06/01/2020
Quel Hiroshima climatique pour, enfin, tout arrêter ?
L'Australie brûle et nous regardons l'âge pivot. Leur premier ministre, Scott Morrison, n'a pas interrompu ses vacances et commente la catastrophe en disant que ça n'est certainement pas le moment d'arrêter d'extraire du charbon, au contraire... Si on veut tenir les objectifs de limitation de la hausse des températures, il faut fermer toutes les usines à charbon du monde et les remplacer par des énergies neutres en CO2. Au lieu de tancer vertement ce premier ministre, de lui proposer de l'aide d'urgence d'une main et le contraindre à changer sa politique énergétique de l'autre, on tend bien une main, mais l'autre demeure prête à signer des contrats commerciaux...
Incompréhensible. Impensable. Fou. Et pourtant, pas si surprenant. Ça fait vingt cinq ans que ça brûle et que nous regardons ailleurs, il y a toujours une échappatoire, une opportunité, un truc à saisir. Depuis les méfaits de Texaco en Amazonie Equatorienne qui ne nous a pas empêché de bosser avec le géant pétrolier jusqu'aux incendies de la forêt amazonienne au Brésil qui n'ont pas remis en cause nos accords d'import de soja... lesquels sont à l'origine de ladite déforestation. Pour une espèce évoluée, nous humains apprenons tout de même lentement. Or, le temps nous manque désormais cruellement.
Il a "suffi" de deux bombes atomiques, lâchées sur Nagasaki et Hiroshima pour que plus jamais, depuis 75 ans, une seule autre bombe ne soit envoyée. Nonobstant des tensions folles lors de la guerre froide, les dirigeants détenteurs de ces armes n'ont pas appuyé sur le bouton rouge. L'anticommunisme primaire de Sting et son "let's hope the russians love their children too" fut battu en brèche. Évidemment, ils les aimaient. Ils les aiment toujours, sans doute, mais ils n'éloignent pas le danger qui pèse sur eux.
C'est à se demander ce qu'il faudrait pour que tout change. Les méga incendies de Paradise et autres villas californiennes ont, à jamais, changer la vision des stars Hollywoodienne qui s'engagent toutes et tous pour la cause, qui en parle, mobilise, sensibilise dans leurs fictions. Ça reste de la fiction, ça ne les empêche pas de prendre des jets privés pour recevoir un César d'honneur ou un prix à la Mostra de Venise, mais il y a un léger mieux. On sait que les dirigeants s'engagent sur des causes comme le handicap quand ils sont touchés personnellement comme ça fut le cas pour Chirac. Je n'en suis pas à rêver qu'un enfant de Scott Morrison, Bolsonaro ou Trump périsse dans un incendie, mais je ne vois plus que ça comme issue...
09:13 | Lien permanent | Commentaires (4)
04/01/2020
Privilège, privilège, ont-ils des gueules de privilège ?
La grève dure, les préjugés restent. Alors même que la focale s'élargit chaque jour sur la réforme des retraites, permettant de voir que des millions de personnes seront lésées, au premier rang desquelles les profs et les soignant.e.s., certains tentent de rétrécir le débat. Ainsi, dans la bouche de nombre de commentateurs et (ir)responsables politiques, tout se passe comme si le problème portait sur le tout petit bout de la lorgnette : les cheminot.e.s et salarié.e.s de la RATP. Et donc, ces deux corps professionnels seraient, le mot est répété en boucle, des "privilégiés".
Les journalistes sont une profession se précarisant de plus en plus avec les années dont les revenus sont difficiles à estimer. Le chiffre de "salaire médian de 3600 euros" est calculé sur les titulaires de cartes de presse, mais un rapide coup d'oeil à la pyramide des âges et aux courbes de rémunérations montre une chute drastique des revenus de journalistes (les débutants sont à 1700 euros en moyenne et rares sont ceux qui parviennent au dessus des 3 000 euros) où le CDI devient un Graal, et où le fait de vivre correctement de ses piges, une exception. Les éditorialistes qui fracassent les transporteurs syndiqués, en revanche, ont pour la plupart des émoluments à cinq chiffres mensuels. Non seulement cela, mais surtout une absolue non précarité de l'emploi.
