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05/04/2020

Tant qu'on manque que de temps...

3 semaines déjà, 3 semaines putain. Et comme disait la pub, "et c'est pas fini". Il est impossible de dire s'il y aura un après radicalement différent de l'avant au niveau global, politique. Toutes les hypothèses sont sur la table et celle d'un retour au business as usual avec une relance hyper forte pour compenser une chute hyper violente n'est pas la moins crédible. Au niveau individuel, en revanche, je suis persuadé que cette expérience anormalement longue changera beaucoup de choses. Au niveau individuel chez ceux qui ont vécu confinés, cela va sans dire.

Pour celles et ceux qui bossent aujourd'hui en tant que soignant.e.s, l'après dépend beaucoup des promesses présidentielles. Si elles sont assumées, et qu'ils et elles ont enfin les moyens, tant financiers que matériels et humains de bosser sereinement, l'expérience covid aura servi à ça... Concernant la ligne d'exposé.e.s, en supermarchés et en entrepôts, les plus exposé.e.s (remarquable article hier, sur les 800 000 personnes travaillant en logistique, 1,5 millions en incluant les livreurs et routiers, deux fois plus que dans les années 80), là, l'inquiétude est de mise. Conditions dégradées avec la loi d'État d'urgence sanitaire qui étend la possibilité de trimer 60h par semaine, faire tourner en 7/7j et pour compenser.... des primes. Les revalorisations salariales attendront, les primes c'est pour calmer la jacquerie, mais ça tombe pas tous les mois en même temps que le loyer. Elles et eux, sont sans doute les sacrifié.e.s pour rien de la crise...

Et pis y a tous les autres, télétravaillants ou chômeurs partiels ou en activité réduite à quasi néant. Autour de moi, c'est l'immense majorité des troupes et le premier manque éprouvé, c'est celui du temps. C'est ennuyeux, mais pas dramatique. On peut tenir deux mois avec des journées un peu tronquées. Des loisirs écornés, rognés, restent des loisirs. Jacques Brel n'aurait pas chanté que lorsqu'il avait le temps dans ses mains, il avait le monde entier. Il lui fallait l'amour à offrir à sa mie. Et ça en revanche, ça se trouve pas sous le sabot d'un cheval ou une application de rencontres caduque en confinement. Celles et ceux qui vivent le confinement sans amour ont peu de chances de le trouver pendant la période. Peut-être ce manque sera t'il trop criant en sortant à l'air libre et nous assisterons, alors, à une armée en quête résolue de grand amour ? Ça serait beau. 

Le couple n'étant pas non plus une obligation (à laquelle je me plie personnellement avec beaucoup de bonheur, mais je suis contre l'injonction sociale) celles et ceux qui vivent isolé.e.s mettront peut être en oeuvre ces fameuses bonnes résolutions à s'inscrire à des activités ou des assos pour rencontrer des gens avec qui partager des plaisanteries stupides au prochain enfermement. Ça, c'est plutôt très positif.

Le manque d'espace chez ceux qui ont le choix pourrait changer, aussi. Les tendances que l'on voyaient poindre chez les jeunes diplômés qui télétravaillaient pour ne pas vivre dans un clapier à lapin du centre ville, mais dans une maison au vert sont aujourd'hui gagnants. Tout le monde ayant pris l'habitude de Zoom, et autres Teams, les verrous culturels côté donneurs d'ordre sur le télétravail vont enfin sauter. Les travailleurs de services pourront enfin bosser à distance. Et avec un krach immobilier doublé d'un retour en force du politique, on peut espérer que les maires bloquent et réquisitionnent un grand nombre de logements de centre ville pour celles et ceux qui ne peuvent télétravailler. On l'a bien vu pendant la grève des transports liée à la réforme des retraites : garde d'enfants, profs, salariés de l'agroalimentaire, tous ceux qui font vivre la ville en travaillant vivent souvent trop loin, peut être l'occasion de les rapprocher. 

Et pour revenir au manque de temps (pour le manque d'argent, il faudra mieux voter collectivement la prochaine fois, pour une liste mettant en avant le partage), c'est là où les changements pourraient être les plus féconds. Après tout, les baromètres montrent année après année que malgré les progrès technologiques pour nous en faire gagner, nous manquons toujours de temps. 2h par jour, en moyenne. Pas grand chose de neuf en temps confinés, si ça n'est que nous n'y pouvons rien. Le virus et l'obligation parentale écrasent tout et nous ne pouvons, littéralement pas, nous dégager du temps. Mais demain ? Demain quand les enfants retourneront en classe et nous au travail, on pourra, on devra avoir des journées moins occupées par le boulot et décélérer. Et si les choses ne sont pas faites et bien qu'on demande à d'autres, la crise ne devrait pas particulièrement diminuer le nombre de personnes qui cherchent à bosser. Je ne dis pas que ça adviendra, mais sur le papier, tout est réuni pour l'ère du vrai partage. 

