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31/12/2019

Dureté de la mort des procureurs à l'âge des réseaux sociaux

Sur les réseaux sociaux, à chaque affaire, le nombre de procureurs explose. Aujourd'hui Matzneff, hier Delevoye et Balkany, avant-hier Luc Besson, Rugy, Benalla, que sais-je. Le fait que la plupart des cités ne soient pas derrière les barreaux exacerbent évidemment la colère d'un peuple numérique animé par un gros désir de pénal...

Tout le monde y participe, plus ou moins activement, plus ou moins gaiement, plus ou moins frénétiquement. C'est une des raisons pour lesquelles je n'ai jamais mis les pieds sur Twitter : pour ne pas me livrer à ces bas instincts où l'on peut, trente fois dans la même journée, tirer sur quelqu'un jusqu'à épuisement total du venin. Nombre de personnalités ont basculé du côté obscur de la force à cause de l'oiseau bleu, alimentant leurs communautés de dizaines de philippiques quotidiennes sans plus jamais prendre le temps de penser. 

Or, chaque jour n'apporte pas forcément de l'eau à son moulin. C'est là où on voit les vrais procureurs numériques : ceux qui fouillent les faits divers du web entier pour trouver une anecdote les confortant dans leurs positions... Une femme voilée refusant de se baigner, un barbu traitant quelqu'un de sale français dans un bus, toute notule leur suffit à dire que la laïcité est menacée, en France. Ils se confortent, s'épaulent pour faire nombre, se retweetent, en somme. Curieuse vie que celle des nombreux procureurs du web qui souvent, sont tirés d'un anonymat légitimé par leur médiocrité, par la magie de leur nombre de followers. Cela devient donc une raison d'être : frapper des dizaines de fois par jour. Fatalement, être frappé, itou. 

Hier, j'ai eu une discussion privée à propos de l'un d'eux que je ne connais pas personnellement, mais que ses prises de positions racistes, pathologiquement islamophobes, misogynes (c'est un militant affirmé anti parité) et anti diversité, me rendent haïssable. Un survol de ces navrants travaux m'avait confirmé mon jugement premier. Mon ami privé m'a appris que ce procureur était atteint d'une longue et cruelle maladie et hélas pas d'une courte maladie rigolote (Desproges) et qu'il était condamné. 

Moi qui n'ai jamais souhaité la mort de personne, juste l'exil ou la saisie de leurs biens, je n'ai pas sursauté, pas cillé, pas vacillé sur mes opinions sur le procureur. J'ai frissonné de me sentir si froid, si inhumain. Tout de même, il laisse des proches, des enfants, et il n'est pas Bachar Al Assad, il a "juste" propagé une parole haineuse. Pourtant, je n'ai pas changé d'avis, tout juste si je ne me suis pas surpris à penser "qu'il crève".

Umberto Eco disait qu'avec Facebook, on entend trop ceux qui avant racontaient leurs conneries au bistrot. Les réseaux sociaux impliquent de voir revenir directement ou directement, ces propos de fins de banquet. Ce procureur que je ne connais pas a dédié une grosse partie de ses dix dernières années à suinter sa haine tous les jours. Même sans le suivre, chaque semaine il me donnait l'occasion de grommeler, de pester, de m'épouvanter. L'accumulation de cette haine publique déversée m'a comme mithridatisé à l'homme privé. Je me contrefous de sa mort. Comme je me moquerai de celles des autres procureurs. Je ne m'en vante pas, je constate. Et je doute que cela soit un progrès sur le chemin de l'empathie universelle... 

22/12/2019

2019, la trumpisation du débat par la macronie

Ceci n'est ni une pipe, ni un titre provoc. Plutôt le constat, amère et dépité, du jeu d'apprentis sorciers auquel jouent les membres et soutiens de la majorité. La semaine dernière, suite au raz de marée en faveur de Boris Johnson, deux politologues, Pauline Schnapper et Emmanuelle Avril, avaient fustigé le baisse du niveau du débat public, à cause d'une rhétorique populiste s'appuyant sur des mensonges éhontés pour faire passer ses carabistouilles : l'immigration ? À cause de l'Europe. La baisse de la dépense publique ? La faute de l'Europe. L'inaction contre le réchauffement climatique ? Ask Bruxelles. Plus c'est gros, plus c'est passé. Comme pour Trump, comme pour Bolsonaro, comme (même s'il n'est pas encore élu, il est de loin le plus populaire) Salvini, le PIS en Pologne, Andrej Babis en République Tchèque... 

