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21/03/2020

SFR payera-t-il ses fournisseurs fin de mois ?

SFR n'est pas seul en cause, évidemment, mais c'est un bon symptôme du mal français. En novembre dernier, on apprenait ceci : "Pour la deuxième fois en quatre ans, la DGCCRF a sanctionné l'opérateur de Patrick Drahi pour ne pas avoir payé ses fournisseurs à temps. Plus d'un tiers des quelque 39.000 factures contrôlées par Bercy ont été réglées en retard". Voilà à quoi ressemble le capitalisme français moderne. Des boîtes qui se goinfrent littéralement de subventions et niches publiques (CICE en tête, mais aussi Crédit Impôt Recherche à l'intérêt scientifique souvent discutable), qui fraudent le fisc et optimisent à tout va pour ne pas rendre ce qu'elles doivent (leurs cadres cotisent, mais les boîtes, elles, se constituent en holding aux Pays Bas ou en Irlande) et qui laisse crever un écosystème de PME et TPE en es payant pas à date. Me revient en mémoire un article du Monde où les salariés de SFR arrivaient à leur cantine d'entreprise où on leur demandait le vrai prix à la caisse et pas les 2 euros et quelques habituels... Devant leur surprise, la patron du restaurant d'entreprise disait "votre patron m'a pas payé depuis 4 mois, j'arrête d'avancer les frais, démerdez-vous avec lui". 

Chaque année, depuis au moins 10 ans, des chiffres circulent du côté du Cercle des Économistes et autres officines a priori peu marxistes qui chiffrent en milliers, voire dizaine de milliers le nombre de TPE contraintes à la faillite, faute de factures payées à échéances. Elles travaillent, payent leurs cotisations et impôts, elles sont rentables, productives, utiles, mais doivent fermer à cause de vautours qui font la trésorerie sur leur dos... SFR est sans conteste la pire de ces boîte, LVMH tout près. Travailleur indépendant depuis dix ans, j'ai eu toute sorte de client, de la TPE unipersonnelle qui m'a toujours payé rubis sur l'ongle, aux ONG idem et aux administrations et groupes. A mesure que la bureaucratie augmente, à mesure que le mail à qui l'on adresse sa facture n'est plus composée d'un prénom et d'un nom mais d'un compta@XX, le cauchemar commence. 

Toutes les études montrent les gigantesques progrès réalisés par la puissance publique de ce point de vue là. L'uniformisation avec la plateforme ChorusPro a évidemment des conséquences qui auraient amusé Kafka (pour avoir eu affaire avec l'interface, c'est effrayant, mais on vous guide facilement et vous règle rapidement) mais ça va bien plus vite qu'avant. 

La pression, l'union nationale, le quoi qu'il en coûte, le ton martial employés à tort et à travers ces derniers temps s'appliqueront-ils aux grands groupes ? Alors qu'on réquisitionne à tour de bras des PME pour faire des masques, qu'on envisage de renationaliser des entreprises en souffrance, il serait assez logique qu'on promulgue une loi d'urgence obligeant tous les grands groupes à s'acquitter de leurs dettes auprès de PME qui, sinon, vont devoir fermer. 

20/03/2020

Lutte des places

Ce matin, sur France Inter, nombre d'auditeurs et d'auditrices ont eu un réflexe de bon sens : exiger que l'on arrête avec les "délires aristocratiques". Il s'agissait d'une saine réaction aux propos de Leila Slimani ou Sylvain Tesson vantant les vertus de la déconnexion, de l'introspection, de la méditation et contemplation. Dans l'absolu, on ne peut qu'abonder à leurs propos, évidemment. Dans la pratique, faut-il pouvoir se le permettre...

D'abord, et c'est déjà assez documenté (un excellent épisode des "pieds sur terre" notamment) les 200 000 SDF aimeraient beaucoup avoir un logement où se confiner. 200 000, une ville comme Rennes. Rien que ce chiffre devrait appeler Tesson à modérer sa joie des grands espaces. 

Ensuite, il y a celles et ceux qui ne sont pas confinés. Qui nous soignent, cherchent un vaccin ou un traitement, nous protègent, nous nourrissent, nettoient nos rues. Pour elles et eux, les horaires de travail connaissent une inflation forte, leurs places sont vitales et peu enviées, peu guignées.

