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17/05/2018

Sentiment d'insécurité sociale

Dans l'excellent documentaire "Edouard, mon pote de droite", l'actuel locataire de Matignon est notamment filmé lorsqu'il apprend l'élection de Trump. Son pote de gauche, qui tient la caméra, lui demande si ce bouleversement politique n'appelle pas une réponse politique à la hauteur en France. Parler d'autres enjeux, d'autres sujets qui concernent les plus fragiles. Edouard Philippe tempête, rouspette, parle de "haine contre l'intelligence" puis fait cet aveu : "bien sûr que certaines personnes ont voté par peur. La crainte du déclassement existe chez certains". J'y ai vu un parallèle avec la célèbre phrase qui a sans doute coûté la présidentielle 2002 à Jospin "nombre de nos compatriotes font face à un sentiment d'insécurité". Cette sortie hésitante avait réveillé la droite qui avait laminé le candidat socialiste en lui intentant un victorieux procès en angélisme... 

Depuis, l'insécurité physique est en permanence conviée à la barre de l'opinion. Parmi les charges retenues contre la France, on a ajouté le qualificatif "d'insécurité culturelle" avec d'autant plus de vigueur, posts attentats. Un procès qui fut même officiellement instruit par Nicolas Sarkozy président avec son insane débat sur l'identité culturelle et repris avec force vigueur par des groupuscules qui n'ont pas d'extrême-droite que l'étiquette, comme les amis d'Eric Ciotti ou le Printemps Républicain. Tous alimentent ces petites peurs faciles et épluchent les faits divers à la recherche de la preuve irréfutable que la France se perd, se dissout. C'était la patrie menacée par une jeune chanteuse voilée sur TF1 (que n'aurait-on dit si elle avait représenté la France à l'Eurovision...), la fin de la civilisation à cause d'une Jeanne d'Arc métisse, la mort de notre gastronomie avec des cantines sans porc. C'est vous dire si ces gens-là portent la France en haute estime et l'idée que nous nous faisons de notre destin commun... 

Pourquoi ne fait-on pas preuve de la même sévérité de jugement à l'égard de l'insécurité sociale ? Car au fond la phrase de Philippe est symptomatique de la macronie gouvernante depuis un an. A propos des retraités, des personnes éloignées de l'emploi, vis à vis des centaines de milliers (200 000...) contrats aidés supprimés d'un trait de plume par Pénicaud, à propos de toutes ces personnes fragiles qui constatent très concrètement un effritement de leurs conditions de vie, on oppose un "sentiment d'insécurité, une peur du déclassement".

Comme si elle était irrationnelle, comme si le stupide mantra "quand on veut, on peut" leur servait de bouclier face au désespoir. Quand on explique à Mounir Mahjoubi que la start-up nation a ceci de spécieux que l'entrepreunariat est sur sur-représenté parmi les jeunes de milieux privilégiés, il rétorque qu'il vient d'un milieu populaire. Dont acte. Et tant mieux pour lui, mais il est à ce titre représentatif comme les poissons volants et les patrons de gauche ; pas exactement la majorité du genre... Le summum de l'abject en termes de négation de l'insécurité sociale, c'est évidemment la phrase d'Emmanuel Macron "la mort de Beltrame, c'est ça, la France, une histoire d'absolue. Ceux pour qui le summum de la lutte, ce sont les 50 euros d'APL ne comprennent rien à l'histoire de notre pays". 12 millions de Français sont à moins de 50 euros à la fin du mois, faut-il être revenu en monarchie pour être déconnecté à ce point. 

Il faut être deux pour danser le tango et pour que le procès en insécurité culturelle percute plus l'opinion que celui en insécurité sociale, c'est hélas que le premier occupe beaucoup plus l'agora. Parce que les faits divers sont plus adaptés à l'info en continu que les longs développements sociologiques. Des chaînes info aux réseaux sociaux, il est plus facile de montrer une agression ou un lynchage gratuit que les conséquences d'une économie hyper territorialisée sur des quartiers populaires ou des villes moyennes enclavées comme dans le Gard. De ce point de vue, notre responsabilité est collective : refuser de regarder et commenter les faits divers est à portée de chacun. 

12/05/2018

Zac et Zad

J'espère qu'on réservera, en école de journalisme, un cours de déconstruction en partant de cet article du Point consacré à la nouvelle vie de Jérôme Cahuzac, reprenant lui même un reportage de Paris Match sans aucune distance. Sortez les violons, retenez vos larmes, ça tangue. Qu'apprend-t-on ? Que la société se montre d'une injustice folle avec l'ancien ministre qui "n'ose plus aller au cinéma de peur de prendre une baffe". Tout l'article, fort long est exclusivement à décharge d'un homme qui a été condamné, qui a reconnu avoir menti et pratiqué la fraude fiscale alors même qu'il était ministre en charge de la lutte contre ladite fraude. 

On commence par apprendre, injustice folle, qu'il dîne souvent chez son avocat, maître Szpitner, car il n'a plus le goût d'aller au restaurant où "les gens l'agressent". On reprend une formule aussi grotesque. Notez que ça n'est pas faute de moyens que l'ex grand argentier de l'Etat ne mange plus dehors, mais parce que la foule est animée de mauvaises intentions. Eu égard aux tavernes qu'il fréquente, je doute que des dames en vison ou des messieurs en complet osent aller plus loin que "monsieur Cahuzac, vous êtes un sacripan". Passons.   

