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14/03/2020

La fin des politiques en mode projet ?

Jeudi soir, fiat lux, notre cher Président a été pris d'une révélation : la santé doit être au-dessus des marchés et garantie comme un bien commun. Je le dis quasi sans ironie. Pour l'apôtre du "mode projet" qu'il incarne, le service public est une anomalie. On avait beaucoup glosé et beaucoup moqué son cri de fin de meeting de campagne, "parce que c'est notre prooojet" à la glotte mal tenue, mais c'était son inconscient qui remontait à la surface. Biberonné à la novlangue néolibérale depuis la commission pour la croissance d'Attali à la banque Rothschild, Macron croit dans la supériorité de "l'aglitié", de "la prise de risque", de "la capacité à pivoter en mode projet" et à l'infériorité du dur, du pérenne. Toutes carabistouilles démontées magistralement dans "bureaucratie" par David Graeber, mais je doute que Macron ait lu, ou soit tombé d'accord, avec la figure de proue d'Occupy Wall Street. 

Soyons honnêtes, Macron n'a pas inventé le projet, il est le seul à le porter fièrement en étendard.  Sarkozy et Fillon, Hollande et Valls aussi vantaient ce socle. Macron a "juste" le malheur d'être aux manettes quand la catastrophe dont il n'est en rien responsable, arrive. Il a continué et accéléré les politiques mortifères de ses prédécesseurs ce qui nous expose d'autant plus. En matière sanitaire, depuis des décennies, on vante et on finance en mode "projet". On ferme des lits partout, en psychiatrie, à l'hôpital, dans les départements de gériatrie... Partout, on encourage "la fluidité des parcours", "l'hospitalisation à domicile" et autres modèles reposant sur un monde où tout va bien. Nous n'en sommes plus là. Il faut regarder les postes de soignant.e.s, leurs salaires et le nombre de lits pour voir à quel point nous investissons.

Car si on regarde le budget global, il monte. Mais beaucoup moins vite qu'il ne devrait, c'est de l'austérité maquillée ou de la croissance en trompe l'oeil, selon le point de vue. Nous avons gagné vingt ans d'espérance de vie en un siècle et notamment les plus fragiles qui vivent plus longtemps. Les personnes en situation de handicap et les personnes âgées dépendantes. Toutes informations peu solubles dans du PIB, dans de la croissance, mais un véritable miracle qui mérite évidemment qu'on investisse toujours davantage. Toujours, quoi qu'il arrive, maintenir des infrastructures lourdes, du tangibles, de l'accueil et de l'humain. Or, depuis 2013, l'hôpital public a vu 5,3% de ses lits disparaître soit 17 500 places qui font cruellement défaut aujourd'hui. 2013, c'est le tandem Valls/Touraine qui se lance dans ce vaste plan social, et Macron poursuit et accélère la saignée sur un corps déjà à l'os. Les deux premières coupes budgétaires en termes de postes équivalent temps plein en 2020 sont.... la santé et l'écologie. Cherchez l'erreur.

Le coronavirus arrive peut être à temps, en France. Pendant sa campagne de 2017, Macron disait que "le statut de fonctionnaire n'est plus adapté au XXIème siècle". Il voulait transformer la fonction publique avec des contrats flexibles, à durée déterminée, de missions, de projets... Hérésie ! On ne peut pas faire tourner le pays en permanence, assurer de la stabilité à chacun, avec des flux momentanés. Les vacataires dans l'éducation, les intérimaires dans la santé, ces armées de réserve montent dans des proportions dramatiquement dangereuses. Bizarrement, pareille agilité n'est pas exigé des policiers et des militaires. Ha, le régalien ! L'actualité nous rappelle de façon tragique que la santé est régalienne. 