Combien de stars au chômage après des flagrants délits de conneries, de boniments, d'ignominies, de calomnies et autres ? Aucun. Apathie a été recyclé sur des chaînes de second rang, mais il sévit toujours. Pujadas exfiltré de France 2 a un strapontin sur LCI, même PPDA, Elkabbach et encore Duhamel trouvent toujours des employeurs. Pour un boulot non pénible (la pénibilité est du côté de ceux qui subissent l'écoute), facile et routinier, sans stress, sans responsabilités, et avec émoluments gras. Ils répètent en boucle que ceux qui arrivent à un peu plus de 2000 euros de retraites après une vie d'un travail pénible, dangereux, répétitif, aux responsabilités très lourdes (les accidents grave de transports sont plus fréquents que les blessés au maquillage ou en tombant d'une chaise) sont des privilégiés. C'est insane, indécent, immonde.
Les mots ont un sens. En l'espèce "privilège" est "un avantage particulier accordé à un individu ou à une collectivité en dehors de la loi". En théorie, ils ont été abolis avec la loi du 4 août 1789. En pratique, une caste de privilégiés se constitue depuis les années 80 : alors que le choc néolibéral a fait vaciller tous les fondamentaux solides, tous les statuts protecteurs, pour nous faire basculer dans une modernité liquide et incertaine partout, eux sont certains de toujours s'en tirer. Ce sont les éditorialistes ci-avant évoqués et qui jamais ne connaissent la case Pôle Emploi ou la reconversion forcée. Les financiers qui se reconvertissent dans le conseil quand ils ont trop cramé sur les marchés. Les conseillers du prince, justement, les managers interchangeables et re recrutés après avoir prodigué moult idées destructrices (Alain Minc comme tête de gondole). Eux sont d'authentiques privilégiés dans le sens où certaines de leurs erreurs auraient dû les éconduire à vie, les mettre à l'ombre, mais non. Prenez les banquiers toujours là après 2008. Les cadres de Renault pris dans une affaire de barbouzes (déjà...) avec la Chine et toujours là dix ans après, comme monsieur Pellata, qui a rédigé un rapport sur la mobilité pour l'Elysée. Tout ceci, sont d'inoxydables et inacceptables privilégiés. Mais les autres ?
Ce matin, en allant faire mes courses, je suis tombé sur un malheureux qui faisait la manche, un autre qui demandait directement à celles et ceux qui entrent dans une boutique s'ils pouvaient lui acheter un plat et un troisième qui sortait d'un porche d'immeuble bloqué par son duvet de nuit, qui courait après les rares passants, les pieds nus... Face à eux, nous sommes tous privilégiés, tous ceux qui avons un toit sur la tête. Voilà ce qu'on veut nous faire ressentir. Nous faire ressentir la peur du déclassement, de la chute, de la vraie catastrophe. Presque la moitié des français disent éprouver la crainte de basculer à la rue, un jour, une proportion qui ne cesse de croître. Le résultat de trente cinq années d'émiettement des fondamentaux sociaux.
Ça en fait, du monde dans la galère. Les cheminot.e.s et salarié.e.s RATP ont la tête qui dépassent de l'eau au moment de la retraite ? Qu'on leur coupe la tête ! Quelle révolution inversée... Je vois passer les éléments de langage macroniste sur les retraites des agriculteurs.rices, censées donner honte aux conducteurs.trices de bus. C'est inepte et grotesque. Les retraites des agriculteurs.rices me font tout aussi honte en tant que citoyen. Je me dis que le 5eme pays le plus riche au monde peut sans mal permettre à toutes et tous de ne plus avoir faim ou froid, et à toutes celles et ceux qui ont travaillé quarante ans, d'avoir des retraites dignes. Par digne, on entend au minimum 1200 euros, comme le SMIC, et pas 1000 euros dans 10 ans.
