour les détails comme les acquis et les protections sociales... Mais, en réalité, que proposent-is ? 

Le "CDI de chantier", mesure phare de la nouvelle loi est une belle enflure typique des cigües qu'on nous inflige. Edouard Philippe défend ce contrat en affirmant, sans rire "qu'ainsi, le CDI reste la norme". Même s'il s'agit d'un CDI avec une durée déterminée, mais ils ne sont plus à une contradiction près. Le premier ministre de vanter des créations chimériques puisque ce contrat est déjà la norme dans nombre de secteurs très pourvoyeurs de main d'oeuvre (l'hôtellerie restauration, où l'on est embauché à la saison ). Il dit que cela serait un bienfait dans des missions de management, ou informatique, pour lesquelles une durée de consultant de 3 à 5 ans est la norme. En ce cas, on peut espérer que les boîtes qui embauchent pour 5 ans aient suffisamment confiance en elles pour prolonger, non ? L'avantage du CDD sur le CDI pour le travailleur c'est évidemment les 10% de prime de précarité à la fin du contrat. Pour un maçon, ou un chauffagiste, 10% de dix mois de contrats, ça fait un mois de prime, pas négligeable. La juste contrepartie à la précarité du contrat car les propriétaires et les banquiers préféreront toujours un CDI avant de louer ou prêter. Et on veut leur supprimer pour contenter quelques intérêts bien particuliers. C'est ça la modernité ? Face à cette immondice, la "préférence pour le chômage" n'est pas un choix de sybarite. Au contraire, c'est une exigence de préférence pour l'emploi digne. Et ça n'est pas ce qu'on nous propose. 

21/06/2017

Pénicaud, la vraie 1ère affaire Macron.

bomb-2025548_960_720.pngAmoureux de termes peu usités, le Président Macron dirait sans doute des démissions de Bayrou, Sarnez et Goulard qu'elles constituent de la roupie de sansonnet par rapport à ce qui pourrait l'attendre avec cette histoire de Murielle Pénicaud. Bien sûr, il aurait préféré s'en passer. Celle de Bayrou en particulier. Appui très précieux pendant la conquête du pouvoir, censé rédiger la première grande loi du quinquennat, le départ du béarnais est un coup dur. Mais qui pourrait ne pas avoir trop de conséquences fâcheuses : le MODEM a obtenu 44 députés grâce à l'accord de gouvernements trouvé avec LREM, plus que Bayrou ne pouvait rêver. Il ne devrait pas trop pester. Ni trop insister sur une capacité de nuisance qu'il n'a pas, les marcheurs étant majoritaires à eux seuls.

Avec un peu d'audace, Macron peut même retourner ces démissions à son avantage : il a été élu sur une critique de partis vermoulus, sclérosés, le MODEM appartient hélas au vieux monde. Farwell, Modem brothers et n'en parlons plus. Un coup de semonce plus qu'une déflagration. Et encore, Macron aura montré sa fermeté face à la suspicion de ce qui exaspère les français et sa capacité à sanctionner sans trembler, contrairement à nombre de prédécesseurs. Il n'est pas loin de pouvoir retourner la situation à son avantage. 

Un envenimement de l'affaire Ferrand serait plus pénible, mais pas encore létale. Il dira qu'il lui maintenait sa confiance, mais les règles sont les règles et la mise en examen le pousse à le congédier. Ferrand, c'est l'ancien monde, un élu PS, les mutuelles... Bref, il trouvera.

Pénicaud, à qui il a maintenu sa confiance ce soir, c'est autre chose. Car l'affaire Pénicaud a pris une sale tournure hier avec perquisitions d'Ubi France et d'Havas pour une histoire de favoritisme. Dans l'absolu que le ministre de l'économie se rende à Las Vegas, c'est logique. Pas de quoi fouetter un chat. Mais un voyage d'affaire à 300 000 euros confié, sans appel d'offres, à Havas, actuellement, ça ne passe pas. Les marcheurs vous diront (à raison) qu'il fallait faire vite, la procédure d'appel d'offres n'était pas adaptée... Leur défense est prête mais la justice pourrait la faire voler en éclats. Favoritisme, c'est favoritisme. Ce dont l'opinion ne veut plus. Or, Pénicaud, c'est le "nouveau monde". La "société civile", une "femme d'entreprise". Passe qu'elle fut au cabinet Aubry et que d'entreprise elle n'ait connu que le Comex de Danone pour appliquer des plans sociaux... C'est ce genre de profils experts que veut mettre en avant la macronie...