Tout notre modèle économique repose, de plus en plus, sur le mode projet. Un mode sans défaut, sans accident possible. Or, la vie est faite d'accidents et le coronavirus n'en est qu'un autre parmi une palanquée d'épidémies dans l'histoire... Les surendettements, les expulsions, arrivent le plus souvent après un accident de la vie, perte d'emploi ou divorce. Nos métropoles incarnent cela pleinement, pour vivre à Paris il faut deux salaires réguliers qui tombent pour soutenir le coût de la vie. D'où la sage décision de Macron de prolonger la trêve hivernale de deux mois. Combien de loyers impayés en mars et avril ? Chez tous les travailleurs indépendants au chômage technique sans droit à l'assurance chômage, zéro ? Combien d'intermittents qui n'ont plus que cette intermittence pour vivre, tous les cachets s'évanouissant dans les annulations ? On nous a tellement vanter l'agilité que nombre de connaissances, d'amis, de proche, ont construit un modèle de vie ultra périlleux reposant sur un loyer ou un remboursement d'emprunt trop élevé pour eux, mais qu'ils peuvent s'offrir en mettant leur appartement sur AirbNb dès que le travail ou des vacances les éloigne... Ils subissent aujourd'hui la double peine avec une évaporation de leurs ressources professionnelles et de ces ajouts. Qui pourrait les blâmer d'avoir pris des risques alors que c'est ce qu'on nous vante toute la journée, ce à quoi on nous incite ? Empruntez sur 30 ans à 1/3 de vos ressources, c'est bon pour l'économie...

Pour finir sur une note optimiste, espérons que le coronavirus impose, partout, la fin du mode projet et le retour de nouvelles protections communes. D'abord, le retour intelligent du revenu universel. Mais universel au sens de "inconditionnel". Enfin l'occasion de voir ce que la version de droite (Koenig, NKM en tête) à d'immonde puisqu'elle repose sur un financement fondé sur un effondrement des protections sociales et de santé et l'idée que chacun doit être responsable et s'organiser comme il veut avec son revenu. Un revenu universel digne de ce nom ne peut se financer qu'en mettant à contribution ceux qui aujourd'hui se soustraient au commun, les fraudeurs et optimisateurs fiscaux. De nouvelles protections sanitaires, inconditionnelles. Le retour de dispensaires publics de proximité pour permettre à toutes et tous de se soigner. De nouvelles protections alimentaires ou de mobilité, que sais-je. La seule chose réjouissante de la période, c'est qu'elle impose définitivement un consensus sur la mort du néolibéralisme et l'impérieuse nécessité de tout réinventer. 

13/03/2020

Et nous courons comme des canards sans tête

Quelle gigantesque défaite pour l'intelligence collective, tout de même. Alors que l'info circule partout, de partout dans le monde, que nous savions, nous avons ignoré les choses. Que nous n'ayons pas écouté les méthodes chinoises, c'est plutôt heureux, tant je doute qu'il soit un progrès de vivre des scènes sorties du cerveau d'Orwell comme ces piétons rappelés à l'ordre par des drones leur intimant de rentrer chez eux et de porter un masque sous peine d'amende.... Mais d'autres pays d'Asie, Taïwan en tête et Hong Kong ont contenu l'épidémie en bloquant davantage aéroports et trains, et en faisant davantage de prévention, de dépistages et de port de masques généralisés.

Et puis c'est arrivé en Europe, Italie en tête avec le carnaval de Venise, des défilés à Milan et autres. Et les italiens nous ont alerté, à longueur de mails, de vidéos, de lettres ouvertes : ils nous ont conjuré de ne pas nous tromper de signaux. Nous n'étions pas ailleurs, nous étions avant. Une semaine après, sans mesures sévères, nous connaîtrions la même pente. Le temps que le virus incube, se développe, l'effet exponentiel fort bien décrit, font qu'une semaine après ça n'est pas sept fois plus de cas encore encadrables, mais des dizaines de fois plus hors de contrôle. Ce seul vendredi 13, 250 morts dans la journée pour une Italie pourtant entièrement calfeutrée. Impossible de savoir s'il s'agit du pic de l'épidémie, quand elle va refluer... Cela pourrait, hélas, monter. Et nous n'avons pas voulu voir cela.

La communication française depuis le début de la crise choisit de sous-estimer les cas pour ne pas apeurer, ne pas affoler. Une attitude plus que condescendante vis à vis de la population. Sans doute une part de vrai, la peur d'émeutes dans les magasins, dans les gares . Mais la diffusion involontaire d'un sentiment, si ça n'est d'impunité au moins d'une grande légèreté. Laquelle s'est en grande partie évaporée hier, avec l'allocution du président suivie par 25 millions de français. Plus questions de dire des choses comme "on peut pas manifester, comme par hasard". Au contraire, les critiques porteraient plutôt sur le maintien des municipales. Lesquelles seraient apparemment maintenues à cause de l'obstination de Larcher et Fabius. Si c'est avéré, ce dernier, après le sang contaminé, restera comme le plus inconséquent responsables politiques vis à vis de la santé de ces compatriotes... 