"Quand on lâche sur les mots, on lâche sur les choses", écrivait Freud. Et on ne doit pas lâcher sur le détournement des mots d'argent, de situation. Me reviens en mémoire, lors des premiers procès perdus par Bernard Tapie, les titres qui le disaient "ruinés". On lui avait saisi son yacht et son hôtel particulier, bon. En quoi est-ce la ruine ? A t'il dû cesser d'acheter des vêtements, eu des problèmes à mettre un toit sur sa tête, à pouvoir s'acheter à manger ? A partir en vacances ? Non, évidemment. Il n'a jamais été ruiné. PPDA n'a jamais été "éjecté". Carlos Ghosn n'a pas "eu affaire à une injustice folle". Le travestissement de la réalité atteint des summums.
Les véritables privilégiés de ce pays devraient se souvenir de ce qui s'est passé la nuit du 4 août 1789. Tout n'était pas alors réuni pour véritablement connaître, identifier, prendre possession des privilèges indus. Aujourd'hui, si. Et en haut de l'inventaire, ni même cent lignes plus bas, on ne trouve trace des retraites des transporteurs.
17:07 | Lien permanent | Commentaires (6)
02/01/2020
Quel intérêt ?
Comme tous ceux qui s'intéressent à l'actualité politique, j'ai lu la promotion à venir pour Jean-François Cirelli dans l'ordre de la légion d'honneur. Cet ex dircab de Raffarin à Matignon, puis dirigeant de GDF au moment de la privatisation/fusion avec Suez, est donc félicité pour son activité de dirigeant français du fonds Black Rock. Ce fonds Moloch (il gère 6 000 milliards $ d'actifs) guigne rien de moins qu'une réforme des retraites par capitalisation, en France pour mettre la main sur "le magot de l'épargne des français". En pleine grève contre la réforme des retraites, la décision qui fut sans doute prise il y a trois de mois, a de quoi faire tousser, pour ne pas dire plus.
En lisant cette énormité, je me suis posé une seule question : quel intérêt ? Quel intérêt à Edouard Philippe (car c'est sur son quota que la breloque sera épinglée) a à faire ça ? Rationnellement, aucun. Une légion d'honneur doit donner 3 euros de retraite en plus par mois à un type qui en aura une à 5, voire 6 chiffres et un patrimoine permettant à ses enfants de ne jamais travailler. Elle ne donne aucun jeton de présence, pas de prestige, pas d'entrées quelque part. Juste une surboum où le premier ministre épingle Cirelli et lui distille 1/4h de discours sucré sur "le service de la République". Généralement, on remercie par ce hochet les méritants qui souquent pour la République sans jamais demander un euro. Cirelli, c'est l'inverse. Il a tété Marianne, puis s'est gavé de millions privés sales comme jamais, et là, il demande un rab de respectabilité et de reconnaissance. Incompréhensible. D'où la question qui revient : quel intérêt ?
Il y a, bien sûr, une première piste d'explication qui défoule. Une piste conspirationniste, complotiste, parfaite pour les amateurs de Thinkerview ou les lecteurs de Juan Branco : parce que Bilderberg, parce que le gouvernement mondial, parce que la maîtresse d'un tel serait depuis avec tel autre... Parce qu'on ne nous ne dit pas tout, croisons les annuaires des anciens de sciences Po, avec celui des réservations au Flore, chez Lapérouse et chez Taillevent et ha ha ! Le grand complot mondial des élites qu'on nous cachait explose enfin ! Ils ont tous des agendas communs et des comptes communs, on le sait ! Ce genre de récits seraient drôles si des malheureux ne se faisaient happer comme des phalènes par un lampadaire et allaient ensuite prêcher cette parole révélée. Pauvres gogos, vous êtes les idiots inutiles de la lutte avec vos fariboles. Reprenons.