Après, celles et ceux qui continuent à travailler. Les nullipares ont un avantage sur les autres, mais cela reste dense, très dense. Débrancher une activité se prépare comme me l'ont témoigné toutes celles et ceux qui s'y activent durement, en ce moment. Pour celles et ceux qui bossent avec enfants, la journée est une folie "je suis prof, femme de ménage et cuisinière" résumait une autre auditrice légitimement courroucée quand Sylvain Tesson l'incitait à (re)lire Rimbaud. 

Enfin, et enfin seulement, celles et ceux qui sont incité.e.s ou contraint.e.s à lever le pied du taf. Là encore, la fracture se fait entre nullipares et les autres. Seul.e, on peut être guetté par l'ennui, c'est pas faux. Mais les 12 millions d'enfants qui ne sont plus gardés exigent beaucoup d'attention de leurs parents. Lorsqu'il y en a un, on peut se relayer (ce qui est mon cas) mais comme disait ma soeur à la naissance de son troisième "nous sommes passés en infériorité numérique" et là, le quotidien ressemble à celui d'un capitaine écopant le bateau qui prend l'eau de toute part. 

Nullipare ou non, ce confinement est une lutte des places, forme moderne de celles des classes (et elles se recoupent). Je voyais hier un ami poster son rocambolesque quotidien de travailleur vivant à 2 dans un T1, assis sur ses toilettes son ordi sur les genoux, pendant que sa copine, infirmière épuisée par une nuit de garde, dormait du sommeil du juste sur leur lit. Il avait l'ironie de bon aloi, encore jouable après quelques jours, mais qu'on n'aille pas me dire que cette situation n'a pas tout pour rendre fou, à la longue. Face au confinement, il y a celles et ceux qui disposent d'un appart où s'isoler pour bosser et les autres. Celles et ceux où les enfants ont leurs propres chambres, et les autres. L'association Article 1 a lancé en partenariat avec la FAGE l'opération réussite virale (http://bit.ly/ReussiteVirale) pour demander aux étudiant.e.s à l'aise avec leurs devoirs d'aider celles et ceux qui le sont moins et ne peuvent demander à leurs parents. En plus de cette difficulté d'accès au savoir, il y a celle d'accès au calme pour écouter les conseils et consignes. Il serait bon que ceci soit toujours rappelé quand on rappelle le besoin de confinement.

De même que le service public est le patrimoine de ceux qui n'ont pas de patrimoine, l'espace public est l'espace de ceux qui n'ont pas d'espace privé. Un excellent reportage de Mediapart montrait les tensions à Château Rouge. Là bas, des familles nombreuses sont dans des logements étriqués, vétustes, que voulez-vous qu'ils fassent ? Et les fractures se superposent : nombre de reportages montraient les parisiens fuyant leurs appartement trop petits pour des maisons de campagne. Soit elles sont de familles depuis plusieurs générations, ce qui exclut mécaniquement les immigrés premières et deuxième générations (ou quasi), soit elles sont achetées et tout le monde n'a pas 200 voire 300 000 euros qui traînent pour s'acheter un pied à terre. Toutes celles et ceux qui ont le choix des places, le luxe des places, ne peuvent donner de leçons aux autres. On parle de 4 millions de personnes mal logées selon la Fondation Abbé Pierre. 4 millions, putain, 12 millions exposées à la crise du logement, c'est à dire qui ne peuvent vivre dans un appartement digne, en termes d'espace par habitant. 12 millions, 1/5 des français. Humilité, bis. 

Cette lutte des places, elle s'est intensifiée fortement depuis trente ans et une augmentation folle de l'investissement dans l'immobilier. Les signes extérieurs de richesse ont été ringardisés. Il faut bien que les nababs mettent leur argent quelque part, donc ces marchés fonctionnent à plein, mais chez les classes moyennes, tout est mis dans le foyer, dans le domestique, plutôt qu'une voiture chic ou une montre plate à 8 SMIC... Un deux pièces à Paris vaut désormais bien plus qu'une maison dans le Perche. Pendant le confinement, le Perche apparaît plus enviable, mais même avec un krach immobilier gigantesque, un trois pièces en ville coûtera toujours plus cher qu'un manoir à la campagne. Les propriétaires urbains disposent ainsi, en quelque sorte, d'une assurance vie que n'ont pas les autres.

Notre rapport à l'espace public va sans doute encore se durcir : partout, les gouvernements utilisent la géolocalisation pour savoir qui va où et on voit poindre le moment (proche) où notre smartphone sonnera pour nous indiquer que nous sortons de la zone de confinement et que si nous ne rentrons pas chez nous, une amende nous guette. Rester chez soi, bien sûr, mais un peu de modestie, de solidarité et de douceur : tout le monde n'est pas bien chez soi...  