Dans tous ces pays, les élections furent le même théâtre d'un débat public dégradé par des "outsiders" des "challengers" qui fustigeaient le pouvoir en place avec quelques dominantes : attaques au "politiquement correct", attaques contre les journalistes qui mentent, attaques contre le train de vie de l'État qui ruinent les honnêtes travailleurs qui essayent de s'en sortir. Tous promettaient une vision revisitée de la méritocratie façon Far West : soit t'es Rockfeller, soit tu creuses ta tombe. Le philosophe Patrick Savidan dans son livre "voulons-nous vraiment l'égalité ?" explique l'explosion d'un vote pour des libéraux xénophobes chez des populations qui ont beaucoup à perdre avec leurs élections (faible niveau de diplôme, vivant éloignés des métropoles...) par "une démocratisation du désir oligarchique". Les perdants en ont marre de perdre et veulent ressembler à celui que l'establishment juge répugnant, mais qui est milliardaire. Bolsonaro n'est pas milliardaire, mais soutenu par ces derniers et par les icônes populaires et ploutocrates comme Neymar pour faire rêver, comme Poutine avec ses stars de JO dopés.

Partout, donc, ceux qui attaquent les médias et l'État sont à l'extrême-droite. Or, en France, la macronie a pivoté en 2019 comme on dit dans la langue des start up. En 2017, ils arrivaient, il y avait lune de miel pendant quelques mois, c'était presque cool. 2018 s'est considérablement durcie avec la privatisation de la SNCF, qui a donné lieu à des batailles de chiffres et d'arguments âpres, mais corrects. Deux visions du monde antagonistes et un affrontement dur comme souvent sous la Vè. Les affaires, en revanche, ont commencé à fendre la coquille. Sur l'Affaire Benalla, la défense fut Trumpiste (du "qu'ils viennent me chercher", aux oukases contre la pourtant légitime commission d'enquête de Philippe Bas...). Bon an mal an, ça tenait. Le parti au pouvoir parlait comme un parti de droite classique. Et puis, vinrent trop de choses, trop de boules de neiges, trop d'affaires pour tout contenir. 

De l'impensable justification des violences policières pendant les manifestations des gilets jaunes (à Hong Kong, une personne éborgnée, fin des violences policières. Chez nous, 26 éborgnés, et ça continue avec l'impunité assurée par la chaîne hiérarchique...) aux rocambolesques soutiens à tous les personnages rattrapés par la patrouille (Rugy, Delevoye, Sylvie Goulard), la macronie a commencé à accuser le "parti de l'extérieur de chercher à lui nuire". Ils ont très largement relayé des thèses farfelues selon lesquelles le pouvoir était victime de tentative de destabilisation de l'étranger... Moche. Trumpisation dans les attaques systématiques aux médias accusés de relayer des fausses nouvelles. 

Et puis 2019, c'est la trumpisation sur le fond des réformes. Avec celle de l'assurance chômage, Macron a de nouveau convoqué ce fameux "désir oligarchique". On a ressorti les fadaises ineptes et immondes sur "les chômeurs font le tour du monde avec leurs allocs", "quand on veut on peut" et on a réduit de façon inédite les droits à l'assurance chômage. La justification sous-tendant cette réforme c'est que les chômeurs acceptent de n'être "rien", quand ils pourraient être "tout" pour reprendre les propos présidentiels... Avec l'actuelle réforme des retraites, on atteint des records dans le déconomètre, quand on nous explique que tout le monde sera gagnant. Chiffres à l'appui, les vrais gagnants sont ceux qui gagnent plus de 10 000 euros par mois. Mais justement, avec leur nouveaux atours, les majoritaires se défient des chiffres. Ils expliquent que les chiffres mentent, que les statistiques officielles mentent. Jeudi dernier, 25% des personnels de l'INSEE étaient en grève, épuisés d'être instrumentalisés : nos meilleurs statisticiens ont apporté un démenti formel pour rappeler que la réforme des retraites fera bien plus de perdants que de gagnants. Matignon a grondé... 

A part les attaques contre le "politiquement correct", la majorité coche désormais un grand nombre de cases des rhétoriques des populistes droitiers. Foucades à répétitions contre la fonction publique, toujours trop "nombreuse", "bien traitée", voire "privillégiée". Exigence accrues pour l'octroi d'aides sociales, exit l'universalité, il faut "mériter" l'obole... Attaques violentes contre les "officines" (Médiapart en premier lieu) qui colportent de faux chiffres... Fait amusant, le journal Le Monde a globalement une ligne très pro Macron, mais sa rubrique les Décodeurs est en surchauffe à force de démonter les lénifiantes énormités de Darmanin, Le Maire et autres... 

Électoralement, cette stratégie catastrophiste du "nous on vous dit la vérité contre les autres qui mentent" n'est pas forcément stupide, les européennes l'ont confirmé. Mal en point politiquement, une tête de liste calamiteuse et une France de plus en plus eurosceptique n'ont pas empêcher LREM de faire plus que limiter la casse aux européennes. Mais démocratiquement, c'est une catastrophe : ceux qui sont censés défendre les corps intermédiaires (médias, justice, syndicats, ONG, lanceurs d'alerte) les agresse systématiquement. Encore une fois, l'histoire montrant que l'on préfère toujours l'original à la copie par souci d'authenticité, je crains qu'après avoir humé l'esprit populiste pendant quelques années, les français voteront pour le goûter pleinement. 