Si elle devait sauter pour une affaire qui aurait révélé qu'il pouvait y avoir un lien de cause à effet entre ce voyage arrangé et sa nomination ministérielle, la maison intègre se lézarderait. Et attendu que c'est elle qui doit mener la seconde grande loi du quinquennat et la plus explosive (sur le travail) son départ précipité serait la bombe qui ruinerait les envies de réformes à la schlague... Je n'irai pas jusqu'à dire que ça me ravirait car tout ce qui porte atteinte à l'image des représentants politiques n'est jamais bon, mais en l'espèce, disons que je ne pleurerai pas.  

13/06/2017

Décomposition achevée, recomposition attendue

Si la soirée de dimanche a un avantage, c'est celui de la clarté. La République en Marche écrase tout, LR souffre et le PS est mort. Cliniquement mort. Hollande est parti, Hamon et Cambadélis éliminés au 1er tour, comme Mathias Fekl et tant d'autres. Conséquence immédiate : plus aucun moyen financier, plus aucun moyen humain. Nombre de caciques du parti sont allés chez Macron, une part importante a pris sa retraite (volontaire ou forcée) d'autres n'ont plus envie. Sans ces moyens, sans postes à distribuer, l'impulsion ne peut repartir de Solférino qui va d'ailleurs être débaptisé pour cause de dépôt de bilan au sens propre. La déflagration est moins violente à droite, mais le poison instillé par En Marche est plus pernicieux : alors que les projections leur donne au mieux 125 députés, beaucoup moins qu'aujourd'hui (et 85 dans le pire des scénario) plus de 30 d'entre eux ont d'ores et déjà fait savoir qu'ils voulaient passer un quinquennat Macron friendly, Macron compatible, Macron ralliable, en somme. En bref, il reste une grosse soixantaine de députés de droite au clair avec leur famille politique. 

Les deux partis présents depuis trente ans atomisés en une élection. Au fond, il y a une forme de logique : à gauche, le libéralisme de plus en plus appliqué, mais de façon honteuse, n'était plus tenable. A droite, la boîte à idées était en panne et les meilleures idées de leur camp venaient d'en face, autant s'y rallier. Comme le disait récemment Yves Thréard du Figaro "jamais la droite n'a fait preuve d'autant d'audace et d'envie de faire bouger l'économie que la nouvelle loi travail de Macron". Trop de pudeur de gazelle face à un évident idéal libéral sécuritaire. Le MEDEF en a rêvé, Macron l'a fait. Macron assume d'avoir une ligne violente sur la sécurité, sa première décision va être de pérenniser l'Etat d'urgence. Les élus "de gauche" qui assument une saloperie pareille sont immunisés contre toutes les autres trahisons. 

L'histoire des trahisons n'a rien de neuf. Le PS est à la manoeuvre depuis le début et a une hégémonie sur la gauche plurielle, maintenue à coup de compromis sociaux de plus en plus ténus. Quand, en 83, le PS prend le célèbre "tournant de la rigueur", il ne revient en rien sur tous les progrès sociaux enregistrés depuis 1981 : retraites à 60 ans, semaine de 39h, 5ème semaine de congés payés, nationalisations, mise sous tutelle de banques. En 1997 et la victoire inattendue de Jospin, le PS maintient son hégémonie sur la gauche plurielle comme les parrains mafieux règnent sur leurs quartiers : en payant, mais chichement. Les communistes l'ont compris et ont refusé de repartir pour un tour de sociale-traîtrise en 2012. La CMU et les 35 heures ne suffisaient pas à compenser des privatisations nombreuses et trop de cadeaux fiscaux. EELV n'a pas voulu rompre pour une poignée de députés et trois postes au gouvernement. Cinq ans plus tard, aucune centrale nucléaire fermée, un ministère de l'agriculture et de l'agroalimentaire qui a fait la joie de la FNSEA, l'état d'urgence dévoyé pour arrêter les militants écologistes. Rien à sauver, fors des postes... qui ne sont plus là. EELV a disparu des écrans radars dimanche soir. Triste ironie de l'histoire l'écologie ne cesse de monter dans l'opinion en termes de prise de conscience et sa traduction politique la plus évidente est morte. Bravo...