 

 

18/03/2020

Lettre à mon coiffeur

Salut mon pote. Je pense à toi ce matin, je me dis que je n'aurais pas dû te faire une infidélité lors de mes vacances de février et m'offrir une dernière coupe chez toi. Parce que tu en avais plus besoin que l'échoppe cossue d'une bourgade paisible de montagne qui n'a connu ni gilets jaunes, ni grèves des transports, avant le confinement. Ca n'aurait pas changé ton chiffre de l'année, mais au moins j'aurais fait ma part comme dit le Colibris. 

Quand je suis venu te voir en janvier, tu me disais que tu venais de te verser un salaire pour le mois de novembre, et toujours pas décembre... Ton employée d'abord, toi tu servais de variable. Tu te plaignais pas même si ton salon avait été déserté pendant des mois, occupé des seul.e.s habitué.e.s septuagénaires, octogénaires et plus qui continuent à venir. Mais la clientèle de bureau, plus rien. En plus tu devais fermer plus tôt pour prendre le métro tant qu'il y en avait. 

Tu ne pestais pas, tu disais que la marche te réussissait plutôt bien à la ligne. Et de toutes façons tu étais contre la réforme des retraites. Les gilets jaunes, tu les comprenais et les soutenais même si tu avais dû fermer rideau boutique quelques samedi, journée faste pour toi. 

Tu rigolais des propositions de Le Maire sur l'URSSAF car ça ne changerait jamais le trou dans la caisse qui est normalement l'endroit avec lequel tu te payes. En janvier, tu me disais "pourvu que ça soit le fin, parce que là on les a enchaîné et maintenant, il faudrait que ça reparte". Et je pense d'abord à toi, rare échoppe un peu populaire dans un quartier qui s'est embourgeoisé presque aussi vite que les rayons de pâtes se sont vidés, récemment. Mais je sais que tu n'es pas une exception. Mes libraires me disent la même chose. Ils ne sont pas du genre à tempêter, à rouspéter, parlent toujours de "cotisations" et jamais de "taxes" ne disent pas qu'il y a trop d'impôts où que les gens ne lisent plus, ils critiquent simplement la concurrence déloyale (au sens propre, ils ne payent pas d'impôt et esclavagisent le gros de leurs salariés, qui triment actuellement dans les entrepôts sans masque et gel) d'Amazon. Ils critiquent pas, mais reconnaissent que la période fut dure pour les TPE. Pas de CICE à 20 milliards pour eux, pas de crédit impôt recherche, pas de plans sur la comète, rien d'autre qu'un peu de considération ministérielle et une vague tolérance pour les paiements ("report" ça n'est pas "annulation")... 

J'ai parlé aussi avec mon ami et collègue Thomas Bout, fondateur des éditions rue de l'Échiquier où je dirige une collection. Pour lui aussi, tout s'est arrêté le 15 mars et ça va frotter. 1 à 2 mois d'arrêt, c'est 15% d'une année. Quand la plupart des petites boîtes finissent l'année avec 15 jours de trésorerie d'avance, pas besoin d'être Villani pour savoir qu'il faudra beaucoup de tolérance bancaire... 

Quand ça repartira, quand ça recommencera, il faudra tout remettre à plat. Et taxer ceux qui ont, ceux qui captent les aides. On ne pourra plus "ne prêter qu'aux riches" car les pauvres ne pourront plus faire sans prêts gracieux, sans aides véritables. Quand aux riches, il va enfin falloir passer à la caisse, mettre fin à trois décennies de dumping fiscal où ils sont passés d'une assiette progressive à une assiette dégressive faisant que les milliardaires payent moins d'impôts, proportionnellement, que des gens à 2,5 ou 3 SMIC... Honte. Et qu'on ne vienne pas nous tirer des larmes avec les 20 milliards perdus par Bernard Arnault et le fait que LVMH va fabriquer des millions de gels hydroalcooliques pour les hôpitaux... Cet homme, financé exclusivement sur fonds publics quand il reprend Boussac a volé des dizaines de milliards d'euros au fisc. Dizaines de milliards qui manquent aux hôpitaux.

Souvenons-nous, encore et toujours des hôpitaux publics espagnols qui avaient refusé les 320 millions de don d'Armancio Ortega, fondateur de Zara, qui lui aussi a fraudé des dizaines de milliards aux biens communs espagnols pour son compte en banque. Son don, c'était de la charité. Nous n'en avons pas besoin, le COVID nous rappelle que nous avons et que nous aurons plus que jamais, besoin de solidarité.