16/12/2019

États coupables, villes résistantes ?

Curieuse synchronie ce week-end, où, sur deux fronts très divers, et deux terrains très éloignés (Madrid et Budapest), une unité d'action émergea : la résistances des villes. A Madrid, avec 42h de retard, un texte a minima était rendu par les différents états présents à la COP. A minima est un euphémisme, puisqu'aucune mesure coercitive n'a été prise pour enrayer la montée des températures, aucun texte n'a obtenu l'unanimité pour exiger l'arrêt de la déforestation amazonienne (qui a doublé en 2019...), aucun article ne prévoit d'entrave au libre échange des marchandises. Le principe des COP est celui d'une gigantesque hydre aux 200 têtes, mais sans responsable, qui passe son temps à blâmer son voisin. Dès la clôture de la COP, le C40, qui rassemble les principales mégapoles du monde engagées pour la lutte contre le dérèglement climatique, faisait paraître un communiqué dans lequel elles s'engagent par la preuve à agir sur les modes de transports en commun et autres mobilités douces individuelles, d'énergie ou encore de végétalisation, pour atténuer la catastrophe.

Au même moment, le nouveau maire de Budapest Gergely Karacsony, s'alliait avec ses homologues de Bratislava, Prague et Varsovie pour créer une "union des villes libres". Ceci en réplique à la dernière proposition de loi de Viktor Orban visant à cesser de financer le théâtre qui serait critique au régime. Le même genre de projets de loi liberticides arrivent avec les populistes tchèques et slovaques et avec le terrifiant PIS Polonais qui a saccagé les médias publics avec des purges qui rappellent franchement l'ère soviétique. 

Comment ne pas aimer cette fronde ? Comment ne pas adhérer à ce remix de David contre Goliath ? En apparence, les causes sont justes et la méthode est la bonne. Suite à la COP, Jean-Marc Jancovici écrivait que la bataille pour le climat s'apparenterait à une bataille de rue où il faudrait gagner chaque rue, chaque district, et rallier les opposants par petites grappes et non par bloc. L'échelon municipal est donc idoine. De l'autre côté, alors que la démocratie reflue dangereusement, comment ne pas aimer des alliances démocrates se battant pour la liberté d'expression ? 

Parce que ces résistances, mêmes sincères, sont en trompe l'oeil par rapport aux problèmes globaux. Les mégapoles sont croissansistes et grandissent bien trop vite pour s'attaquer réellement à ce qu'elles génèrent. Les efforts d'une mégapole comme Paris portent des résultats tangibles (-5% de trafic automobile) mais qui ne compensent pas les effets du surtourisme avec des centaines de milliers de nouveaux arrivants qui convergent vers la capitale et dont les déplacements et la consommation ruinent très largement les quelques avancées. Dans les mégapoles du C40 qui ne bénéficient pas de la densité de transports en commun de Paris, la giga croissance démographique entraîne mécaniquement de la congestion automobile, que des autoroutes végétalisées (vues au Mexique...) et autres "oasis urbaines" ne sauraient compenser en termes de pollution de l'air... 

Dans le cas de l'union des villes libres, on est plus proches d'Astérix contre les romains que de David renversant Goliath. Progressistes, acquises aux luttes féministes, antiracistes et LGBT, les mégapoles peuvent coexister à côté de pouvoirs populistes. Aux États-Unis, le quotidien des habitants de New York, de Los Angeles ou de San Francisco n'a pas été altéré par l'arrivée de Trump au pouvoir. Mais le résultat des midterms montre qu'elles ne jouent pas le rôle de phares moraux éclairant le reste du pays. Elles restent sur leur aventin, les territoires périphériques choisissent toujours Trump, rendant l'élection de 2020 toujours très indécise. On comprend le maire de Budapest de détester Orban, mais en s'alliant à d'autres villes qui vont bien économiquement, il n'envoie pas un signal de solidarité avec le reste de la Hongrie, qui peut s'estimer abandonnée à Orban... 

Aux dérèglements globaux, l'échelle locale n'est évidemment pas à déserter. Dans le cas du numérique, par exemple, la résistance est plus cohérente. Les villes qui repoussent Amazon (New York a refusé l'implantation d'un méga entrepôt dans le Queens), celles qui interdisent AirbnB (Berlin représente !) celles qui interdisent la reconnaissance faciale (merci San Francisco) ou celles qui interdisent Uber pour cause de problèmes de sécurité (ici Londres !), toutes ces villes envoient un signal d'espoir aux autres : le dumping social et fiscal n'est pas une fatalité. On peut retisser des liens. Il faut s'appuyer là dessus pour définir des zones de résistance. Eu égard aux faibles probabilités de renverser les chefs d'Etat populiste demain, il faut continuer la remontada par la base en urgeant les maires et mairesses de voir l'échelon supérieur sans penser au trône suprême. États coupables, régions résistantes semble une équation bien plus équilibrer pour écrire l'avenir.