A bien me triturer le cortex, je vois deux pistes d'explications sérieuses à cette affaire et pas franchement reluisantes ou rassurantes pour l'Etat du pays.
La première, c'est le fameux "j'assume" d'Edouard Philippe. Son passé de lobbyste chez Areva, la fin de l'ISF, la fin de la flat tax, toutes ignominies, il assume. Cette tactique un brin grossière a le mérite de couper l'herbe sous le pied des contradicteurs et de gagner du temps. Soufflé par l'aplomb du premier ministre, on peine à répliquer. Vraiment ? Vous assumez de décorer le patron d'un fonds de pension ? Oui oui. Que dire face à tant d'outrecuidance ? C'est compliqué. Compliqué, mais passé l'effet de surprise, le "j'assume" se retourne vite contre vous et avec une rentrée sociale qui s'annonce caniculaire, je peine à croire que ça soit l'option retenue par l'exécutif.
La seconde, c'est la déconnexion. Repensons aux photos d'embrassades de Macron avec Bernard Arnault. Le "si tu veux te payer un costard, faut bosser". Le "dans les gares, ceux qui sont tout, ceux qui sont rien". "Tu veux un boulot, traverses la rue !". Ad nauseam... La composition sociologique du gouvernement, de leurs cabinets, des députés LREM, bat des recors d'avocats d'affaires, de lobbystes, d'agents d'influence divers. Pas l'once à l'horizon de celles et ceux qui seront lésé.e.s par la réforme des retraites, comme on ne rencontre pas celles et ceux qui ont pâtir de l'infâme réforme de l'assurance chômage. Aussi, les vociférations de la rue ne leur parviennent tout bonnement pas. Ils sont complètement dans leur bulle hermétique et dans leur bulle, épingler Cirelli est assez logique, puisqu'ils partagent une même vision du monde. Cette piste est sans conteste la plus crédible.
La comparaison avec 1789, maintes fois reprises ces derniers temps pour signifier une déconnexion entre la cour et le reste des sujets du royaume, ne me semble plus si justifiée. Sans vouloir défendre Louis XVI et sa clique, ils avaient alors pour eux de ne jamais avoir connu de révolution, de ne jamais avoir imaginé que l'on puisse vouloir abolir les privilèges, de naissance comme de situation. Ils avaient aussi pour eux l'avantage d'une absence de transparence, puisque la plupart des caprices exubérants des membres de la cour, les débauches des repas ou en cadeaux somptuaires, jamais cela n'était renseignée par les gazettes avec exactitude. On parle d'un temps où le média Brut n'existait pas, c'est dire si la presse citoyenne était faible...
Blague à part, les nobles de 1789 ont récolté ce qu'ils avaient semé et il y a assez peu à pleurer, rétrospectivement, sur un système mortifère entretenu pendant des siècles. Je ne dis pas que la guillotine à répétition me réjouis, je dis que compte tenu du niveau de violence dans la société d'alors, c'était inévitable pour aller vers le progrès. En 2019, nous n'en sommes plus là et nous devrions pouvoir aller sereinement vers plus de partage, puisque 9 français sur 10 pensent qu'il y a trop d'inégalités. Au moment où d'écrasante majorité s'accordent sur plus de Communs (notamment avec des soignant.e.s mieux payé.e.s et plus d'équipements, mais aussi des profs mieux payé.e.s), moins de privatisation, nos dirigeants font tout l'inverse. Ils le font avec l'impunité arithmétique de nos institutions. 9 français sur 10 veulent plus de partage, ça signifie que même des électeurs LREM désavouent ce qui se passe aujourd'hui. Aucune décision rationnelle, populaire, ne peut expliquer ce genre de provocation gratuite comme la décoration de Cirelli. Ça ne correspond à rien. Au fond, cette breloque est l'expression la plus crue, la plus absolue, d'un sentiment d'impunité totale, le sentiment que plus jamais la rue ne pourra perturber le cours impavide des habitants des palais lambrissés.
08:16 | Lien permanent | Commentaires (9)