Plus loin, mon passage favori : celui où le journaliste explique qu'il est même difficile pour l'ancien ministre d'aller aider des ONG, car elles exigent une "clause de confidentialité". Notez qu'ils ne lui interdisent pas d'offrir ses services, loin s'en faut, elles lui demandent juste de ne pas en faire de publicité. Il est tout de même assez élémentaire pour Médecins sans Frontières ou autres de ne pas vouloir être associés à un délinquant qui a détourné suffisamment d'argent pour créer plusieurs cliniques... 

A la fin de l'article, la fine plume parle pour Jérôme Cahuzac de "descente aux enfers" après avoir dit qu'il vit dans une baraque en Corse, avec son chien, passant ses journées à faire du sport et lire. Si ça c'est "une descente aux enfers", comment qualifier le sort d'un délinquant de droit commun, qui n'a pas payé sa pension alimentaire et qui se retrouve avec trois co détenus dans sa cellule aux Baumettes, voit des rats au quotidien et vit avec l'angoisse d'être violenté ou violé ? 

Pensez que dans le même journal, on peut lire des choses sur "l'ultra violence" des zadistes, eux qui voulaient faire des fermes bios et sans intrants, coupables au pire de quelque négligence administrative, mais même pas omettant de payer leur dû, façon Thévenoud. Il faudrait vraiment enseigner cela en école de journalisme car si Camus a raison de dire que "mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde" ça n'est rien comparé au fait de mal nommer les coupables... 

05/05/2018

A quand un référendum chez Carrefour ?

C'est bien connu, les révolutions tombent souvent sur le mauvais gars. Louis XVI était un brave gars comparé à ce furoncle de Louis XV... Hier, donc c'est Jean-Marc Janaillac qui a du démissionner pour la situation chez Air France héritée de l'autre taré autocrate et esclavagiste d'Alexandre de Juniac. Je n'aurais pas fait de Janaillac le phare avancée de la reconquête sociale en France, mais de tous les grands patrons qu'il m'ait été donné de cotoyer, c'est sans conteste l'un de ceux qui a la fibre sociale la plus avancée. D'où le fait que je ne vois pas le résultat d'hier comme un triomphe populaire premier. Bien sûr, l'ineptie de la crise actuelle est symbolisée par le fait que la direction aurait perdu moins d'argent à céder aux revendications des syndicats plutôt que d'essuyer un conflit dont les grèves ont plus coûté à l'entreprise... Après, plus de 55% de NON à 80% de participation, c'est sans appel. Et ça veut dire qu'un certain nombre de cadres ont voté contre leur direction. Sans doute pas la majorité d'entre eux et encore moins le COMEX, mais nombre de cadres quand même. Ca interpelle...

Pourtant, ce référendum chez Air France interpelle en ce qu'il dit des colères à la base des entreprises. Voilà sans doute une des entreprises les plus justes de France en termes de ratio conditions des travailleurs / conditions des actionnaires, une des entreprises les moins violentes socialement, les moins mondialistes, et bim le mur. La cruauté des chiffres condamnait la démarche de la direction : après des années de gel de salaire, des augmentations trop chiches face à des centaines de millions de profits ne passait pas. 

Mais ces chiffres sont billevesées par rapport à Carrefour, qui empoche 800 millions au nom du CICE, où les actionnaires se gobergent, et où on licencie à tour de bras, et parfois pour faute grave comme "avoir récupéré des coupons à la caisse"... Cette société est une honte du droit social, le plan de Bompard se torche avec un siècle de conquêtes sociales. Si un référendum sur la justesse de son plan pouvait se dérouler dans le calme, il prendrait 90% de NON et sa démission, pour le coup, me ravirait. Mais le référendum n'aura pas lieu. Pas plus que le droit à l'opposition pour les syndicats. Comme chez Amazon, où l'on puce désormais les employés, flique leur pause toilettes... Amazon qui encourage le dumping fiscal pour implanter son siège social aux Etats-Unis, incarnant ce paradoxe où ils demandent aux villes des logements abordables, un bon réseau de transports en communs, d'école et d'établissements de santé, tout en refusant eux mêmes de s'acquitter de leurs impôts... Si on sondait les employés et les parties prenantes (clients) d'Amazon par référendum, il devrait rendre et partager l'argent. Mais ça n'arrivera pas, il continuera à manager par la peur et le chantage, le racket soft, l'horreur à tous les étages. 

Politiquement, les 5 millions de fonctionnaires humiliés depuis des années, méprisés socialement à qui on conteste un jour de carence, dont on gèle les années depuis si longtemps qu'on peut commencer à parler d'ère glaciaire et qu'on menace maintenant d'alignement par le bas de leur retraite, s'ils pouvaient voter sur la justesse de ces mesures, que dirait-il ? Evidemment, ils éjecteraient Darmanin, et ils auraient raison. 

Hier, la colère n'est pas tombée sur le plus mauvais, loin s'en faut : mais cela doit nous interroger tous sur la voie à suivre. Les pétitions avec des centaines de milliers de signataires qui restent lettre mortes montre les limites de nos consultations actuelles. La loi Pacte de fin d'année sur les entreprises à mission ne prévoit rien pour la prise de parole et de pouvoir des salariés. C'est une funeste erreur. L'avenir est sans doute dans l'imposition aux actionnaires de ce genre de consultations car quand on pense à Carrefour, la peur doit changer de camp.