A droite, là aussi, Macron a débauché tous les types qui sont honnêtes intellectuellement. Libéraux en diable et sécuritaires, Macron coche les cases de leur ADN. Comme eux, Macron n'aime pas l'Etat, encense "les forces vives de l'entreprenariat qui crée des emplois" (à grands renforts de niches fiscales, mais ne nous arrêtons pas à de tels détails). Le symbole parfait de tout ça, c'est notre nouveau ministre de l'éducation. Meilleur ami de Baroin, copain comme cochon avec Sarkozy et Fillon, admirateur de l'autonomie pour tous les établissements sa première décision détonne : mettre fin aux devoirs à la maison en permettant aux élèves de les faire à l'école. Une revendication de longue date des assos de quartiers populaires. Diantre ! Une mesure de gauche ! Blanquer va recruter en masse pour aider les élèves en difficulté et permettre de compenser cette inégalité, merci ! Et non... C'était évidemment trop beau et le ministre d'annoncer que les renforts seront des jeunes en service civique. Aucune pérennité du système (des contrats de 6 à 9 mois...), aucun financement et aucune garantie du niveau des jeunes (le service civique est ouvert à tous les jeunes de 16 à 25 ans, de bac moins 5 à bac+5). La possibilité que d'anciens jeunes en échec scolaire accompagnent des jeunes en échec scolaire est bien patente. Une solution low cost pour aider les plus défavorisés, une solution bien dégueulasse qui rappelle la big society de Cameron. De quoi contenter nombre d'élus de droite. 

Il en restera un certain nombre qui ne se rallieront pas : pour des question migratoires et sociétales, que cela soit sur les droits des homosexuels ou autres droits qui peuvent heurter une morale religieuse (droit à mourir dans la dignité, droit à l'avortement), la recomposition d'un bloc de droite dure est à attendre. L'irruption du mouvement des tea party en réaction à l'élection d'Obama montre que ce genre d'agrégat peut se réaliser rapidement. Le FN est en sévère perte de vitesse sur le premier tour. Le second tour clarifiera le leadership : malheur aux vaincus, si Philippot et Le Pen ne s'imposent pas, Wauquiez attend de faire une OPA sur la droite réac débarrassée de cette armée de losers. Nimbé d'une aura victorieuse (il gagne toutes les élections auxquels il se présente) il pourra lancer un gros bloc réactionnaire et europhobe. Avec une meilleure stratégie que le FN (pas compliqué) une telle vague peut avoir des résultats, la Pologne nous le rappelle tristement. La recomposition à droite ne peut se faire que là, tout le reste du spectre est pris par Macron.

A gauche, les majorités intellectuelles, culturelles, programmatiques, sont là. Une refonte fiscale totale pour pouvoir financer tout le reste en préalable : mettre fin aux rentes, comme dirait Macron, mais celles du CAC 40 et autres groupes truandant le fisc. Un étalement de l'impôt beaucoup plus progressistes. Ne peut-on pas aisément dégager une majorité pour dire que la priorité est de récupérer 80 milliards annuels évaporés indument ? Idem pour la règle verte écologique. Un sujet qui irrigue tout : des emplois de demain dans les circuits court énergétiques et alimentaires à la santé de demain, sauvegardé par une production non polluante. Tout ceci, évidemment, en trouvant des outils de prise de décision collective, en mettant fin au césarisme actuel. 

Ca ne se fera pas en un jour, alors au lieu de pleurer encore et encore sur qui d'Hollande, Valls ou Macron a vraiment tué la gauche, tournons la page dès aujourd'hui, des millions d'électeurs n'attendent que ça.