04/04/2020

Titanic pour le progrès

De même que le paquebot géant ne pouvait redouter un vulgaire glaçon, notre colossale idée du progrès ne voyait pas le danger niché chez un petit pangolin. Freddy Vinet, auteur de "la grande grippe" disait que la grippe espagnole fut occultée des mémoires collectives car elle brouillait le message triomphal du progrès. Le début de l'ère pasteurienne qui nous avait délivré des épidémies du XIXème siècle ne tolérait pas de fausse note. Quel hubris mal placé... Vive Pasteur et les vaccins, évidemment, mais les épidémies sont présentes depuis la nuit des temps et continueront à survenir. Le progrès était de conserver une culture épidémiologique, d'hygiène et de prévention. Et surtout d'écouter les leçons du vivant : 60% des épidémies sont liées à des zoonoses, on peut limiter grandement les risques en abolissant des pratiques archaïques comme les marchés d'animaux vivants. Le SRAS en 2003 avait les mêmes origines que le COVID. Et à date, ces mêmes marchés ne sont pas bannis... Et on continue à déforester et donc à exposer les animaux expulsés. Bref, notre conception du progrès se limite à notre espèce en méprisant tout le reste. Un petit 99,9% du vivant, quoi. 

Aujourd'hui, les pays les plus progressistes et ouverts sont démunis et infectés en diable. Les États-Unis, qui ont l'habitude d'acheter et de commander ce qui leur manque en appuyant sur un bouton sont aux abois et vont connaître un massacre. Ce d'autant que leur système de santé n'est pas outillé pour faire face, notamment parce que les plus performants des établissements ne vous accueillent qu'avec une Amex bien dotée... Pour ne pas avoir voulu prévoir, pour mépriser les règles élémentaires de prévention, le pays va compter un nombre record de morts de la crise puis un nombre records de victimes à cause de la crise : personnes expulsées, durablement sans emplois, le COVID va ravager les plus faibles aux États-Unis par millions. En 2008, les subprimes avaient fait exploser le nombre de SDF dans le pays, un grand nombre ne se sont toujours pas relogées aujourd'hui. Alors que penser des millions de personnes inscrites au chômage, depuis ? Le spectre de la crise de 29 est là et Trump n'est pas précisément Roosevelt... Le pays le plus riche au monde, le plus gros PIB, ne peut soigner ses malades, ne pourra redonner un toit à ceux qui ont cessé de bosser quelques semaines ? Et c'est ça le sommet du progrès ? Tu parles d'un géant en carton pâte...

Pendant ce temps, la Corée, le Vietnam et autres pays d'Asie qui avaient souffert du SRAS vivent. Avec des masques, certes, mais dans les rues et dans les écoles. La différence n'est pas mince. Elle est géante.

Personne ne sait ce que sera le monde d'après et quand on lit "la reprise sera forte" elle ressemble tout de même furieusement à une reprise de consommation superflue, de loisirs et babioles auxquelles nous sommes shootés depuis des décennies de propagande. Socialement, je doute que ça soit le grand bond en avant, plutôt des jobs "à prendre ou à laisser", l'armée de réserve chère à Marx est constituée et prête à bosser pour bien moins que le SMIC...  Comme l'écrivait il y a six mois la prospectiviste Virginie Raisson : « Nous sommes au bon moment pour changer de modèle, mais avec les mauvaises personnes au pouvoir ». Nous y voilà... 

02/04/2020

L'infiniment près et l'infiniment loin

J'ai reçu un mail pro à 7h. Me proposant une animation de conférence le 16 septembre prochain en me demandant "si j'étais libre à cette date", remarque qui eut le mérite de me faire marrer au réveil d'une journée s'annonçant professionnellement vide. Comme hier, comme demain et après demain. Par conscience, j'ai jeté un oeil à mon agenda qui prévoit une conférence au Luxembourg (pas sur la fiscalité...) les 14 et 15 septembre. J'ai rajouté le 16, donc. Mon agenda de rentrée commence à scintiller comme un sapin de noël. 

Le différentiel d'occupation entre l'infiniment près et l'infiniment loin m'a donné le vertige plus que fait sourire. Car évidemment le temps court, je suis bien certain qu'il ne changera pas, mais comment accorder une once de crédit au temps lointain quand tout change, tout le temps, tous les jours ? Le 6 mars, notre Président nous demandait de soutenir les théâtres et salles de spectacles, il les fermait une semaine après. On devait absolument aller voter le 15 mars avant de réaliser qu'on ne pouvait pas y aller le 22. Le second tour reporté au 21 juin est désormais menacé et pourrait être reporté à octobre. Les dates du bac, des concours d'école de commerce et d'ingénieur, tout bouge, tout le temps.

Les reports sont plus stressants que les annulations. Wimbeldon a le mérite de la clarté : pas d'édition cette année. Les JO sont reportés d'une année pleine, OK. En revanche, quand Roland Garros dit qu'il se déplace en septembre, d'abord il fout le boxon dans ce qu'il reste de calendrier, ensuite, il renforce un sentiment d'impréparation générale, d'amateurisme au sommet.

Si chacun peut s'accorder avec le premier ministre que la situation est "remarquablement complexe", le changement permanent de dates, de scénario, a quelque chose de foncièrement anxiogène. Le confinement prolongé 15 jours par 15 jours a quelque chose de la minute demandé au bourreau. Comme pour le sparadrap, arracher d'un coup sec a des vertus. Comme nous aimerions, enfin, savoir de quoi demain sera fait.