Et depuis nous courons comme des canards sans tête. Nous ne savons plus. De moins de 1000, les rassemblements sont passés à moins de 100 aujourd'hui. Mais demain ? Le coronavirus va réussir là où Daech a échoué : vider les terrasses de Paris. Ce soir, encore, elles sont presque aussi remplies qu'à l'accoutumé, mais pour combien de temps ? Combien d'appels supplémentaires de nos meilleurs médecins et soignant.e.s faudra-t-il écouter pour que nous résignons à nous confiner puisqu'il n'y a pas d'autres choix possible ? Les bars, les restaurants, tous ces lieux qu'on devrait éviter (je fais pas le malin, j'étais dans un bar il y a 24h, mea culpa), resteront évidemment ouverts sans interdiction. Et comme elle ne vient pas, nous jouons avec les interdits. Jusqu'au moment où ça va péter. De la plus insidieuse et invisible à l'oeil nu, ce petit covid nous rappelle de la plus macabre des façons que tout est politique et que lorsqu'on ne s'occupe pas de politique, elle nous règle notre compte. 

12/03/2020

Y a-t-il un pilote pour changer le système ?

"Nous sommes au bon moment pour changer de modèle, mais avec les mauvaises personnes au pouvoir" disait la prospectiviste Virginie Raisson-Victor en août dernier. C'était juste avant les dramatiques incendies en Amazonie et Bolsonaro qui regardait ailleurs. Depuis, ça continue en gore et en gore. Nos dirigeants oscillent, sont comme tétanisés par ce qui arrive, mais ne sont pas programmés pour changer de modèle, donc ils subissent. Par réflexe pavlovien, Bruno le Maire disait avant hier "il y aura un avant et un après coronavirus dans la mondialisation. Nous allons par exemple relocaliser la production de médicaments". Une alouette de relocalisation, donc. Quand on lui parlait du cheval liée au CETA, au nouveau traité de l'Union Européenne avec le Vietnam, Le Maire buggait, il ne savait pas répondre...

Ce matin, à la suite de l'annonce de la suspension de la privatisation d'ADP, deux visions du monde s'affrontent. Ceux qui disent "les conditions de marché ne sont plus réunies" ce qui sous-tend qu'elles le seront bientôt à nouveau. Et ceux qui disent qu'enfin, on va changer, puisque les pertes colossales que vont subir le secteur de l'aérien ne seront cette fois pas compensées : flygskam, pression politiques et donc changement de fiscalité, il est probable que les investisseurs seront moins nombreux. C'est l'occasion par exemple de réanimer la proposition de loi de LFI d'interdire les vols intérieurs et de donner des compensations ou allègements à Air France pour leur permettre de devenir une compagnie faisant exclusivement du moyen ou long courrier. En faire, enfin, beaucoup moins. 

Idem pour l'agriculture. Les premières peurs liées au coronavirus concernent la bouffe quand l'Europe produit bien bien plus que nécéssaire pour l'abondance du continent. On peut continuer à exporter les excédents, mais on doit s'interroger sur nos imports massifs et sans doute superfétatoires : le coût écologique des avocats, du quinoa entre en compte bien sûr, mais avant tout l'import de ce que nous avons déjà... La viande argentine, c'est chic, celle du Canada, c'est peu onéreux mais comment expliquer qu'on fasse traverser l'Atlantique à tout ce poids quand il y a encore de la viande chez nous ? On pourrait limiter de façon pharaonique le gaspillage alimentaire, et en l'espèce, épargné des millions d'animaux, ne pas les produire pour les abattre. Mettre, enfin, des limites à notre économie sans frontières pour tous les animaux, et les objets, mais avec de plus en plus de murs voire de herses pour les malheureux qui fuient misère ou guerres... 

Ce que je trouve fascinant c'est que le coronavirus impose une réalité bien plus violente en termes de limitations, de contraintes, d'entraves, que ce que les libéraux rejettent politiquement. Les propositions des élu.e.s écologistes de régulation, de quotas, de diminution de l'empreinte écologique sont bien moins violentes que ce à quoi le coronavirus nous contraint avec des blocages complets, des confinements absolus. Comme quoi, décidément, Virginie Raisson avait et a plus jamais, raison.